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Owen, Gurney et Rosenberg: trois poètes anglais dans la Grande Guerre

La nouvelle de sa mort parvient à sa mère le 11 novembre 1918. Il est tombé le 4, lors de la bataille de la Sambre, fragment de la dernière offensive franco-britannique, qui verra le front occidental repoussé jusqu’en Belgique le jour de l’Armistice. Le village d’Ors, entre Avesnois et Cambrésis, dans le Nord, conserve encore sa tombe et la maison forestière où il passa sa dernière nuit. Inconnu en France, sinon aux mélomanes qui savent que le War requiem de Benjamin Britten est bâti sur ses textes, Wilfred Owen est en Angleterre le poète le plus étudié après Shakespeare. Aussi les touristes britanniques sont toujours nombreux à faire le pèlerinage et son dernier refuge s’est changé en mémorial.

Wilfred Owen bâtit son œuvre en deux ans

Jusqu’en 1917, Wilfred Owen est un pâle disciple de Keats et de Shelley. La rencontre avec un autre poète, Siegfried Sassoon, pacifiste fervent de sept ans son aîné, l’amène à assumer un réalisme que l’expérience des tranchées change en nécessité. On songe évidemment à Rimbaud, bouleversé par les morts de la guerre franco-prussienne et la Commune. Toute son œuvre est écrite en moins de deux ans. Il n’a que vingt-cinq ans lorsqu’il est fauché, à l’aube, par la mitraille allemande.

C’est le premier des «  War Poets » qu’Emmanuel Malherbet a publié – et dans ce cas traduit – pour sa maison d’édition Alidades. La rencontre s’est faite autour du War Requiem, composé en 1962 en souvenir de la destruction de la ville de Coventry, 22 ans plus tôt, sur des textes écrits durant une autre guerre. La version proposée dans le livret lui semble malhabile. Mais ce qu’il lit fait écho à son histoire familiale : « un portefeuille taillé dans de la toile de capote, avec dedans quelques papiers, une lettre, des brimborions : ce qu’il restait d’un qui fut mon arrière-grand-père et qui reste, lui, quelque part du côté de Verdun. »

L’étrangeté de la guerre

Dans sa présentation, Emmanuel Malherbet ajoute : « La poésie de guerre court un double risque : ou elle est révolte et vitupération, ou elle tourne à l’apologie et à la propagande. Dans les deux cas, elle souffre de ce qu’on pourrait appeler un manque de hauteur, d’ailleurs très compréhensible. » Rien de tel, on s’en doute, chez Owen, dans cette Etrange rencontre, par exemple, celle de deux soldats dont l’un a tué l’autre ou de lui-même se découvrant sans haine dans un monde de mort ?

« Je suis l’ennemi que tu as tué, l’ami. Je t’ai reconnu dans cette nuit ; car hier en moi ainsi tu as plongé ta colère, quand tu as frappé et tué. J’ai paré, mais j’avais les mains rétives et glacées. Maintenant, dormons… »

Un autre vertige traverse les textes d’Isaac Rosenberg, mort lui aussi en 1918, à l’âge de 27 ans, considéré par T.S. Eliot comme le plus grand des « War Poets ». Enfin traduit un siècle plus tard par Sarah Montin, il exprime par endroits les visions hallucinées d’un Otto Dix. Le réalisme le plus cru dispense de toute morale explicite, de toute condamnation. Le poète vit l’horreur qui l’entoure comme le destin d’une époque, ainsi évoque-t-il ce qu’il ressent « en apprenant la nouvelle de la guerre » :

« Neige est un mot étrange et blanc. Ni la glace ni la neige n’ont demandé au bourgeon ou à l’oiseau le prix de l’hiver. »

Le sentiment d’étrangeté, commun à Wilfred Owen et Isaac Rosenberg, est partagé aussi par Ivor Gurney, traduit par la même Sarah Montin :

« Quels enfers étranges la guerre a-t-elle forgés dans ces esprits moins inquiets, moins humiliés qu’on ne pourrait croire. »

« Tout l’espoir du monde »

Ivor Gurney survit à la guerre, mais sa raison déjà fragile est mise à mal au printemps 1918. Il est probablement une des nombreuses victimes du « Shell shock », nom donné outre-Manche à ce qu’on nomme en France l’obusite, autrement dit au choc post-traumatique dû au pilonnage des tranchées. Il meurt en 1937 d’une tuberculose après 15 ans d’internement dans un asile psychiatrique.

Durant cette période, la France a perdu de nombreux écrivains, dont certains aux premiers jours du conflit, comme Charles Péguy ou Alain-Fournier. Des poèmes de tranchées, elle n’a guère retenu que ceux d’Apollinaire. « Ah Dieu que la guerre est jolie, avec ses chants ses longs loisirs » écrit ce dernier sans l’ironie qu’on a parfois voulu lui prêter.

Bien d’autres restent à redécouvrir : Marcel Martinet, qui écrit son incompréhension de peuples si aisément convaincus à l’été 1914 de partir s’entretuer pour des intérêts qui ne sont pas les leurs ; Henri Guilbeaux, qui décrit prophétiquement en 1917 l’horreur des bombardements aériens à venir, le franco-allemand Yvan Goll qui invente bientôt le mot surréalisme, Luc Durtain, Charles Vildrac, Pierre-Jean Jouve, Noël Garnier, Marcel Sauvage ou Lucien Jacques. Mais laissons le dernier mot à René Arcos, fondateur avec Romain Rolland de la revue Europe dans l’immédiat après-guerre :

« Rien n’est perdu puisqu’il suffit qu’un seul de nous dans la tourmente reste pareil à ce qu’il fut pour sauver tout l’espoir du monde.»

Bibliographie

Wilfred Owen Poèmes du War Requiem de Benjamin Britten, bilingue, traduits par Emmanuel Malherbet, Alidades, collection « le chant », 1995.

Ivor Gurney, Ne retiens que cela (poèmes de guerre), choisis, présentés et traduits de l’anglais par Sarah Montin, Alidades, collection « Bilingues », 2016.

Isaac Rosenberg, Dépotoir aux morts (poèmes de guerre), Choisis, présentés et traduits de l’anglais par Sarah Montin, Alidades, collection « Bilingues », 2018.

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