Disparition : Roland Castro, un humaniste pionnier du Grand Paris
« J’ai toujours préféré faire confiance, au risque de me faire parfois avoir, que d’essayer de fliquer mes collaborateurs », m’avait confié un jour Roland Castro, à la fin d’un déjeuner au Petit Célestin, où il avait pris ses habitudes face à la Seine. Il venait de cesser de fumer, lui que l’on ne voyait jamais un quart d’heure sans une clope au bec.
Sa voix, rocailleuse, était reconnaissable entre toutes : celle d’un intellectuel, d’un artiste, d’un visionnaire, d’un politique aussi, amateur de formules. Un séducteur, qui cherchait à faire rire son auditoire, mais un poète et un humaniste surtout, convaincu depuis toujours de l’importance du contexte et de la nécessité d’offrir à tous, et d’abord aux plus modestes, un cadre de vie esthétique. « Il aimait les gens, le peuple, les autres. Ce que je retiens de lui, c’est une immense générosité », se souvient Pierre Mansat. L’ancien président de l’Atelier international du Grand Paris cite ses dernières œuvres, la tour « Habiter le ciel » et ses jardins aériens, entre Saint-Denis et Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), ou le Mama Shelter, rue de Bagnolet à Paris, où l’élu du 20e et l’architecte aimaient se retrouver.
Pierre Mansat évoque aussi le rôle de Roland Castro autour de Maurice Leroy, dans les négociations entre l’Etat, la Région, la RATP et la SNCF, qui aboutirent à la création du Grand Paris express, grâce à une intelligence collective et un art de vivre à la française auxquels l’architecte et le ministre de la Ville étaient également attachés.
Un homme de cœur
« Il avait le cœur obèse », résume son compagnon de route, l’architecte Michel Cantal-Dupart, qui inventa avec lui Banlieue 89 (voir ci-dessous). « Le Grand Paris express découle du tramway reliant les forts que nous avions proposé à François Mitterrand », ajoute l’architecte. « Nous n’étions pas, en 1968, du même côté des barricades, soulignait Patrick Ollier en 2019, lors de la présentation de son livre du Grand Paris à Paris en Grand. Mais nous avons cheminé ensemble, appris à nous connaître et à nous apprécier », poursuivait le président de la métropole du Grand Paris.
A Oullins, à Vénissieux, aux Minguettes, il démontra que l’on pouvait transformer des cités grâce à des interventions minimalistes, en palissant de la végétalisation sur les façades, en requalifiant le rapport au sol et la manière d’entrer dans les immeubles. « Nous cherchions à chaque fois à nous appuyer sur ce qui est déjà là, à déceler ce qui constitue l’identité du lieu, ses qualités spatiales, géographiques, paysagères, architecturales pour reconstruire la ville sur la ville, et à réintroduire des codes urbains classiques pour retrouver urbanité, hospitalité et fierté, et transformer l’imaginaire du grand ensemble », se souvient Sophie Denissof, qui fut son associée et sa compagne.
« C’était un être précieux, un être vivant, qui savait que la ville est aussi un organe vivant, ajoute Dominique Alba. Il a toujours su se renouveler, de Banlieue 89 jusqu’à son rapport sur Paris en Grand, sur lequel nous l’avions accompagné, en passant par Habiter le ciel », poursuit la directrice de l’Atelier Jean Nouvel, qui évoque sa volonté plus récente de travailler sur l’A86 ou l’A104 et salue son infatigable énergie.
Avec François Mitterrand sur la route des Forts
Roland Castro et Michel Cantal-Dupart inventèrent « Banlieue 89 » en tant que chargés de mission des premiers ministres de François Mitterrand, Pierre Mauroy d’abord, puis Laurent Fabius et Jacques Chirac. « C’est Marcel Dassault qui, en 1981, avait lancé l’idée de l’organisation par la France d’une exposition universelle, se souvient Michel Cantal-Dupart. Mais elle n’eut pas lieu, notamment car Paris traina les pieds, ce que Jacques Chirac regretta par la suite ».
Les deux architectes planchent dans le cadre de la préparation de cet événement avec le directeur de la construction pour que les banlieues françaises bénéficient de l’initiative. Si l’idée de l’exposition universelle ne prospère pas, celle d’une réflexion sur les banlieues demeure. Roland Castro et Michel Cantal-Dupart emmènent François Mitterrand dans une promenade urbaine reliant les forts du Grand Paris. A son terme, à Saint-Denis, Roland Castro propose au président de la République de leur rédiger une lettre de mission. « Nous serons vos corsaires », lui dit Roland Castro. « Je ne suis pas Louis XIV », lui répond François Mitterrand. Mais c’est ainsi que nait Banlieue 89. « Nous aurions pu nous contenter de créer une mission et de percevoir notre traitement de haut-fonctionnaire, mais ce qui fait le génie de Roland, c’est qu’il décide de réunir une assemblée de maires à la Mutualité pour leur demander de proposer des sites à la maille intercommunale, susceptibles d’accueillir des projets architecturaux contribuant à améliorer le cadre de vie », se souvient Michel Cantal-Dupart. L’initiative prend. Trois mois plus tard, en février 84, 74 projets sont proposés, en présence de Philippe Seguin, maire d’Epinal, de Jacques Chaban-Delmas (Bordeaux) ou de Jacques Delors, (Clichy-la-Garenne).
« Je prétends dans mon rapport que tout le monde, comme M. Jourdain faisait de la prose, peut être scénariste urbain, que tout le monde met en scène sa vie et que la ville devrait être faite comme ça. Le drame de la question urbaine vient du fait qu’elle n’est pas pensée d’abord par un promeneur ».
« Nous, les architectes, nous travaillons dans la durée. On a une idée, une bonne idée parfois et il faut dix ans pour que les gens la voient, que les gens la vivent et s’y promènent. Ça va être le cas avec une tour que l’on fait à Aubervilliers, à la station de métro Front populaire, un travail que l’on a initié depuis 10 ans, qui va enfin s’effectuer. C’est le tarif du rapport entre la pensée et la fabrication. Et pour Paris en Grand, c’est pareil et c’est pire ».
Go to Source
Author: Jacques Paquier