Ile-de-France

Morland mixité capitale, proof of concept d’un urbanisme réinventé

Courez-y ! Morland mixité capitale, dont les différents lieux vont ouvrir ces prochains jours, vient à propos redonner des couleurs aux fameux appels à projets urbains innovants (APUI). Des concours d’un nouveau genre, inventés par Paris en 2014 et souvent décriés depuis, notamment pour la longue gestation des projets qu’ils ont générés, quand ces derniers n’ont pas été tout simplement abandonnés, revus ou suspendus.

Michel Desvigne (paysagiste), David Chipperfield (architecte), Laurent Dumas (promoteur), Sebastian Behmann (artiste) et Philippe Le Bœuf (architecte). © Jgp

David Chipperfield et Laurent Dumas. © Jgp

Vue du rooftop. © Jgp

Morland mixité capitale, inauguré mardi 17 mai 2022, illustre au contraire l’intérêt de la démarche, qui a consisté à mettre en compétition des tènements, laissant aux groupements disciplinaires concurrents le soin de concevoir la programmation, sur la base d’un cahier des charges invitant à l’innovation. « Si ce projet avait été le fruit d’une cession de privé à privé, jamais il n’aurait eu cette mixité », a résumé Laurent Dumas, président d’Emerige, lors de cette inauguration. La nuitée en auberge de jeunesse à 29 euros, conjuguée à des chambres de l’hôtel So’ (Accor, cinq étoiles) à 400 euros illustre cette mixité.

Une halle maraîchère dans une allée traversante

Ariel Weil, le maire de Paris Centre, s’est félicité à son tour de la pluralité fonctionnelle des lieux, qui comptent 6 000 m2 de logements sociaux, autant de logements intermédiaires et 3 000 m2 de logements en accession. Quant aux quelque 9 000 m2 de bureaux, ils accueillent déjà les équipes de la Banque postale asset management. Une allée traversante, publique, reliera le boulevard Morland à la Seine, en passant par une halle maraîchère opérée par Terroirs d’avenir, en circuit-court. L’agriculture urbaine sur des terrasses végétalisées, à la verticale, par Sous les fraises, occupe quelque 2 800 m2.

Ariel Weil. © Jgp

La voûte et le jardin intérieur, dessiné par Michel Desvigne. © Jgp

Un restaurant, opéré par la très hype chaîne de restaurant Paris society, accueillera ses premiers clients dans quelques jours. L’hôtel et le restaurant, installés aux 15e et 16e étages de l’immeuble, abritent une œuvre d’Olafur Eliasson et Sebastian Behmann (Studio Other spaces), composée de miroirs en plafond réfléchissant l’image de la ville. Morland mixité capitale comprendra aussi un centre de fitness sur 1 749 m2 doté d’une piscine et une crèche associative de 63 berceaux. Une mutualisation des équipements sera opérée, la piscine étant ouverte aux clients de l’hôtel et accueillant les élèves des écoles.

Une galerie d’art de 290 m2, gérée directement par Emerige, dont Arthur Toscan du Plantier, le directeur de la stratégie, préside l’association « 1 immeuble 1 œuvre », exposera des œuvres d’artistes internationaux. Plusieurs parkings à vélo, dont un en sous-sols, transportant automatiquement les bicyclettes par ascenseur vers leur parking souterrain, complètent le programme.

Entre les logements, les bureaux, les hôtels, l’auberge de jeunesse et les Parisiens attirés par ce lieu exceptionnel, ce sont quelque 5 000 à 7 000 personnes qui se croiseront chaque jour dans ce bâtiment de l’ancienne cité administrative de Paris, au sommet de laquelle les seuls agents de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) profitaient jusqu’alors de la vue sur Paris, à n’en pas douter une des plus belles.

Le centre de Londres privé d’habitants

« Je me désespère de constater que le centre de Londres est déserté de ses habitants, contrairement à Paris », a indiqué David Chipperfield, l’architecte du bâtiment. Ce dernier a également souligné que la conjugaison d’une restructuration d’un immeuble existant, avec la polyfonctionnalité du programme faisait de ce dernier un défi d’une particulière complexité, exigeant une coopération étroite entre les multiples parties prenantes.

« 43 620 m2 de surface, 15 000 m3 de béton architectonique, 2 800 m2 d’agriculture urbaine, 720 balcons ajoutés, 1 000 m2 d’un jardin doté de 200 arbres »… Jean-Philippe Le Bœuf, président de l’agence d’architecture Calq, qui a œuvré sur ce projet aux côtés de David Chipperfield architects, assurant notamment la maîtrise d’œuvre d’exécution du projet, a égrainé les chiffres du programme, soulignant à son tour sa complexité. La combinaison d’un immeuble de grande hauteur (IGH), de deux bâtiments neufs, le long du boulevard Morland et du quai Henri IV, avec trois niveaux de sous-sols, le tout positionné au-dessus d’une ligne de métro, expliquent également le niveau de technicité requis. Les règles du plan local d’urbanisme, du plan de prévention des risques d’inondation (PPRI), le cadre s’appliquant aux IGH, normes auxquelles s’ajoutent le code du travail, celui de l’habitation et les règles régissant les immeubles recevant du public, qui diffèrent selon qu’il s’agisse de commerce ou d’auberge de jeunesse, ont également été évoqués au rang des haies composant la course d’obstacles qu’a représenté ce chantier hors-normes.

Anne Savard (Agence Calq) a souligné par ailleurs la difficulté technique des voûtes en béton entourant le jardin dessiné par Michel Desvigne. Le paysagiste a insisté sur le caractère exceptionnel représenté par l’étendue totale des surfaces végétalisées du projet (5 000 m2 en tout). « Il est très rare de pouvoir végétaliser des surfaces aussi importantes en cœur d’îlot », a-t-il fait valoir.

Michel Desvigne a insisté sur le caractère exceptionnel représenté par l’étendue totale des surfaces végétalisées du projet (5[insec]000[insec]m2 en tout). © Jgp

La halle maraîchère. © Jgp

Agriculture verticale en terrasse. © Jgp

© Jgp

© Jgp

« La beauté de l’architecture des bâtiments existants provenant de sa rigueur, de son rythme et de ses proportions, nous avons veillé à ce que la forme et la disposition des cultures verticales en toiture soient aussi de l’architecture », a déclaré Michel Desvigne.

32 projets en lice

Laurent Dumas a rappelé qu’Emerige avait été choisi parmi 32 projets présentés au jury du concours. Il a remercié l’ensemble de ses équipes, citant notamment Yann Bloch, directeur général Emerige tertiaire et international, et Julien Desenepart, directeur opérationnel ie d’Emerige, tout comme les ouvriers, auxquels il a rendu un hommage appuyé. Jusqu’à 700 personnes, issues de 180 entreprises, dont Bouygues bâtiment Ile-de-France, s’affairaient ici au plus fort du chantier.

« Au plus fort de la pandémie, l’entrée des compagnons dans l’enceinte du bâtiment s’étalait sur 3h30 », a rappelé le promoteur. Si certains preneurs ou habitants ne sont pas encore arrivés, et que des commerces ouvriront encore prochainement, l’ensemble a été commercialisé, a indiqué Laurent Dumas.

Enfin, les performances écologiques de Morland mixité capitale ont été soulignées. La gestion commune de l’ensemble des ouvrages permet une consommation inférieure de 20 % à la réglementation thermique en vigueur, la chaleur du thermo frigo refroidissant les serveurs informatiques étant par exemple récupérée pour chauffer les logements, l’auberge de jeunesse et l’hôtel. Une boucle énergétique qui évite l’émission de 64 kg CO2 équivalent par m2. Sans oublier un système de phyto-épuration des eaux grises, un circuit d’eau fermé pour l’agriculture urbaine et les 70 m2 de panneaux photovoltaïques en toiture, qui génèrent l’énergie nécessaire aux services généraux du site.

Anne Savard (agence Calq) : « une journée de coulage par voûte »

Anne Savard (Agence Calq). © Jgp

« Les voûtes conçues par David Chipperfield sont authentiques, sans truchement et sont  faites d’une matière brute et visible : le béton, a expliqué Anne Savard (agence Calq). En quelques chiffres : une voûte c’est un pied de 90 cm x 90 cm, une hauteur de 6 m, une corolle (envergure) de 9m x 9 m. Les voûtes sont constituées d’un ferraillage complexe que l’on insère dans quatre éléments de coffrage mobiles assemblés. Cela constitue la phase la plus longue de la réalisation. Vient ensuite le coulage du béton, il faut une journée de coulage en continu et sans reprise de béton pour une voûte, a-t-elle poursuivi. Cet ouvrage monolithique a demandé un travail précis de mise au point au préalable pour la construction et l’architecture du coffrage mais aussi de sa matérialité. Le coulage ne tolère aucune erreur. Deux prototypes et un essai de coulage sur site ont été nécessaires pour fixer le rendu architectural et la méthodologie de construction.

Façades verrières et kaléidoscopes

Anne Savard a aussi détaillé la coiffe de l’immeuble de grande hauteur : « elle comprend la reconstitution de la toiture existante ainsi que deux niveaux d’intervention, a-t-elle indiqué. Les façades, les verrières et les kaléidoscopes qui composent ces deux niveaux sont d’une extrême simplicité en apparence et d’une réelle complexité technique qui se fait habillement oubliée.

Les voûtes. © Jgp

« Au 15e niveau on trouve 445 m2 de plafond miroir suspendu qui composent l’œuvre d’art », a indiqué Anne Savard. © Jgp

Le 1er élément marquant est la taille des éléments verriers. Par exemple au 15e niveau, les vitrages mesurent 4,5 m de large et au 16e niveau 4,5 m de haut. Des moyens de levage et de mise en place exceptionnels ont été nécessaires à leur mise en œuvre. Au 15e niveau on trouve également 445 m2 de plafond miroir suspendu qui composent l’œuvre d’art.

Le 2e élément exceptionnel est l’ensemble verrière et kaléidoscope au 16e niveau. On compte 32 kaléidoscopes suspendus au bout d’un porte-à-faux de 6 m en charpente métallique. De quoi est composé un kaléidoscope ? d’une verrière en verre isolant bombé en partie supérieure, de quatre verres feuilletés avec une couche miroir dégradée. La mise en œuvre de ces 128 feuilles de verre dans un ordre bien précis et des 32 verrières a nécessité une grande minutie mais aussi une rigueur et une maîtrise des assemblages. L’étude de ces ouvrages nous a amené à développer avec les entreprises et bureaux d’étude deux appréciations techniques d’expérimentation avec le CSTB et un avis de chantier afin d’environner les difficultés et complexités techniques de ces ouvrages jamais réalisés dans ces conditions ».


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Author: Jacques Paquier