Vallancien – Halte à Facebook !
Abonné à Facebook depuis des années, disons pour suivre ce mouvement planétaire de « connexion », mais ne regardant ma page que très épisodiquement, de l’ordre d’une fois par mois, j’ai décidé de la supprimer. L’affaire Cambridge Analytica me servit de déclencheur, alors que j’hésitais déjà, compte tenu finalement du peu d’intérêt que je trouvais au site. Voir l’assiette d’untel au restaurant, la frimousse d’un autre dans un lounge de business class en partance vers Shanghaï, recevoir la photo du voilier du copain sous les cocotiers, se faire des bises et autres mamours, dont les autres se foutent, dire bonjour au chat ou au chien de maman, souhaiter des centaines d’anniversaires, faire le pitre en vacances, et j’en passe : quel intérêt, et quel partage ?
Nous ne sommes pas amis sur Facebook, nous sommes tout au plus des relations que la firme utilise pour gagner des milliards. Dans cette machine infernale, on en veut toujours plus, accros aux « like », cette drogue dure des addicts du Web. À ce petit jeu malsain, nos neurones crachent des litres de dopamine pour avoir plus de « friends ». Course absurde au chiffre, quantification des relations humaines aux dépens de leur profondeur, de leur densité d’être. Le mot « ami » est trop précieux pour en avoir fait un banal moyen d’attraction souvent narcissique. Se mettre en avant, tenter d’exister par l’image… Stop, assez ! Arrêtons de nous abrutir avec les intrusions de ces vicieux espions muets qui savent tout de nous. Quel besoin avons-nous de nous mettre en avant, d’échanger avec la terre entière quand on est incapable de dire bonjour à son voisin de palier ?
La quête du bouton miracle
Ne me servant pas de ma page, hormis pour poster de rares tribunes de presse rédigées pour des journaux ou hebdomadaires, j’avais prévu de l’abandonner à son sort, pensant possible de la laisser végéter sans faire de bruit, ne revendiquant que moins de mille abonnés, mais le trafic réalisé à mon insu a fini par m’exaspérer. J’ai donc ouvert le site pour y chercher comment m’exfiltrer, comment supprimer ma page, non pas simplement la désactiver, mais bien l’éliminer, la faire disparaître dans la poubelle, la brûler.
Impossible, après des heures de recherche, plus deux envois de courriers à Facebook sans réponse. Je ne sais plus comment faire ! Le site vous balade de page en page avec moult explications sans jamais faire apparaître le bouton miracle « supprimer ». J’ai par ailleurs eu la surprise d’apprendre que mes données seraient conservées trois mois après une éventuelle suppression de mon compte. Pourquoi tant de temps à fermer ce qui s’ouvre en deux minutes. Facebook scanne en moins de deux secondes un milliard de photos par jour ; ses ingénieurs seraient-ils incapables de les effacer aussi rapidement ? Tout va donc très bien pour rentrer des données, mais rien ne va plus pour les faire disparaître. Une telle distorsion est inadmissible et pourrait valoir des poursuites.
La vieille Europe se dresse
Entre l’homme et la machine, c’est le premier qui gagnera dans sa liberté d’être et de dire non à des tentatives de flicage sournois et de manipulation des individus, à condition d’en refuser l’usage. Si le site a servi certains pays à se libérer du joug de leurs tyrans, et favorisé les printemps arabes, le téléphone est suffisant pour se donne rendez-vous sur les places de la contestation.
Le pire dans Facebook ce sont ces algorithmes qui vous poussent à rencontrer avant tout celles et ceux qui sont d’accord avec vous, faisant croire que la terre entière partage les mêmes idées. On rentre dans un monde normé, incapable de débattre. À se retrouver entre soi, on appauvrit l’intelligence collective. J’espère quand même pouvoir fermer ma page, avec l’aide de celles et ceux qui, plus doués que moi dans le domaine, voudraient bien m’aider, espérant que cette décision, si nous sommes nombreux, très nombreux à la prendre, fera plier Facebook en l’obligeant à des pratiques civiques respectueuses de la vie privée de chacun.
Apple et LinkedIn viennent d’indiquer qu’ils respecteraient les critères du Règlement général européen sur la protection des données personnelles (RGPD). La vieille Europe, larguée dans le concert du numérique planétaire, incapable d’aligner des géants de taille mondiale qui pourraient concurrencer les Gafa et les BATX, se dresse et propose des solutions éthiques. L’Amérique et la Chine auraient intérêt à mettre en place un code de la vie privée en s’inspirant de ces directives respectueuses de la personne humaine.
*Membre de l’Académie de médecine
Continuer à lire sur le site d’origine