Sciences

Mission Dart : « On n’exclut pas que l’astéroïde ait été détruit par l’impact »

L’astrophysicien français Patrick Michel, directeur de recherche CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur, est l’un des premiers scientifiques à avoir plaidé pour que les agences spatiales apprennent à nous défendre contre un éventuel impact d’astéroïde sur Terre. Rare, mais tellement dévastateur ! Responsable scientifique de la mission européenne Hera, la sonde qui ira constater les dégâts liés à l’impact de Dart in situ en 2026, il était aux premières loges de cet événement spatial à la portée planétaire. Quelques heures seulement après l’impact, il a livré ses sentiments et ses premières observations scientifiques au Point.

Le Point : Vous étiez dans la salle de contrôle de la Nasa, dans le Maryland, cette nuit pour assister à l’impact de Dart. Tout d’abord, êtes-vous satisfait du résultat ?

Patrick Michel : C’est extraordinaire. C’est vraiment incroyable. Ce sont vingt ans d’efforts qui sont récompensés par cette première étape qui nous montre, encore une fois, à quel point les astéroïdes sont surprenants. Concernant leur forme, leurs propriétés physiques, etc. : le gros n’a pas la forme à laquelle on s’attendait ; le petit a l’air d’être un ellipsoïde parfait et est rempli de rochers. C’est un agrégat tel que nos modélisations de formation d’astéroïdes doubles nous le montraient, mais cela paraissait trop beau. Et, surtout là, qu’est-ce qui s’est passé avec l’impact de Dart ? On ne le sait pas encore, mais c’est très, très chaud… Cela renforce les attentes vis-à-vis de la mission européenne Hera ; Lori Garver, de la Nasa, me l’a dit hier, il faut absolument que l’on comprenne. Ce sont des moments tellement humains, tellement fusionnels : on a beaucoup pleuré, on a beaucoup crié, notamment avec Ian Carnelli, avec qui on a monté ça dès le début. Et même ces cris, ça ne suffit pas à représenter comment on a ressenti les choses parce que ça a été vraiment au-delà de nos espérances. Il faut imaginer que l’on a attendu toute la journée ce moment-là. Tout pouvait se passer. Et que ça se soit déroulé comme ça, surtout avec les dernières images qui sont arrivées tellement vite. Maintenant, avec toute l’équipe, on essaie de digérer tout ça, de comprendre ce que l’on voit. Ce n’est que le début !

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Dès à présent, que peut-on dire de ce que l’on a vu cette nuit quand on est, comme vous, un expert des petits corps du système solaire ?

Que le plus gros des deux astéroïdes Didymos est quand même très différent de ce que prévoyait le modèle radar, qui, pourtant, avait donné une très bonne prédiction de la forme de l’astéroïde Bennu, par exemple, sur Osiris-REx. Là, on a un corps qui ressemble moins parfaitement à une toupie, ce qui aurait pourtant mieux correspondu à nos modèles de formation des astéroïdes binaires. Didymos a une forme assez bizarre avec des structures géologiques que l’on distingue. C’est déjà une première surprise ! Et la deuxième, c’est que, quand on s’est approché du petit, Dimorphos, on a commencé à voir un caillou dépasser. Pendant un moment, on s’est même demandé si ce n’était pas un astéroïde double. Alors, effectivement, c’est génial parce que c’est quand même un objet qui a très peu de gravité et qu’il y a des cailloux à la surface. Des cailloux et étrangement pas de cratères. Par contre, la forme ressemble à un ellipsoïde quasiment parfait. Et ça, c’est un modèle d’équilibre qui confirme que l’on a certainement affaire à un agrégat qui se serait formé par l’échappement de roches de surface de Didymos qui se sont réaccumulées pour former un satellite. Comme on l’avait d’ailleurs publié, mais avec une abondance de roches, une richesse de morphologies, que l’on est en train de regarder. C’est incroyable que ces petits corps puissent avoir une telle diversité de structures géologiques sur eux-mêmes. Et, évidemment, le résultat de l’impact de Dart est sensible à tout cela… Alors, pour l’instant, nous sommes un petit peu dans l’excitation, en train de nous demander ce qui s’est exactement passé.

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Le résultat de l’impact dépend, me semble-t-il, beaucoup de la porosité de la cible. Le fait que Dimorphos soit un agrégat vous donne-t-il des indications sur cette porosité ?

Ça ne nous donne pas d’indication, mais ça nous fait soupçonner qu’il y en a effectivement puisque, entre les roches, il y a nécessairement du vide. Cela signifie que l’onde de choc produite par l’impact s’est propagée dans Dimorphos de façon un peu bizarroïde, en tout cas pas de manière homogène. On n’est pas dans un milieu continu où l’onde de choc se propage tranquillement avec sa forme initiale. Là, elle peut se réfléchir sur les rochers ou sur des zones de vide. Et c’est là où la mission Hera va être fondamentale parce qu’elle va nous donner le degré d’hétérogénéité interne. Pour l’instant, à partir d’une étude de surface, on ne peut pas vraiment dire comment l’onde de choc s’est propagée. Toutefois, on a vraiment affaire à ce que l’on adore en science, c’est-à-dire un laboratoire extrêmement complexe : pour modéliser cela, et on doit le faire, on a du boulot ! On doit arriver à représenter numériquement la surface de Dimorphos, refaire des calculs d’impact, voir ce qui se passe, sachant que les observations au sol vont commencer à nous apporter des informations. Et je m’attends à ce qu’on ait fait des dégâts.

De premières images prises depuis le sol (présentées ci-dessous) ont été rendues publiques et montrent comme un nuage de poussière produit par l’impact. Se pourrait-il que le petit astéroïde ait été totalement détruit ?

Là, vous me prenez à chaud et, à chaud comme ça, on ne peut pas l’exclure. Je ne pense pas, mais, vu ce que j’ai vu, j’ai quand même hâte d’avoir la courbe de lumière qui nous dit qu’il y a bien une occultation [NDLR : ce qui prouvera que Dimorphos tourne toujours autour de son grand frère Didymos et n’a pas été entièrement détruit par l’impact]. On a des débats. Le choc semble avoir été violent. Est-ce que Dimorphos est aussi peu résistant que Bennu et Ryugu ? Auquel cas, effectivement, on pourrait l’avoir complètement détruit. Les observations faites par les télescopes terrestres vont nous donner la réponse. Au moins celle-là. Pour le reste, la Nasa a fait son job de façon formidable, époustouflante. Maintenant, c’est à l’Europe, avec Hera, de donner des réponses.


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