Sciences

Bicentenaire de Louis Pasteur : ces découvertes méconnues

« Tout le monde connaît la pasteurisation, sans bien identifier les origines de cette découverte. » C’est ce qu’aime à rappeler Nadine Vivier, historienne, en marge du colloque Pasteur, bienfaiteur de l’agriculture et l’alimentation, organisé le 14 décembre dernier par l’Académie d’agriculture. En effet, à l’époque où Louis Pasteur, chimiste et doyen de la faculté de Lille, met au point son procédé, ses recherches ne portent pas sur la conservation du lait… mais sur celle du vin.

Dès la fin des années 1840, il étudie un composé qui se dépose au fond des cuves à vin. Il identifie deux composés différents dans cet étrange tartre du vin, donnant des cristaux dissymétriques, image l’un de l’autre dans un miroir. Il en déduit que les molécules de ces deux formes de tartrate – quoique composées des mêmes atomes – se distinguent par leurs positions dans l’espace.

« C’était la première fois que l’on considérait les molécules comme des objets à trois dimensions », raconte Maxime Schwartz, directeur général honoraire de l’Institut Pasteur et auteur de Pasteur, l’homme et le savant (aux éditions Tallandier).

Des journées entières dans le jus de betterave

En publiant cette découverte, Pasteur construit son mythe. Car d’autres chimistes avant lui ont publié sur le sujet. Hervé This, directeur du Centre international de gastronomie moléculaire et physique à l’INRAP-AgroParisTech, s’est plongé dans les écrits de Pasteur, et le déconstruit aujourd’hui. « Il a pompé les méthodes et découvertes de son professeur, Auguste Laurent, mais on peut lui reconnaître son énorme travail en manipulation des cristaux sous microscope. Ce qui est intéressant, c’est comment ces conclusions vont le mener à travailler sur les fermentations. »

À LIRE AUSSILes pionniers de la vaccination : Louis Pasteur et la rageIl commence ses travaux sur le sujet pour le 1er producteur d’alcool de betterave du Nord, M. Bigot, dont le fils suit les cours de Pasteur à la faculté de Lille. « Il examine les cuves et constate que les micro-organismes dominants sont des levures, explique Jean-Louis Bernard, membre de l’Académie d’agriculture. Il y travaille tant que sa femme se plaindra qu’il passait des journées entières dans le jus de betterave ! »

La fermentation résulte du métabolisme de micro-organismes. En précisant comment cultiver ces micro-organismes, Pasteur est aux prémices d’une nouvelle science : la microbiologie. En multipliant les expériences, il montre ensuite que les micro-organismes, invisibles à l’œil nu, sont présents partout, dans l’air, dans l’eau, sur tous les objets qui nous entourent.

Sauver les vins, le vinaigre… et la bière

Napoléon III le sollicite alors directement pour résoudre la crise d’exportation du vin en Angleterre. Jean-Louis Bernard raconte : « Instables, fragiles, les vins français tournaient, même dans nos caves. Avec ses amis vignerons du Jura, où il a grandi, Pasteur isole plusieurs maladies du vin et étudie les microbes présents. Il isole une bactérie particulière, acetobacter, et trouve comment guérir les vins en chauffant modérément les fermentations de 55 à 60 degrés. »

Plus tard, sa découverte sera utilisée un peu différemment : les œnologues chaufferont le mou avant la fermentation pour le stériliser, puis l’ensemenceront avec des levures de bonne qualité. La pasteurisation était née ! Et l’on s’en sert toujours pour conserver boissons et aliments. Il viendra aussi au chevet des vinaigriers, avec ce « cétobactère », qui est alors une bénédiction pour l’industrie.

Après la guerre de 1870, Pasteur, réfugié chez un élève à Clermont-Ferrand, applique son procédé à la bière. Elle aussi souffre d’une inconstance dans sa qualité et se conserve mal, à cause de germes contaminants. Pasteur propose de contrôler des ferments durant la fermentation et la pasteurisation du produit fini.

« Je désire que les bières fabriquées avec mon procédé portent en France le nom de Bière de la revanche nationale », dira Louis Pasteur. L’industrie de la bière et l’association des chimistes de distillerie lui ont d’ailleurs dressé une statue devant l’Institut Pasteur de Lille.

Malgré lui, l’étude de la maladie des vers à soie

En 1865, il est appelé au chevet de 90 000 producteurs de vers à soie. La sériciculture est menacée par deux maladies, la pébrine et la flacherie. Or la France produit à l’époque 10 % de la soie mondiale. Pour le colloque de l’Académie d’agriculture, André Fougeroux s’est replongé dans les archives. « Pasteur rejoint les Cévennes un peu malgré lui. Au côté d’un entomologiste célèbre, Jean-Henri Fabre, il va examiner les micro-organismes présents dans les femelles malades et organiser une sélection. »

À LIRE AUSSICes deux Français qui défient PasteurIl finit par proposer des mesures d’hygiène qui vont sauver la filière en France et à l’étranger. « Depuis Pasteur, la profession s’est divisée en deux, producteurs de graines, et producteur de soie, réduisant ainsi le risque de contamination, » ajoute l’ingénieur agronome. Ces découvertes sur les maladies des vers à soie vont guider ses recherches ultérieures sur les maladies contagieuses des animaux puis des hommes.

Hygiène et asepsie

Louis Pasteur en est convaincu : les fermentations, les maladies contagieuses, sont dues à des micro-organismes. Mais c’est Robert Koch, un allemand, qui en fera la première démonstration, en 1876, dans le cas du charbon, une maladie décimant les troupeaux de moutons et de vaches. « Pasteur est agacé que sa théorie soit démontrée par un petit médecin de campagne. Il déclare ses résultats peu convaincants et effectue une autre expérience qui les confirme », explique Maxime Schwartz.

Pasteur codifie les règles de l’hygiène, décisives pour éviter les infections, notamment celles consécutives aux opérations chirurgicales, qui constituaient un véritable fléau à cette époque. « C’est probablement la contribution principale à l’accroissement de l’espérance de vie », ajoute l’ancien directeur de l’Institut Pasteur.

Le premier virologiste, sans le savoir

Si le Britannique Edward Jenner, un siècle avant Pasteur, avait inventé la vaccination, en transférant la vaccine (maladie bénigne des vaches ressemblant à la variole) à des animaux pour les protéger du virus, Pasteur va plus loin : il fait l’hypothèse que le microbe de la vaccine pourrait représenter une forme atténuée de celui de la variole.

Il isole des formes atténuées de microbes causant d’autres maladies et les utilise pour protéger contre les formes virulentes : d’abord pour le choléra des poules en 1880, puis le charbon (anthrax) des ovins et des bovins un an plus tard. Son expérience grandeur nature à Pouilly-le-Fort en Eure-et-Loir, sur 150 moutons malades dont la moitié sont vaccinés, lui apporte une nouvelle fois la célébrité.

À LIRE AUSSI6 juillet 1885. Le jour où Joseph Meister débarque chez Pasteur pour se faire vaccinerConcernant la rage, il ne parvient pas à identifier le microbe responsable, invisible au microscope. « Il ne savait pas encore qu’il s’agissait d’un virus. Ne pouvant le cultiver, Pasteur le maintient en le transmettant d’animal en animal, en expérimentant sur des lapins, moins dangereux que le chien », expose Maxime Schwartz. Alors qu’il n’a pas tout à fait terminé ses recherches, il fera vacciner le 6 juillet 1885 le petit Joseph Meister, gravement mordu par un chien enragé. Il n’est pas l’inventeur de la vaccination, mais bien celui de la vaccination par atténuation, procédé toujours utilisé pour lutter contre la rougeole, les oreillons, la rubéole, la varicelle, la fièvre jaune et la fièvre typhoïde.

Même si tous ces domaines de recherche ont été imbriqués durant sa carrière, rendant ardu le travail de biographie, Louis Pasteur mérite bien le surnom proposé par Maxime Schwartz, de « Christophe Colomb de la science ».


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