Ile-de-France

Journées nationales de l’Anru : la leçon climatique de François Gemenne

« Construire ensemble les quartiers de demain ». L’intitulé de la séance plénière des journées nationales de l’Anru, qui est aussi celui le chapeau global de l’événement, ne l’annonçait pas forcément. C’est essentiellement de changement climatique dont les multiples intervenants ont traité. Avec une inédite clarté, à l’image de l’intervention du professeur de géopolitique de l’environnement de l’université libre de Bruxelles François Gemenne.

François Gemenne. © Jgp

« Les médias continuent de parler d’évènement climatique extrême à propos des fortes chaleurs de cet été. C’est à la fois une grave erreur et une faute morale », a-t-il estimé en préambule de son intervention, démontrant, graphique à l’appui, l’accélération de l’élévation des températures depuis les années 2000 sous toutes les latitudes du globe. « Dans 10 ans, on se souviendra avec émotion de l’été 2022, pendant lequel les températures n’avaient dépassé les 40° que durant quelques jours », a-t-il poursuivi. Et nul espoir, assure le scientifique, de voir le mouvement s’inverser. En tout cas pas avant le 22e siècle. « Le réchauffement climatique, provoqué par la concentration de gaz à effet de serre (GES), est une question de stock et non de flux, », a-t-il indiqué, rappelant que la durée de vie de ces gaz était supérieure à un siècle. « Durant les 12.000 ans qui ont précédé la révolution industrielle, cette concentration a stagné autour de 270 parties par million (PPM) (*). Dans les années 80, la concentration de ces GES s’élevait à 337 parties par million. Elle atteint aujourd’hui à 415, et ne doit pas dépasser 450 ppm si nous voulons limiter la hausse de la température à 2° d’ici 2100. Or cette concentration continue d’augmenter de 2,6 ppm chaque année ».

Bonne nouvelle

Avec une bonne nouvelle. Il revient à l’homme de choisir le niveau d’élévation future des températures, et de faire en sorte qu’il ne dépasse pas les 2°, ou au contraire qu’il atteigne au 3, 4° ou davantage encore, avec, selon cette hausse, « des impacts qui n’ont absolument rien en commun ».

« Notre défi est de parvenir à ce que la courbe de l’évolution de la concentration de GES dans l’atmosphère, longtemps horizontale, puis aujourd’hui quasiment verticale, redevienne horizontale », a-t-il résumé. Le chercheur a également insisté sur la nécessité de ne pas se limiter à des politiques de réduction des émissions de GES mais de mener de front des politiques d’atténuation des effets du réchauffement. Des stratégies pour lesquelles les pays du Nord « sont très en retard par rapport aux pays du sud ».

François Gemenne a appelé « à sortir des logiques binaires ». « Il ne s’agit pas de savoir si nous allons gagner ou perdre le bataille climatique. Nous l’avons perdu dans les années 50 – 60. Il faut que chacun comprenne que ce combat n’est pas binaire mais graduel ». « Il ne faut pas céder au découragement, en considérant à tort que toute action est vaine puisque tel ou tel pays, tel ou tel acteur ne joue pas le jeu. Car chaque gramme d’émissions de GES évité va faire la différence. », a-t-il dit en substance.

Jusqu’à la dernière goutte de pétrole

Alors que le bâtiment représente en France 17% de nos émissions de GES, l’universitaire a souligné l’importance de la rénovation urbaine, et donc thermique, soulignant la nécessité de réduire les inégalités, notamment pour permettre à chacun de financer les travaux nécessaires en la matière. Il a pointé trois difficultés qui freinent la mobilisation générale face au réchauffement. L’absence de lien entre l’action d’une génération et son impact sur le climat pour cette génération, l’absence de lien entre les actions menées dans un pays et l’impact du changement climatique sur place, et enfin le nombre et la puissance « de tous ceux qui souhaitent le statu quo, et pas seulement chez les climato-sceptiques ». « Notre société, de même que notre démocratie, s’est construite sur l’exploitation des énergies fossiles. La transition écologique ne se fera pas d’elle-même. Il faudra beaucoup d’énergie et une mobilisation totale d’acteurs publics et privés pour parvenir à l’emporter face à tous ceux qui souhaitent défendre jusqu’à la dernière goutte de pétrole le modèle actuel ».

* : La partie par million (le ppm) est la fraction valant 10–6, c’est-à-dire un millionième.


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Author: Jacques Paquier