Ile-de-France

L. Martin-Poulet : « La réalisation du projet de Christo, une façon de laver l’affront du saccage »

Estimez-vous que le saccage de l’Arc de Triomphe, le 1er décembre 2018,  a influencé la décision du président de la République d’autoriser le projet de l’empaquetage du monument national ?

Je pense que oui, mais ce n’est que mon hypothèse personnelle. Avec le président du Centre des monuments nationaux, Philippe Bélaval, qui avait approuvé le projet dès 2017, nous avons officiellement adressé la demande à Emmanuel Macron le 29 octobre 2018. Et nous avons reçu un premier coup de fil informel et positif dès le 11 janvier 2019, juste deux mois et demi plus tard. La décision officielle, elle, est tombée le 25 mars. Tout est allé à une vitesse éclair, là où il a fallu négocier dix ans pour l’empaquetage du Pont Neuf, en 1985. Je pense que, pour le président de la République, la réalisation du projet de Christo était une façon de laver l’affront, de relever le gant, de redonner une nouvelle image à l’Arc de Triomphe vandalisé.

Laure Martin-Poulet, historienne de l’art et présidente du projet « L’Arc de Triomphe empaqueté ». © DR

Quel a été plus précisément votre rôle aux côtés du neveu de Christo, Vladimir Yavachev, directeur du projet, supervisant la partie technique et artistique ?

J’ai été en charge du volet négociation et concertation pour lever les freins réglementaires ou les diverses oppositions. Selon Christo, tout cet aspect préparatoire, visant à dépasser les contraintes liées à la vie de la cité, fait partie intégrante de l’œuvre. Nous avons dû convaincre non seulement la ville de Paris, mais aussi les trois arrondissements limitrophes, le 8e, le 16e et le 17e. Nous avons rencontré les associations de riverains, les entreprises qui ont pignon sur rue autour de la place de l’Etoile, mais aussi des écoliers, car cela faisait partie de la conception de Christo et de Jeanne-Claude – rendre l’art accessible à tous. Nous sommes même allés présenter le projet dans un centre d’hébergement d’urgence destiné à accueillir les plus démunis.

« La piétonisation nous a posé le plus de problèmes. Nous avons négocié âprement avec la préfecture de Paris ». © Jgp.

« Tout est allé à une vitesse éclair, là où il a fallu négocier dix ans, pour l’empaquetage du Pont Neuf, en 1985 ». © Jgp

La circulation des voitures est proscrite le week-end. © Jgp

Quel était l’interlocuteur le plus délicat à convaincre ?

C’était peut-être le Comité de la flamme sous l’Arc de Triomphe, flamme de la Nation, présidé par le général d’Armée Bruno Dary. Il réunit plus de 500 associations de vétérans et leurs familles. La Flamme est ravivée tous les soirs, à 18h30. Le comité ne souhaitait en aucun cas suspendre ce rituel. Nous avons été à leur écoute, nous nous sommes adaptés et cela a apaisé les tensions. Au cours des 12 semaines d’installation, les travaux étaient interrompus pendant la cérémonie. Aujourd’hui, nous avons d’excellentes relations.

« Un couple de faucons crécerelle nidifie tous les ans sous l’Arc de Triomphe, de janvier à juin ». © Jgp

Qu’est-ce qui était plus difficile : obtenir l’autorisation pour la réalisation du projet ou piétonniser la place de l’Etoile pendant les trois week-ends de la durée de l’événement ?

La piétonisation nous a posé le plus de problèmes. Nous avons négocié âprement avec la préfecture de Paris. C’est finalement les arguments liés à la sécurité qui l’ont emporté. L’accès à l’Arc étant très limité, encore plus depuis la crise sanitaire, on craignait que des spectateurs ne traversent la place de manière sauvage, en s’exposant au danger. La décision a finalement été prise de fermer la circulation les week-ends.

Mais les contraintes n’étaient pas qu’urbaines, les considérations liées à la biodiversité ont fait irruption dans le projet. Pouvez-vous nous raconter de quelle façon ?

Initialement, le monument devait être empaqueté en avril 2020. Dès que cette date a été officialisée dans la presse, nous avons été contactés par la Ligue pour la protection des oiseaux. Ses représentants étaient très inquiets car un couple de faucons crécerelle nidifiait tous les ans sous l’Arc de Triomphe, de janvier à juin. Ce qui nous laissait une fenêtre de tir très étroite, de début juillet au 11 novembre, alors que le projet nécessite presque 20 semaines pour se déployer – 12 pour l’installation, cinq pour le démontage et 16 jours d’ouverture au public. La Ligue a écrit à Christo. Très sensible à la nature et à la biodiversité, il a repoussé la date du projet. Mais il est hélas décédé en mai de la même année.

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Author: Rouja Lazarova