High-TechTek

Scandale FTX : « une autodestruction liée à l’absence de règles »

Sam Bankman-Fried, le patron de FTX, a été arrêté aux Bahamas le 12 décembre. Sur fond de dissimulations, ce jeune homme de 30 ans, jusqu’ici considéré comme un « surdoué » des cryptoactifs, a provoqué un séisme dans le monde de la finance. La régulation des cryptoactifs est seulement en cours en Europe. Entretien avec l’eurodéputée Aurore Lalucq, du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (S & D), qui sonne l’alarme depuis longtemps sur les mirages de cette fausse monnaie…

Le Point : La faillite frauduleuse de FTX dans un secteur dérégulé comme les cryptoactifs est-elle suffisamment systémique pour jeter à bas ce secteur ?

Aurore Lalucq : Il s’agit en tout cas d’un tournant. Nous assistons depuis quatorze ans à la multiplication des affaires concernant les cryptos : des « entrepreneurs » qui partent avec la caisse, des braquages, des arnaques, du blanchiment d’argent, du financement d’activités tel le terrorisme, etc. La réalité c’est que, ces six derniers mois, il ne s’agit pas d’une bulle mais de plusieurs qui ont éclaté « comme celles d’une mousse de bière » – comme dirait Fabio Panetta, membre du directoire de la Banque centrale européenne.

Aucune règle ne régissant ce secteur, ce n’est donc pas étonnant que l’on arrive à une affaire comme celle de FTX. En revanche, cette faillite détonne par son ampleur et donc son retentissement. On doit certainement s’attendre à une déstabilisation supplémentaire d’un secteur qui est déjà depuis plusieurs mois dans une spirale d’autodestruction, liée à l’absence de règles. Cette crise doit être un tournant pour les autorités. Trop de gens inexpérimentés, corrompus, parfois les deux ont profité de la bienveillance coupable des autorités.

Le règlement MiCA, qui est censé réguler les cryptoactifs, n’est pas encore entré en vigueur que Christine Lagarde, la présidente de la BCE, appelle à un MiCA II. Il y aurait donc encore des lacunes. Lesquelles ?

MiCA n’est pas parfait : le texte laisse de côté plusieurs sujets essentiels comme la régulation des NFT, des prêts en cryptos ou un encadrement plus rigoureux de la finance dite décentralisée (DeFi). Par ailleurs, il faudra aller plus loin pour s’assurer qu’il n’y ait pas une contamination de la finance régulée par cette finance dérégulée, que le prochain krach dans les cryptos n’ait pas d’implication sur la finance dite traditionnelle.

L’autre problème de MiCA, c’est sa mise en œuvre bien trop tardive, puisqu’elle n’arrivera qu’en 2024. Par ailleurs, plusieurs mesures en son sein pourraient être encore retardées de nombreux mois via des clauses dites du grand-père [qui limitent l’application des nouvelles règles aux nouveaux entrants, NDLR]. Or, nous le voyons avec l’effondrement de FTX, c’est tout de suite et maintenant qu’il faut protéger les consommateurs et les petits investisseurs.

Enfin, je pense que l’existence même d’un texte ad hoc pour réguler les cryptos pose un problème. Comme je le dis depuis le début, les cryptos sont des actifs financiers, hautement volatils et spéculatifs. Ils devraient donc être traités comme tels. Le plus efficace n’est pas d’ouvrir un nouveau chantier qui prendra des années à être mis en œuvre, mais plutôt d’intégrer les cryptos dans les textes existants. C’est d’ailleurs ce qui aurait dû être fait depuis le début, il n’est pas trop tard pour y remédier.

À LIRE AUSSISam Bankman-Fried, l’escroc du sièclePourquoi la Commission européenne a-t-elle mis autant de temps à proposer une législation sur les cryptoactifs ? Qui est responsable ?

Cette question est absolument centrale. Que ce soit en France ou à l’échelle européenne, on a assisté à une forme de bienveillance coupable de la part des autorités envers le secteur des cryptos. C’est d’ailleurs assez surprenant quand on y pense, car ce sont tout de même des acteurs qui se présentent avec une prétendue nouvelle monnaie, visant à concurrencer la souveraineté de l’État !

En Europe, la décision de créer un cadre sur mesure pour les cryptos plutôt que de les intégrer aux normes existantes ne relève pas d’une autre logique. Ce sont toujours les mêmes arguments : il ne faut pas brider l’innovation, pas freiner le développement d’un nouveau secteur, sous peine de voir l’Europe distancée, reléguée dans ce nouveau secteur d’avenir.

C’est comme si les autorités avaient été hypnotisées par ces éléments de langage qui leur laissaient croire que nous allions louper le coche. L’exemple récurrent utilisé par les lobbys est d’ailleurs que ne pas embrasser les cryptos reviendrait à faire la « même erreur que celle de préférer le Minitel à Internet ». Sauf que le sujet ici n’est pas la technologie, mais la finance, comme certains sont en train de le découvrir dans la douleur.

Il est donc temps que les pouvoirs publics se réveillent. Ce sont des centaines de milliards d’euros qui sont en jeu. Et surtout des milliers de personnes qui se sont retrouvées ruinées.

La France dispose-t-elle d’une législation nationale ? Les « petits porteurs floués » ont-ils une voie de recours aujourd’hui ?

La France dispose bien d’une législation, mais je la qualifierais de régulation washing, car elle est à la fois inefficace et contre-productive. Le gouvernement a créé un agrément auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui comporte un certain nombre d’obligations en matière de protection des consommateurs, de lutte contre le blanchiment, etc. Le problème est que cet agrément est optionnel ! Des obligations optionnelles, donc. On marche sur la tête.

À côté de cet agrément, on trouve un enregistrement auprès de l’AMF, obligatoire pour certaines opérations. Sauf que cet enregistrement ne comporte presque aucune obligation. Mais les plateformes peuvent toutefois se prévaloir du label AMF. D’où une forme de régulation washing… C’est désastreux car cela envoie le signal que le secteur est régulé, cela donne l’illusion aux consommateurs qu’ils peuvent avoir confiance et investir, alors qu’en réalité ils ne sont absolument pas protégés. Ainsi, avoir l’enregistrement AMF n’a pas empêché une plateforme comme Bykep d’effectuer « des opérations au débit de portefeuilles de clients sans leur consentement », par exemple… C’est terrible pour l’image de cette institution et la protection des consommateurs.


Continuer à lire sur le site d’origine