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CRISPR-Cas9 : les ciseaux génétiques sont-ils dangereux ?

La revue Nature Methods a décidé de retirer un article qu’elle avait publié en mai 2017. Cette étude controversée expliquait que les ciseaux génétiques CRISPR-Cas9 avaient induit des mutations involontaires chez des souris.

Dans un éditorial daté du 30 mars 2018, la revue Nature Methods explique pourquoi elle a décidé de retirer un article qu’elle avait pourtant accepté l’an passé. L’étude parue en mai 2017 affirmait que CRISPR-Cas9 causait des changements inattendus dans l’ADN de souris. Si ces résultats s’appliquaient à l’Homme, cela signifiait que des thérapies expérimentales utilisant CRISPR s’avéraient dangereuses.

Suite à cette publication de 2017, de nombreux scientifiques ont émis des critiques sur la validité de l’étude, dont cinq sont publiés dans Nature Methods. D’après eux, l’étude n’avait pas de témoin qui permettait d’affirmer que les mutations observées étaient vraiment dues à CRISPR. En juillet 2017, des scientifiques avaient déjà publié un article dans BioRχiv expliquant les faiblesses de la démonstration.

Controverse sur le témoin de l’expérience

Plus précisément, comme nous le décrivions dans l’article ci-dessous, les chercheurs ont essayé de corriger une mutation chez des souris en utilisant CRISPR. Ensuite, ils ont recherché des modifications dans tout le génome de deux souris traitées avec CRISPR et les ont comparés à celui d’une souris témoin. Comme il y avait des différences entre les animaux traités par CRISPR et le témoin, ils ont attribué ces différences à CRISPR. Cependant, même si les souris étaient consanguines, il n’est pas possible de savoir si ces variations sont vraiment dues à CRISPR ou à des différences pré-existantes.

C’est pourquoi la revue a décidé de retirer l’article, bien qu’il ait été relu par des « pairs » avant publication. La revue fait son mea-culpa, indiquant qu’elle aurait dû choisir un relecteur supplémentaire expert dans la génétique des souches de souris consanguines. Alors l’outil CRISPR-Cas9 est-il dangereux ou pas ? Si l’étude incriminée révèle des faiblesses, le débat n’est pas clos…

Ce qu’il faut retenir

  • Le système CRISPR-Cas9 est un outil de modification rapide et peu coûteux du génome.
  • Une étude a trouvé des centaines de mutations inattendues dans le génome d’une souris traitée par CRISPR-Cas9.
  • Ceci soulève de nombreuses interrogations quant à une possible utilisation de la technique chez l’être humain.

Pour en savoir plus

CRISPR-Cas9 : les ciseaux génétiques sont-ils dangereux ?

Article paru le 20 janvier 2018

Alors que s’ouvrent en ce début 2018 les états généraux de la bioéthique, les ciseaux génétiques CRISPR-Cas9 vont être au centre de nombreux débats. Cet outil d’« édition génomique », qui permet de modifier facilement le génome, promet de guérir des maladies génétiques, par exemple en corrigeant les gènes d’un embryon. En plus de soulever des questions éthiques sur la modification du génome, les ciseaux moléculaires n’apparaissent pas totalement sûrs. En mai 2017, une étude montrait que des souris ainsi modifiées portaient des centaines de mutations inattendues.

Article paru le 30 mai 2017

CRISPR-Cas9 est un outil d’édition génomique capable de modifier le génome de plantes, d’animaux et donc d’êtres humains, ouvrant ainsi la voie à d’immenses possibilités. Cette technologie, qui a marqué une révolution dans les laboratoires, consiste à utiliser une protéine qui se met en quête d’un gène particulier, coupe un morceau d’ADN et le remplace par un autre. Elle peut donc « corriger » un gène défectueux.

Cette technique a d’ores et déjà été employée pour modifier le génome d’animaux. Ainsi, des chercheurs ont-ils créé des vaches transgéniques résistantes à la tuberculose voici quelques mois.

CRISPR-Cas9 a aussi été employé pour modifier des embryons humains. Récemment, des chercheurs chinois ont modifié des cellules humaines avec cette technique. La Chine et les États-Unis sont entrés en compétition pour des essais cliniques qui devraient voir le jour prochainement. Mais alors que certains chercheurs commencent à tester CRISPR-Cas9 chez l’Homme, d’autres tirent la sonnette d’alarme sur les risques liés à des mutations inattendues.

Dans une nouvelle recherche à paraître dans Nature Methods, les chercheurs ont passé en revue tout le génome de deux souris sur lesquelles avait été utilisée la technologie CRISPR. Ils ont recherché des mutations dans le génome, y compris quand un seul nucléotide était modifié.

Des mutations indésirables dans des zones « hors cible »

Lors de ces travaux, la technique avait pu corriger avec succès un gène lié à la cécité des souris. Mais les animaux avaient aussi plus de 1.500 mutations où un nucléotide avait été changé, ainsi que 100 délétions et insertions plus vastes. Les animaux ne présentaient visiblement pas de problèmes particuliers.

Il est essentiel que la communauté scientifique considère les dangers potentiels de toutes les mutations hors cible provoquées par CRISPR

Dans un communiqué, l’équipe explique : « Aucune de ces mutations d’ADN n’a été prédite par des algorithmes informatiques largement utilisés par les chercheurs pour rechercher des effets hors cible ». Les mutations n’auraient pas été détectées précédemment par les algorithmes car ceux-ci explorent plutôt les régions du génome qui ont le plus de chances d’être touchées, explique Science Alert. Pour Alexander Bassuk, de l’université de l’Iowa, « ces algorithmes prédictifs semblent faire un bon travail lorsque CRISPR est utilisé dans des cellules ou des tissus dans une boîte, mais le séquençage du génome complet n’a pas été employé pour rechercher tous les effets hors cible chez les animaux vivants ».

Stephen Tsang, de l’université de Columbia, qui a participé à ces travaux, s’inquiète de l’utilisation de CRISPR-Cas9 : « Nous estimons qu’il est essentiel que la communauté scientifique considère les dangers potentiels de toutes les mutations hors cible provoquées par CRISPR, y compris des mutations nucléotidiques et des mutations dans des régions non codantes du génome ».

Cette recherche paraîtra dans un article intitulé Unexpected mutations after CRISPR-Cas9 editing in vivo.

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