Ile-de-France

L’urbanisme programmatique en question aux Entretiens du journal du Grand Paris

Quelle réforme de l’urbanisme programmatique pour relancer la production de logements, y associer la population, tout en relevant les défis du temps et en améliorant la qualité du cadre de vie des Franciliens ? C’est l’équation dont ont débattu mercredi 28 septembre 2022 les intervenants de la dernière édition des Entretiens du Journal du Grand Paris, organisée en partenariat avec la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) d’Ile-de-France.

« Le Grand Paris ne doit pas être qu’un moyen de transport. C’était d’abord un projet », a rappelé Marc Villand, en préambule de son intervention, afin d’expliquer les motivations auxquelles la rédaction d’une longue tribune sur la gouvernance de la région, parue dans nos colonnes, répondait. Un texte autour duquel se sont organisés les débats. « Nous souhaitons également lutter contre un empilement de règles se contredisant, interdisant l’action. Cela dans la région la plus dense de France, qui représente 2 % du territoire, 18 % de la population, 33 % du PIB, qui est une des plus grandes régions industrielles européennes, où l’on vit assez mal. Tous ceux qui ont un pied en province savent que l’on y vit mieux, avec un accès plus facile à un ensemble d’aménités », a poursuivi le président de la Fédération des promoteurs d’Ile-de-France.

De g. à dr. : Daniel Béhar, Zartoshte Bakhtiari, Marc Villand, Jacques Paquier, Eric Cesari et Sandrine Barreiro. © Jgp

Ce dernier a rappelé les grands défis auxquels la région Capitale doit faire face, celui de la hausse de ses habitants, de la biodiversité ou de la transition écologique. « Or on va faire peser sur l’Ile-de-France l’ensemble des contraintes qui pèsent sur les autres régions, sans doute avec une acuité encore supérieure, parce qu’elle est située au cœur du pouvoir français. Cela sans tenir compte de ses spécificités et sans mettre en place les instruments de gouvernance ou de planification adaptés ».

PLU 3D numérique

« Je rêve d’un grand plan local d’urbanisme (PLU) en 3D numérique, avec des volumes capables, dessinant aussi les trames vertes, les continuités écologiques, les moyens de transport, etc., définissant les zones où l’on a décidé de construire et celles que l’on a décidé de préserver, l’ensemble se déclinant à l’échelle communale », a fait valoir le promoteur. Il a constaté « la méfiance totale des populations, vis-à-vis [d’eux], du politique et de l’administration ». Des documents d’urbanisme plus transparents, plus globaux, traitant à la fois de la question du logement, de la nature en ville, des mobilités douces, sont souhaités par la FPI, « Cela pour permettre de comprendre, à l’échelle régionale, puis à celle de la commune, et peut-être à l’échelle de la zone dense, c’est-à-dire de la Métropole, des enjeux entendables par tous ».

Marc Villand, président de la Fédération des promoteurs immobiliers d’Ile-de-France. © Jgp

Pour Marc Villand, un tel document, faisant l’objet d’une validation par les différentes parties prenantes, fruit d’une large et profonde concertation en amont, doit être « beaucoup plus évolutif que les documents actuels ». Cela afin d’éviter les lourdeurs administratives, à l’image des modifications de PLU, « qui prennent aujourd’hui des années ». « On demande beaucoup aux maires, qui se retrouvent sous pression, avec en leurs mains des instruments désuets. Nous sommes toujours dans le zoning des années 1960 », estime Marc Villand. Le président d’Interconstruction a détaillé la notion de PLU ou de volumes « capables », c’est-à-dire autorisant de facto les projets s’y conformant. Cela « alors que les PLU sont aujourd’hui utilisés comme des plafonds, jamais utilisés à leur maximum, notamment face à l’hostilité des populations à la densification ».

La nécessité d’une échelle supra-communale

Sandrine Barreiro a présenté la carte des documents d’urbanisme existant en Ile-de-France. « Chacun de ces documents a un rôle et résulte d’une concertation », a souligné la directrice de la mission planification de l’Institut Paris Region. L’échelle régionale est la bonne pour prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux, « l’ensemble des fractures territoriales franciliennes », de même que les questions de souveraineté régionale et nationale, a-t-elle estimé. « Le schéma directeur de la région Ile-de-France a une vraie vocation de mise en cohérence de l’ensemble des politiques thématiques qui vont ensuite être déclinées dans des schémas spécifiques », a-t-elle poursuivi.

Pour Sandrine Barreiro, la combinaison des documents d’urbanisme existants permet un lien entre la question de l’aménagement au sens large, les aménités urbaines, la biodiversité, le traitement des îlots de chaleur et le traitement plus spécifique de la question de la construction de logements. « Cette combinaison entre un schéma directeur régional et un schéma régional de l’habitat et de l’hébergement permet de déterminer d’une part les zones où il est utile de construire, en lien avec les transports, les équipements publics nécessaires, et d’assurer d’autre part une fonction plus programmatique », a souligné la directrice de la mission planification.

Sandrine Barreiro, directrice de la mission planification à l’Institut Paris Region. © Jgp

« Cette combinaison pourrait avoir une déclinaison opérationnelle à l’échelle de l’intercommunalité, dans le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), qui peut avoir une fonction de plan local de l’habitat, faisant lui aussi la jonction entre la question du logement et celle de l’urbanisme », a souligné Sandrine Barreiro, rappelant la nécessité « de documents d’urbanisme à l’échelle supra-communale » pour répondre aux défis de la construction de logements, à l’heure de la raréfaction du foncier et du zéro artificialisation nette.

« Il faut être un technicien pour comprendre ces documents », a fait valoir Marc Villand, qui appelle de ses vœux des documents en nombre plus restreint, « ergonomiques et accessibles au public ».

L’intercommunalité en question

L’intercommunalité en Ile-de-France ne fonctionne pas comme ailleurs sur le territoire national, ont convenu les différents intervenants. « En Bretagne, le Pays malouin cela signifie quelque chose, avec une terre, une capitale historique, même chose à Angers ou Tours, a repris le président de la FPI francilienne. Mais en Ile-de-France, où sont les vallées ? », s’est-il interrogé, insistant sur la nécessité d’un traitement spécifique de la région Capitale en la matière.

Un constat repris par Daniel Béhar : « On considère parfois que si l’intercommunalité ne fonctionne pas en première couronne, c’est pour des raisons conjoncturelles, liées à l’organisation de la Métropole et de la double couche qu’elle forme avec les Territoires. Mais la réalité est que l’on est dans un système tout à fait singulier, qui englobe la deuxième couronne, où il n’y a pas de bassin de vie. Nulle part. Du coup, même les EPCI de seconde couronne ne fonctionnent pas comme les métropoles ou les villes chef-lieu de province ».

Le géographe a pris l’exemple de Massy (Essonne), à la fois tourné vers Saclay, vers les Hauts-de-Seine et vers Orly, pour démontrer la complexité francilienne. « Comme il n’existe pas de bassin de vie, il n’y a pas tout ce que cela entraine : la capacité à avoir un leadership politique, un maire-président, un projet de territoire, et donc une capacité à transcender les compétences réglementaires ». « Je me demande, toutefois, si l’exception est francilienne, ou si ce ne sont pas les villes chef-lieu », a poursuivi le professeur de l’Ecole d’urbanisme de Paris, constatant que des problèmes similaires d’absence de leadership se retrouvent en zones rurales.

Daniel Béhar, géographe et consultant, professeur à l’Ecole d’urbanisme de Paris. © Jgp

« La planification, c’est une vision, un programme, des règles, a repris Daniel Béhar, et la vision c’est le projet. Or le Grand Paris, c’était avant tout selon l’expression de Nicolas Sarkozy ou Christian Blanc, un projet pour la France, dans le contexte de la fin des années 1980 et du début des années 2000 ». Autrement dit un projet visant à accroitre la compétitivité de la France, avec un Grand Paris ville-monde.  « Désormais, la question est davantage celle de la souveraineté que de la compétitivité nationale, estime le chercheur, ce qui pose la question du rapport entre le Grand Paris et la province d’une façon assez différente de ce qu’étaient les termes du débat il y a une quinzaine d’années. La question du projet du Grand Paris devrait être actualisée, en se demandant ce qu’est aujourd’hui le projet de l’Etat pour le Grand Paris ».

Daniel Béhar a fait référence à une récente étude de l’Insee, montrant que si 150 000 nouveaux habitants étaient arrivés en Ile-de-France au cours des dernières années, 250 000 personnes avaient quitté la région, aboutissant à un solde négatif, inédit, de 100 000 personnes. « La région est toujours aussi attractive, mais on la quitte de plus en plus », a résumé le consultant, rappelant les tensions entre les promesses métropolitaines d’une part, celle d’une ville-monde offrant des possibles comme nulle part ailleurs en France, et la condition métropolitaine, marquée par la « lutte des places », de l’autre. « Pour moi, le projet métropolitain doit consister à adoucir la condition métropolitaine, car c’est dur de vivre en Ile-de-France ».

Dépasser les clivages politiques

« On peut se réjouir de voir une institution capable de dépasser les clivages politiques pour arriver à un accord quasi unanime, sur des documents aussi stratégiques que le schéma de cohérence territoriale (Scot) ou le plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement (PMHH), a déclaré Eric Cesari. Le président Ollier a parfaitement raison de s’en réjouir. On n’insiste pas assez, à mon sens, sur les mérites de la métropole du Grand Paris d’avoir su créer les conditions d’une gouvernance partagée ».

Concernant le PMHH, dont le deuxième arrêt n’a pas été adopté, le vice-président de la Métropole a indiqué que cet inaboutissement résultait de l’action de l’Etat, qui souhaitait imposer un chiffre de construction de logements par commune que les maires refusent, toutes sensibilités confondues. « Nous sommes encore dans une vision colbertiste, dans laquelle l’Etat devrait tout décider, effectuant, à partir de grandes masses, des projections arithmétiques. Nous sommes pris dans un entrelacs de responsabilités partagées avec un Etat qui joue les arbitres, donne des instructions mais plus de financement », a déploré l’élu.

Pour Eric Cesari, « il faut reprendre la question à la base, en se demandant quel doit être le rôle d’une métropole mondiale telle que le Grand Paris. Cela revient à se demander si l’on est capable, dans ce pays, de ne pas mettre tout le monde à la même toise. Les enjeux du Grand Paris ne sont pas ceux du Grand Tours ».

Eric Cesari, vice-président (LR) de la Métropole du Grand Paris, et Jacques Paquier, directeur de la rédaction du Journal du Grand Paris. © Jgp

Faut-il en finir avec la République ou la métropole des maires, qu’une formation spéciale de la Cour et de la chambre régionale des comptes fustige dans un rapport à paraître consacré à l’intercommunalité en Ile-de-France ? « Le rôle des maires peut être critiqué, répond Eric Cesari, mais si l’on veut rester dans un schéma démocratique, il n’y a pas mieux que le maire pour l’incarner et pour défendre les intérêts de ses habitants sur le territoire ».

Echelle politique, échelle technique

Zartoshte Bakhtiari a évoqué la ZAC de Maison Blanche, en cours d’aménagement sur sa commune de Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), dans laquelle 4 200 logements sont en cours de construction, un chiffre revu à la baisse. « Les temps ont changé entre le moment où le projet a été conçu et sa réalisation, a fait valoir l’élu. Sur ces questions, il faut se poser deux questions : celle de la bonne échelle politique et celle de la bonne échelle technique », a-t-il estimé.

Zartoshte Bakhtiari, maire (LR) de Neuilly-sur-Marne. © Jgp

« Pour batailler contre l’Etat, qui cherche souvent à nous imposer ses vues, ou travailler avec lui, la bonne échelle politique peut être la Métropole, qui permet de peser, de faire passer des messages. Mais il ne faut pas, en effet, oublier l’échelle démocratique, incarnée par les maires. Le président d’un Territoire de 300 000 ou 400 000 habitants est inaccessible, invisible pour les habitants ». Concernant la bonne échelle technique, Zartoshte Bakhtiari a pris l’exemple du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), déplorant le transfert des agents des services de l’urbanisme de sa commune vers ceux du Territoire. « Aujourd’hui, ces agents sont devenus inaccessibles, même si nous représentons 1/10e des habitants de Grand Paris Grand Est ». « La bonne échelle technique doit rester [celle du] maire », a-t-il estimé.


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Author: Jacques Paquier