Un béluga repéré dans la Seine : trois questions sur sa présence, sa santé et l’opération de sauvetage

Des membres de l’ONG Sea Shepherd recherchent un béluga repéré alors qu’il remontait la Seine, près d’une écluse, à Courcelles-sur-Seine (Eure), le 5 août 2022.

Des membres de l’ONG Sea Shepherd recherchent un béluga repéré alors qu’il remontait la Seine, près d’une écluse, à Courcelles-sur-Seine (Eure), le 5 août 2022.

La mort tragique d’une orque dans la Seine avait déjà suscité l’émotion en mai. C’est désormais un autre cétacé qui concentre l’attention de Sea Shepherd France, une ONG de défense et de protection des océans. Repéré dans la Seine, mardi 2 août, un béluga a été localisé jeudi près d’une écluse, à environ 70 kilomètres de Paris, « aux environs de Vernon », a annoncé la préfecture de l’Eure. Il a de nouveau été observé, vendredi en milieu de journée, entre les deux écluses de Poses et de Saint-Pierre-la-Garenne, en Normandie.

Dans quel état de santé se trouve le béluga ?

« L’animal est extrêmement amaigri », note Sea Shepherd, qui a pu le prendre en photo vendredi.

« Cela nous inquiète car s’il s’avère qu’il ne se nourrit pas, il va rapidement s’épuiser et peut mourir d’inanition », soit un état de faiblesse causé par le fait qu’il a cessé de s’alimenter, confie au Monde Lamya Essemlali, présidente de l’ONG, arrivée en Normandie jeudi soir avec ses équipes afin de porter secours au cétacé.

« Même en tentant de l’approcher avec beaucoup de précautions, c’est difficile. Il fait beaucoup de changements de direction », a précisé Gérard Mauger, du GECC

Jeudi, la préfecture de l’Eure a annoncé que l’état de santé de l’animal était « préoccupant », ce dernier semblant présenter « des altérations cutanées et être amaigri ». Pour autant, Gérard Mauger, vice-président du Groupe d’étude des cétacés du Cotentin (GECC), décrivait à propos de son état de santé, un « animal bien tonique, qui passe très peu de temps en surface et effectue de longues apnées ». Signe que sa capacité pulmonaire « reste bonne ». Vendredi, l’animal s’est révélé « très fuyant » et a adopté « le même comportement » que la veille, a fait savoir le responsable associatif. « Même en tentant de l’approcher avec beaucoup de précautions, c’est difficile. Il fait beaucoup de changements de direction », à tel point qu’« on s’interroge » sur la conduite à tenir envers cet animal, a-t-il ajouté.

Les scientifiques du GECC sont parvenus à s’approcher à une cinquantaine de mètres de l’animal. « On a fait des enregistrements acoustiques, avec nos moteurs coupés, mais il n’a pas fait d’émissions sonores », a regretté M. Mauger.

En quoi consiste l’opération de sauvetage mise en place ?

La préfecture de l’Eure qui supervise les opérations sur place peut compter sur la présence des pompiers, de l’Office français de la biodiversité (OFB), de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) et de la branche française de Sea Shepherd.

Pour cette dernière, l’urgence « est de mettre en place une opération de nourrissage, pour le faire manger et l’hydrater. On va tenter de se procurer du poisson pour éviter qu’il ne s’affaiblisse et puisse repartir. Nous disposons de deux anciens soigneurs de cétacés avec nous, mais on ne sait pas comment le béluga va réagir. Nourrir un cétacé en captivité est une chose, c’en est une autre avec un animal sauvage », pointe Lamya Essemlali, en évoquant une opération « particulièrement sensible et lourde en logistique ».

Pour ce faire, les membres de l’ONG disposent d’au moins deux embarcations et de deux drones, « afin de creuser un barrage sonore pour éviter qu’il ne s’enfonce davantage dans les terres. On ne souhaite pas le voir remonter jusqu’à Paris ou Mantes-la-Jolie ! ». L’ONG mène cette opération en lien avec les services de la préfecture de l’Eure.

Le cétacé n’a pas répondu aux « tentatives de guidage », selon la préfecture, qui précise que « les services engagés seront désormais le moins intrusif possible » afin d’éviter de le stresser. « Les cas de bélugas remontant des fleuves ont eu lieu au cours des décennies précédentes et il est possible que l’animal retrouve seul son chemin. Il semble à ce stade que ce soit ce “laisser-faire” qui présente les meilleures chances de réussite et de survie », a-t-elle ajouté, tout en assurant qu’une « surveillance accrue » de l’animal va se poursuivre.

Pourquoi est-il arrivé là et comment réagir en sa présence ?

« On ne sait pas depuis combien de temps il se trouve dans la Seine. Une analyse ADN sera donc nécessaire pour savoir s’il vient de Norvège ou du fleuve Saint-Laurent, au Québec, par exemple, mais sa présence ici reste assez bizarre, reconnaît Lamya Essemlali. Un chantier éolien est actuellement en construction à Courseulles-sur-Mer [Calvados], face à l’embouchure du Havre. Il s’agit d’une simple hypothèse mais on sait bien que les cétacés sont particulièrement sensibles au bruit, avec leurs oreilles internes et leur sonar. Le trafic maritime va en s’intensifiant et cela n’arrange rien. »

Selon Léa David, chercheuse à l’EcoOcéan Institut et spécialiste des cétacés, si cette présence dans la Seine reste « anormale », elle relève néanmoins du fait « d’un seul individu ». Celui-ci peut être « juste malade, désorienté à la suite d’un bruit ou d’un traumatisme ou simplement aventurier. Il y a chez toutes les espèces d’animaux des cas d’individus sédentaires et d’autres plus vagabonds. » Quant à la question de l’eau, l’experte rappelle que les bélugas « ont l’habitude de remonter le fleuve Saint-Laurent, au Québec, et sont donc habitués au mélange d’eau douce et d’eau salée ».

« A toutes celles et ceux qui se soucient du sort du béluga : garder ses distances est primordial », demande Sea Shepherd

Pour l’instant, les autorités ont lancé un appel à la prudence et demandent à « l’ensemble de la population de ne pas tenter d’approcher ou de rentrer en contact avec l’animal, pour faciliter le travail de l’ensemble des services de l’Etat, mobilisés pour la préservation de la faune sauvage ». Un appel relayé par l’ONG de défense de l’océan : « A toutes celles et ceux qui se soucient du sort du béluga : garder ses distances est primordial. Aidez-nous à l’aider en respectant ces consignes, l’intérêt de l’animal prévaut sur la curiosité. Merci pour lui. »

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« Une chose est certaine, on va tout tenter pour éviter l’attentisme, comme ce fut le cas avec l’orque ! », rappelle Mme Essemlali. L’ONG Sea Shepherd reste inquiète quant à l’avenir de ce béluga et craint que la « fin tragique » de Sedna se répète. Cette jeune orque, affamée et en état de grande détresse entre Rouen et Le Havre, avait été retrouvée morte dans la Seine le 30 mai. D’après les examens du rapport de nécropsie, l’animal serait mort « d’inanition », avait annoncé le préfet de Normandie et de la Seine-Maritime, le 6 juin.

Une munition avait également été retrouvée à la base du crâne de la baleine, même si celle-ci ne serait pas directement responsable de sa mort.

Selon l’observatoire Pelagis, spécialiste des mammifères et oiseaux marins, il s’agit du second béluga aperçu en France − un pêcheur de l’estuaire de la Loire en avait remonté un dans ses filets en 1948.

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