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Le RV du docteur Cocaul : le jeûne, fumisterie ou nouvel élixir de jouvence ?

Spécialiste de la nutrition, le docteur Arnaud Cocaul nous propose un rendez-vous mensuel pour des conseils avisés. Le sujet de ce mois : la mode du jeûne. Les scandales sanitaires répétés, les doutes actuels portant sur le sucre, le lait, y compris infantile, le gluten, le bio, l’abattage des animaux, l’épandage de pesticides, l’échec patent des régimes, la montée en puissance des maladies de société comme l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires, la volonté de revenir vers des bases saines, vers plus d’éthique… Tout cela pousse de plus en plus d’individus vers de nouvelles manières de consommer et pourquoi pas à se purifier via un jeûne poussé plus ou moins loin. On veut se purger et se nettoyer de tous les miasmes de notre société malade. Est-ce justifié ?

On évoque le jeûne thérapeutique en particulier sur les réseaux sociaux. Certains de mes patients séduits ont même été jusqu’à effectuer des stages en Allemagne dans les cliniques Buchinger qui disposent d’un vrai accompagnement médical moyennant de solides et conséquents émoluments.

Régulièrement, des émissions s’emparent du sujet, on y voit des reportages type Jeûne et randonnée où des personnes paraissant saines de corps et d’esprit se lancent dans des programmes drastiques de jeûne en y combinant des randonnées sur des périodes assez longues de plusieurs jours voir semaines.

Alors qu’en pense le médecin ?

Je suis de nature cartésienne et j’ai été élevé dans le concept de la médecine basée sur des faits (evidence based medicine) et non du partage communautaire imposant son point de vue voire son diktat (evidence based community).

Nous sommes entrés dans une ère de scientisme où quelques esprits retors pensent pouvoir faire fi d’études randomisées publiées dans des revues médicales à comité de lecture indépendant et imposer aux autres des approximations qu’ils érigent en certitudes imparables et indiscutables.

« Je sais que je ne sais pas » disait Socrate et cette phrase devrait figurer sur tous les sites médicaux et sur les réseaux sociaux s’aventurant dans le champ mouvant de la médecine.

Nous n’avons actuellement aucune certitude concernant le bien-fondé d’un jeûne. On rappelle que le jeûne n’est l’apanage que de la seule espèce humaine : aucun animal ne s’y soumet. Je préciserai également que dans toutes les religions le jeûne est précédé ou suivi d’excès alimentaires, donc l’exact opposé. Je constate cela dans l’équilibre pondéral où l’amaigrissement est suivi d’une période très rapide de reprise de poids et de restockage comme si l’organisme trop frustré refaisait des réserves en quantité.

Je suis cependant conscient que beaucoup de personnes jeûnent en en faisant un acte de résistance, tentant ainsi de retrouver un sens à leur existence. Donc, ils pratiquent cela plutôt comme un acte spirituel et non pas médical.

L’Inserm a publié en 2014 un état des lieux de la littérature scientifique concernant le jeûne préventif et thérapeutique. On ne dispose que de très peu d’études étayées car il est très difficile de solliciter des volontaires sur une période assez longue versus des sujets témoins. Donc le biais de recrutement est suffisamment conséquent pour mettre à mal les conclusions des études.

On évoque souvent les travaux des chercheurs soviétiques. Il faut quand même remarquer qu’être volontaire en URSS dans les années 1950 n’a peut être pas le même sens que dans notre monde occidental. En France, aucune pratique de jeûne n’est actuellement médicalement encadrée, ce qui laisse le champ libre à des pseudo-scientifiques, voire à des charlatans qui voient le filon.

L’efficacité du jeûne n’est pas prouvée

Oui, je me méfie du jeûne car souvent il a été mis en avant comme méthode amaigrissante. Or, nous savons qu’au bout de 1 à 5 jours de jeûne, l’organisme se sert au détriment des acides aminés et cela se fait non pas en puisant dans des réserves (inexistantes) en protéines mais bien au détriment de la masse musculaire, qui fond rapidement, avant que d’autres mécanismes moins péjoratifs ne se mettent en place. Une perte de plus de 50 % de la masse musculaire n’est pas compatible avec la vie.

Quant à l’utilisation du jeûne avant une chimiothérapie afin de mettre au repos les cellules saines et accroître la tolérance et l’efficacité du traitement, nous disposons de résultats très contrastés qui ne sont pas actuellement validés.

Donc, vous l’avez compris, restons prudents et validons nos informations en évitant de nous transformer en moutons décérébrés… Mais continuons d’étudier.

En savoir plus sur le Dr Arnaud Cocaul

Le Dr Arnaud Cocaul est médecin nutritionniste, spécialisé dans la prévention de l’obésité et les troubles du comportement alimentaire en général. Il intervient dans les médias autour de sujets concernant la nutrition, et est favorable à une interface avec les médias. Il dispense des conférences grand public toujours dans l’esprit d’être un passeur et a participé à la réalisation d’une application ludique (Serious game) pour mobile, baptisée KcalMe.

Son encyclopédie des super aliments :

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