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Boson de Higgs : l’origine de la masse des quarks se précise

Le boson de Brout-Englert-Higgs n’explique pas la masse des protons et des neutrons mais il sert bel et bien à donner des masses à leurs constituants, les quarks, dans le cadre de la théorie standard des hautes énergies. Au LHC, les détecteurs Atlas et CMS viennent de le confirmer avec le quark top. Cela peut ouvrir une fenêtre sur une nouvelle physique expliquant les valeurs précises de ces masses.

Qu’est-ce que le boson de Higgs ?  Avant d’être découvert, le boson de Higgs a été postulé. Cette particule singulière, qui n’est ni de la matière ni le véhicule d’une force, était une pièce manquante des théories existantes. Nathalie Besson, physicienne au CEA, nous explique pourquoi les scientifiques ont introduit cet étrange boson. 

Lors de l’émouvant hommage rendu au physicien Pierre Binétruy il y a un mois, le célèbre physicien théoricien Jean Iliopoulos, membre de l’Académie des sciences, lauréat de la prestigieuse médaille Dirac et qui a été un des architectes du modèle standard (en prédisant avec Sheldon Glashow et Luciano Maiani l’existence d’un nouveau quark, qu’on appellera par la suite « charme »), a soutenu l’idée qu’il était temps désormais de parler de la « théorie standard de la physique des hautes énergies » et non plus du « modèle standard ».

En effet, avec la découverte du boson de Brout-Englert-Higgs faisant suite à celle des bosons W et Z ainsi qu’aux impressionnantes confirmations dans les collisions au LHC de bon nombre d’autres prédictions de la théorie électrofaible combinée à celle de la chromodynamique quantique, ce modèle est si solidement établi que la prudence n’est plus de mise.

N’oublions pas pour autant que la théorie standard contient de nombreux paramètres libres dont les origines restent inconnues. Il est toutefois possible de tenter de découvrir ces paramètres en faisant des mesures fines de certains d’entre eux, car ils pourraient contenir des signes d’une nouvelle physique.

Les membres des collaborations Atlas et CMS (du nom des deux détecteurs géants permettant d’analyser les produits des collisions de protons au LHC) viennent justement de faire savoir, via deux articles sur arXiv, que nous avions à nouveau des raisons de faire confiance à la théorie standard et qu’une nouvelle fenêtre sur ce qui pourrait se trouver au-delà venait de s’ouvrir.

Des scientifiques d’Atlas, du CMS et du département de Théorie du Cern expliquent la portée des résultats annoncés sur l’interaction entre le boson de Higgs et le quark top. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais apparaissent alors. Cliquez ensuite sur la roue dentée à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Cern

La masse du quark top

Initialement, l’existence du boson de Brout-Englert-Higgs (BEH) ou, plus précisément, le mécanisme de Brout-Englert-Higgs qui la suppose était un moyen de donner des masses aux bosons W et Z, les particules vectrices des interactions nucléaires faibles (il n’explique pas du tout la masse des protons et neutrons, qui vient en fait des gluons de la QCD). Mais les physiciens se sont rapidement rendu compte que la théorie standard pouvait aussi donner des masses aux particules de matière, en l’occurrence, aux quarks et aux leptons. Comme expliqué dans les articles ci-dessous, ces masses sont liées à ce que l’on appelle « des paramètres de Yukawa ». Ces derniers connectent des réactions de production et de désintégration des quarks et des leptons via des productions et des désintégrations du boson de Brout-Englert-Higgs. Techniquement, il s’agit d’un couplage entre le champ du boson BEH et le champ de matière du quark top.

Il existe de nombreuses réactions possibles, des « canaux », comme le disent les physiciens dans leur jargon. Ceux-ci ont donc entrepris de vérifier leur existence et de mesurer les probabilités de leur occurrence afin de mieux comprendre l’origine des masses des particules de matière. Les physiciens du LHC ont vérifié l’existence de certains de ces canaux et, aujourd’hui en particulier, de certains concernant le quark top (il y a notamment une réaction dite tt̄ H avec un quark top, un antiquark top et un boson BEH), ce qui confirme que le boson BEH est bien à l’origine de la masse du quark top.

Cette masse est énorme puisqu’un quark top est environ 100.000 fois plus lourd que le quark up constituant les protons ; elle est proche de celle d’un noyau de tungstène. C’est un avantage pour étudier des couplages de Yukawa, car cette masse rend certaines réactions plus probables, et donc plus facilement observables (bien que ces réactions restent très rares et difficiles à extraire du bruit de fond des autres réactions lors des collisions de protons). À terme, mesurer finement ces couplages pourrait nous dire que le boson BEH est en fait un état lié de nouvelles particules fondamentales. En effet, le mécanisme BEH a été inspiré par la théorie de la supraconductivité, laquelle utilise des « paires de Cooper » formées de deux électrons, des fermions, qui se comportent comme des bosons.

Ce qu’il faut retenir

  • Le boson de Brout-Englert-Higgs (BEH) a d’abord été utilisé pour donner des masses aux bosons W et Z, les quanta d’énergie de la force nucléaire faible. Mais le champ du boson BEH peut également donner des masses aux quarks et aux leptons (des fermions qui sont les particules de matière).
  • Le mécanisme donnant des masses à ces fermions fait intervenir ce que l’on appelle « des couplages de Yukawa » et il se manifeste par l’existence de canaux de désintégration du boson BEH en particules de matière.
  • Ces canaux ont été observés avec le tauon (un lepton), le quark beau et, maintenant, le quark top. L’étude de ces canaux pourrait révéler une nouvelle physique.

Pour en savoir plus

L’origine de la masse des quarks

Article de Laurent Sacco publié le 24/07/2017

Le boson de Brout-Englert-Higgs donne des masses aux particules médiatrices de la force nucléaire faible, mais très probablement aussi aux quarks et aux leptons. Les preuves de ce phénomène commencent à s’accumuler sous la forme de désintégrations de bosons de Higgs en leptons, et maintenant en quarks.

Il y a quatre ans, les chercheurs et ingénieurs du Cern se préparaient à mettre à niveau le LHC pour permettre son redémarrage deux ans plus tard avec des faisceaux de protons encore plus lumineux, poursuivant l’objectif de faire, à terme, des collisions à 14 TeV. Futura avait alors expliqué, dans l’article ci-dessous, que l’on commençait à voir des désintégrations du boson de Brout-Englert-Higgs en particules de matière.

Le modèle de Glashow-Salam-Weinberg donne incontestablement des masses aux bosons W et Z, les cousins du photon pour la force éléctrofaible. Mais il est susceptible aussi de donner des masses aux leptons et aux quarks qui viennent de quantités appelées « des couplages de Yukawa » et dont les caractéristiques exactes doivent pouvoir se tirer d’une théorie plus profonde, au-delà du modèle standard. Vérifier l’existence de ces couplages, et, surtout, les mesurer, pourrait donc nous permettre de pénétrer dans un nouveau domaine de la physique.

En 2013, on commençait à avoir des preuves de l’existence de ces couplages via la désintégration du boson de Higgs en un lepton : le tauon. Mais il fallut attendre de nouvelles données, celles fournies depuis 2015 par la deuxième campagne de recherche avec le LHC, le run 2, pour démontrer fermement l’existence de cette désintégration.

Une vidéo sur le démarrage de la seconde campagne d’observation avec le LHC en 2015. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres apparaissent alors. Cliquez ensuite sur la roue dentée à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © ATLAS Experiment

Des bosons qui se désintègrent en leptons mais surtout en quarks b

C’est désormais chose faite, mais, comme l’expliquent les membres de la collaboration Atlas, ce détecteur géant au LHC commence maintenant à voir l’effet d’un autre couplage de Yukawa, celui associé à la masse des quarks beaux (les quarks b), c’est-à-dire des paires de quarks et d’antiquarks b produits par la désintégration du boson de Higgs.

Là encore, il va falloir que « la statistique grimpe », comme disent les physiciens dans leur jargon, avant d’avoir une preuve qu’au moins un quark possède une masse en raison de l’existence du mécanisme de Brout-Englert-Higgs (BEH). Mais, dernièrement, le Cern a annoncé avoir battu un record de luminosité avec le LHC, donc on ne peut qu’être optimiste. Bien que la masse des quarks ne rende pas du tout compte de la masse du proton et du neutron, pas plus que le champ de BEH d’ailleurs, mieux comprendre l’origine de la masse des quarks pourrait avoir des conséquences intéressantes dans le cadre du débat sur le fameux principe anthropique.

En tout état de cause, le canal de désintégration du Higgs en quarks beaux est, en lui-même, intéressant parce qu’il est a priori celui qui est dominant parmi les canaux de désintégration de ce boson. En fait, il représenterait même 58 % de ces désintégrations, contre 30 % pour les canaux avec photons, bosons W ou Z et tauons. On aurait ainsi assisté à la production d’environ un million de paires de quarks-antiquarks beaux par désintégration du Higgs (H→bb) dans les détecteurs du LHC.

Pourquoi ne commence-t-on que maintenant à parler de la détection de ce canal avec, pour le moment, un signal à encore 3.6 sigmas (σ) ? Tout simplement parce qu’il y a un fort « bruit de fond », comme disent les physiciens. Les collisions de protons produisent beaucoup de quarks et d’antiquarks beaux par d’autres processus. Ainsi, il n’est guère facile d’identifier ceux produits par le boson de Higgs et ceux produits par d’autres réactions. Il va tout de même falloir attendre un signal à 5 σ, donc encore plus de données collectées, pour parler d’une vraie découverte.

Il est possible que l’étude fine des couplages de Yukawa avec une découverte d’une nouvelle physique à la clé ne soit possible qu’avec une autre machine, possédant, elle, un faible bruit de fond hadronique, l’ILC. Mais c’est une autre histoire…

L’origine des masses des quarks et leptons précisée

Article de Laurent Sacco publié le 02/12/2013

Les prédictions les plus importantes du modèle électrofaible basé sur le mécanisme de Brout-Englert-Higgs (BEH) concernent les masses des bosons W et Z. La découverte du boson de BEH vient d’ailleurs de la détection de sa désintégration en ces particules ainsi qu’en un autre boson, le photon. Grâce au détecteur Atlas, au Cern, on s’approche de la preuve que le mécanisme BEH explique aussi les masses des particules de matière, et pas seulement celles des bosons, ces médiateurs des interactions. Ce serait une confirmation de plus du modèle standard.

Lorsque Steven Weinberg et Abdus Salam ont proposé en 1967 leur théorie unifiée des forces électromagnétique et nucléaire faible, il leur a fallu utiliser le mécanisme de Brout-Englert-Higgs (BEH) pour doter les bosons W et Z de masses. Ces bosons sont des cousins du photon, et ils peuvent être émis ou absorbés par les quarks et les leptons. Il en découle qu’ils sont responsables de la désintégration bêta du neutron et permettent aux neutrinos d’interagir avec l’électron ou le proton, pour ne citer que ces particules.

Le mécanisme BEH n’explique pas la masse des nucléons qui, rappelons-le, ne sont pas des particules élémentaires. On sait que ce qui rend compte de la masse du proton, par exemple, ce sont les champs de gluons de l’interaction nucléaire forte décrite par la chromodynamique quantique, la QCD. Toutefois, le modèle standard, c’est-à-dire la théorie électrofaible jointe à la QCD, permet naturellement de générer aussi des masses pour les quarks composant les nucléons via le mécanisme BEH. Il en est de même pour les masses des leptons comme le muon ou le tauon.

Couplages de Yukawa et masses des quarks et leptons

La génération des masses des quarks et des leptons se fait au moyen de ce que l’on appelle des couplages de Yukawa. Ces couplages interviennent entre un champ scalaire, le champ de BEH, et un champ de fermions similaire à ceux dont les quarks et les leptons sont des quanta d’excitation. Le premier physicien ayant considéré ces couplages fut Hideki Yukawa lorsqu’il a proposé sa théorie des forces nucléaires fortes entre les protons et les neutrons. Il y avait là aussi un champ scalaire, celui du méson pi, couplé aux champs de nucléons dans un noyau.

Lors de la découverte du boson de Brout-Englert-Higgs avec les détecteurs Atlas et CMS, ce sont les modes de désintégration de cette particule en boson W, Z et surtout en photons qui ont été mesurés de façon suffisamment précise pour emporter la conviction des physiciens. À strictement parler, on avait donc une preuve de l’existence du mécanisme de BEH uniquement en ce qui concerne le cœur de la théorie électrofaible. La question de savoir d’où provenaient les masses des quarks et des leptons restait en suspens.

Une désintégration en tauons à 4,1 sigmas

Les scientifiques savaient bien sûr que les couplages de Yukawa devaient permettre au boson de BEH de se désintégrer en donnant des quarks et des leptons, donc des fermions et pas seulement des bosons. Ils avaient même des indications de l’occurrence de ces modes de désintégration, mais pas encore de preuve solide.

On y est presque, au moins en ce qui concerne la désintégration du boson de BEH en deux tauons, des cousins lourds de l’électron, si l’on en croit une annonce faite récemment par les membres de la collaboration Atlas. Les physiciens ont mesuré un signal correspondant à ce mode de désintégration avec une signification de 4,1 sigmas, comme ils le disent dans leur jargon. Cela signifie en gros que les chances que ce signal soit une simple fluctuation statistique sont inférieures à 0,007 %. Ce n’est pas encore une découverte, car il faudrait au moins 5 sigmas, c’est-à-dire 0,00006 % de chance que les mesures soient un effet du hasard.

Pour aller plus loin, il faudra attendre le redémarrage du LHC en 2015. On espère surtout que les modes de désintégration du Higgs permettront d’avoir accès à de la nouvelle physique, comme la supersymétrie. Mais peut-être faudra-t-il attendre la mise en service de l’ILC pour cela.

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