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Peut-on (vraiment) rattraper le sommeil en retard ?

Peut-on vraiment rattraper les heures de sommeil perdues durant la semaine, le week-end ? Pendant notre sommeil, les souvenirs de notre journée sont consolidés et notre cerveau fait un peu de nettoyage en triant les événements de la journée que nous devons garder en mémoire, et ceux que nous pouvons oublier.

Le sommeil nous fournit également le repos nécessaire au bon fonctionnement de notre corps le jour suivant. Mais nous ne parvenons pas tous à nous ménager huit heures de sommeil par nuit, et il peut donc arriver que nous ne puissions engranger tous ces bénéfices. Nous avons demandé à cinq experts s’il est possible de rattraper plus tard le sommeil perdu. Trois sur cinq affirment que oui.

Siobhan Banks, professeur-associée au groupe de recherche sur le corps et le cerveau à l’université d’Australie du Sud (Adélaïde) : « Cela dépend de notre quantité de sommeil en retard ! »« Nous sommes physiologiquement conduits à nous reposer lorsque nous manquons de sommeil. La pression de sommeil s’accumule lorsque nous sommes éveillés, jusqu’à ce que, si nous n’avons pas dormi depuis plusieurs jours, nous finissions par nous endormir malgré nos tentatives de résistance – même debout. Le record du monde de la plus longue durée de veille est de 11 jours, et le jeune homme qui le détient avait récupéré son manque de sommeil en dormant 14 heures d’affilée.

Mais notre capacité à rattraper le sommeil perdu dépend de notre déprivation chronique de sommeil. Si vous avez accumulé une importante « dette de sommeil » depuis un certain temps, vous aurez peut-être des difficultés pour récupérer. Vous risquez d’avoir besoin de nombreuses nuits d’un sommeil de bonne qualité, ce qui peut s’avérer difficile à obtenir. Si vous manquez de sommeil de façon chronique ou si votre sommeil est de mauvaise qualité (si vous souffrez par exemple de troubles tels que l’apnée du sommeil), vous pourriez avoir besoin de plusieurs jours de bon sommeil pour vous sentir à nouveau délassé. »

Melinda Jackson, chercheuse au département santé et sciences biomédicales de RMIT University (Melbourne) : « Attention à ne pas détraquer son horloge biologique »« Essayer de dormir davantage le jour qui suit un déficit de sommeil… affecte le rythme de notre prochain cycle. Il faut savoir que notre cycle de veille-sommeil se base sur un rythme de 24 heures ; une fois que nous entamons le cycle suivant, notre horloge biologique, globalement, se réinitialise. Si, par exemple, nous avons manqué de sommeil durant la semaine, et que nous compensons cette privation en dormant davantage le week-end, nous risquons d’éprouver des difficultés à trouver le sommeil lorsque nous nous coucherons à l’heure habituelle le dimanche soir.

Mieux vaut veiller à préserver un planning de coucher et de lever régulier, d’autant plus que notre cerveau possède des mécanismes compensatoires intrinsèques qui ajustent l’intensité de notre sommeil en fonction des besoins résultants d’une privation de sommeil. »

Léonie Kirszenblat, neuroscientifique, chercheuse à l’université du Queensland (Brisbane) : « Dormir peu abîme le cerveau »

« Pour le dire rapidement : oui, c’est possible (de rattraper son sommeil en retard). Si vous avez passé une mauvaise nuit, vous aurez l’impression, la nuit suivante, d’avoir besoin de davantage dormir. C’est parce que notre cerveau reconnaît le manque de sommeil, via l’accumulation de la « pression de sommeil ». Celle-ci entraîne des modifications de la physiologie cérébrale, qui informent le cerveau qu’il faut dormir plus.

Bien qu’il soit possible de rattraper un petit manque de sommeil, une déprivation chronique est mauvaise pour le cerveau. En effet, durant le sommeil les connexions existant entre les neurones se reconfigurent, ce qui permet de consolider les souvenirs les plus importants et d’oublier les choses qui le sont probablement moins. De ce fait, rattraper au cours du week-end un manque de sommeil survenu en début de semaine ne vous aidera pas à mémoriser les choses qui auraient dû l’être à ce moment-là.

Le sommeil aide aussi à éliminer les protéines toxiques impliquées dans les troubles neurodégénératifs. Pour toutes ces raisons, dormir suffisamment et régulièrement est le meilleur moyen de préserver ses capacités d’apprentissage et de garder un cerveau en bonne santé, sur le long terme. »

Chin Moi Chow, professeur à l’université de Sydney (Australie) : « On ne récupère jamais l’intégralité… »« Nous pouvons rattraper du sommeil en retard, mais cette récupération ne compense pas exactement le nombre d’heures perdues. Ce rattrapage est essentiel, car le sommeil est une nécessité biologique. Le corps a une seule manière de composer avec un déficit : la pression de sommeil. Lorsque le manque se fait trop aigu, celle-ci augmente, et nous ne pouvons plus résister au sommeil. Quand une opportunité de dormir se présente (comme le repos extensible du week-end), nous plongeons dans un long sommeil.

Lors de cette récupération, nous entrons en sommeil profond. Mais nous avons raté l’opportunité de transformer nos souvenirs précaires en une forme plus stable. Et un seul épisode de sommeil prolongé de ce type n’est pas suffisant pour récupérer complètement d’un manque de sommeil chronique. Des épisodes de micro-endormissement intrusifs ou de sieste en journée sont souvent subis lorsque le manque se fait pressant.

Qui plus est, les impacts d’une déprivation chronique de sommeil sont sévères, et incluent une baisse des performances, des problèmes gastro-instestiaux ainsi qu’un risque accru d’obésité, de diabète et de maladies cardiaques – la conséquence ultime pouvant être le décès. »

Gemma Paech, maître de conférences à l’université de Newcastle : « Il n’est pas possible de compenser les heures de sommeil perdues »

« Bien que nous soyons capables de dormir plus longtemps à la suite d’une privation de sommeil, par exemple faisant des grasses matinées le week-end, il n’est pas possible de compenser chaque heure de sommeil perdue. En cas de manque de repos, notre sommeil devient plus profond, ce qui facilite le retour à la normale de notre vigilance et de notre fonctionnement général.

La mauvaise nouvelle, toutefois, est que les effets des pertes de sommeil peuvent s’accumuler au fil du temps, affectant notre santé et notre bien-être. Sur le long terme, les conséquences des cycles de restriction/récupération de sommeil sont inconnues. Par ailleurs, dormir davantage le week-end peut également affecter notre cycle circadien, entraînant ce que nous appelons un « jet lag social ». Il est possible de réduire les effets du manque de sommeil en allongeant la durée de repos, pour constituer une « réserve de sommeil », avant une période de déprivation. Mais la meilleure façon d’éviter les effets néfastes du manque de sommeil est de s’assurer un repos adéquat tout au long de la semaine. »


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