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Rencontre avec le physicien Alain Aspect, qui a reçu le prix Wolf 2010, l’un des prix scientifiques les plus prestigieux

L »occasion de demander au chercheur français, spécialiste de physique quantique (prononcer « couan-tique ») de nous éclairer sur sa discipline aussi complexe que passionnante, aussi incontournable que méconnue.

L »occasion de demander au chercheur français, spécialiste de physique quantique (prononcer « couan-tique ») de nous éclairer sur sa discipline aussi complexe que passionnante, aussi incontournable que méconnue.

Pouvez-vous présenter la physique quantique, le plus simplement possible ?
La physique quantique, c »est la physique qui décrit le monde microscopique, celui qu »on ne voit pas, celui qui est à l »échelle des atomes, du noyau de l »atome, des électrons, des particules. Et à cette échelle là, les comportements sont différents de ceux auxquels nous sommes habitués dans le monde que nous voyons avec nos yeux.

Dans notre monde macroscopique, une particule est une particule, une boule de billard est une boule de billard une pierre que l »on lance est une pierre ; il n »y a aucun doute sur le sujet. A notre échelle, une onde acoustique ou une onde électromagnétique est une onde qui se propage dans l »espace et ce sont des objets bien identifiés.

Dans le monde quantique, les objets sont décrits à la fois comme des particules et comme des ondes. A cette échelle, à une particule -comme un électron-, il faut lui associer une onde pour bien comprendre son comportement. Cela on le sait depuis très longtemps. Louis Debreuil avait énoncé cette hypothèse dès 1923 et ça faisait déjà suite aux hypothèses d »Albert Einstein qui avait dit qu »une onde était aussi une particule.

Qu »a permis de comprendre la physique quantique ?
Ces idées qui ont été farfelues ont été extrêmement fructueuses parce que d »abord, elles ont permis de comprendre la structure de la matière. Vous ne pouvez pas comprendre pourquoi la matière est solide si vous n »avez pas ce modèle quantique.

Un exemple : on sait bien qu »à l »intérieur de la matière, il y a des charges positives et des charges négatives. Et on sait bien que les charges contraires s »attirent. La matière devrait donc s »effondrer sur elle-même. La raison pour laquelle elle ne s »effondre pas, on ne peut que la trouver au sein de cette dualité onde-particule : c »est parce que les particules sont aussi des ondes que la matière de s »effondre pas. Car une onde, pour le dire simplement, on ne peut pas la comprimer indéfiniment.

Cette dualité permet de comprendre la structure de la matière, les propriétés électriques thermiques. C »est aussi cette technique qui a permis de développer des objets aussi importants que le laser (dont on fête le 60e anniversaire cette année), le transistor, les circuits intégrés, et donc les ordinateurs (ou encore l »imagerie par résonnance magnétique, IRM, ndlr). Donc s »il n »y avait pas eu cette physique quantique, on n »aurait eu ni les ordinateurs, ni internet…

Quelles sont les prochaines applications militaires ou grand public qui vont arriver grâce au développement de la physique quantique ?
Une application directe de travaux faits au début des années 1980 : la cryptographie quantique.

La cryptographie, c »est la possibilité d »échanger des informations tout en garantissant leur confidentialité. La cryptographie quantique c »est une révolution conceptuelle car la confidentialité va être garantie par les lois-mêmes de la physique quantique. On va s »appuyer sur ses lois pour s »assurer qu »il n »y a pas un espion qui est en train de regarder le message que vous envoyez.

Pour faire très simple et très schématique, en physique quantique lorsque vous avez un objet élémentaire devant vous, et si vous voulez prélever une information dessus, vous laissez une trace.

Toute l »idée est que vous allez envoyer une information à votre partenaire, avec le moyen de vérifier que personne ne l »a scrutée en passant. Si quelqu »un l »a regardé, vous saurez qu »il ne faut pas l »utiliser. Mais dans ce cas tout n »est pas perdu puisque vous n »envoyez pas l »information elle-même mais une clé. Donc si la clé a été interceptée, vous ne l »utilisez pas et vous en renvoyez une autre jusqu »à ce qu »une clé arrive sans que personne n »ait pu en faire la copie.

Chaque clé ne sert qu »une fois. Donc le problème est ramené au fait de distribuer des clés identiques. Mais là, au moment où vous le faites, vous vous assurez que personne ne l »a interceptée. Et si c »est bien le cas, vous pouvez annoncer, sur un canal parfaitement publique – comme une radio -, « Ok, cette clé marche, on peut échanger l »information ». C »est là toute l »idée de la cryptographie quantique.

Ce n »est pas une technologie inviolable. Mais si elle est violée, vous le savez obligatoirement et vous pouvez y remédier.

Pourquoi cela représente-t-il une révolution conceptuelle ?
C »est une révolution parce que jusqu »ici, la cryptographie repose sur l »hypothèse que votre adversaire – qui essaie de lire votre message – possède à peu près le même niveau technologique que vous.

Prenons l »exemple des méthodes de codage que l »on trouve sur Internet quand on donne son numéro de carte bleue. Si votre adversaire a un ordinateur un million de fois plus puissant que nos plus puissants ordinateurs, il n »aura aucun mal à décoder les messages que vous envoyez.

Ou sinon, comme la sécurité actuelle repose sur la difficulté à factoriser les très grands nombres, on présuppose que l »adversaire ne connaît pas de théorème mathématique permettant de le faire. Dans la cryptographie quantique, il n »y pas d »hypothèse sur le niveau et la sophistication technologique de l »adversaire.

Sous quelle forme cela va-t-il se présenter ?
C »est une application qui marche déjà. Les militaires sont intéressés. Il y a des essais mais ce n »est pas encore utilisé sur les champs de bataille. Par contre, il est clair qu »avec le développement d »internet, si vous souhaitez faire passer des informations très sensibles sur le réseau, on y fera recours tôt ou tard.

C »est une technologie qui devient accessible. Et tout l »enjeu est dans l »accès : arriver à faire une petite boîte qui pour vous ne sera ni plus ni moins qu »un objet comparable à votre téléphone portable. La difficulté est de rendre la chose la plus « transparente » possible pour l »utilisateur. D »ici 5 ans, ce sera là. Après il faut savoir s »il existe un marché ; et ça je l »ignore, ce n »est pas mon métier.

Il faut savoir que toutes les applications de cette technologie n »ont pas encore été trouvées. Il suffit de voir le cas du laser. Lors de sa création, on n »imaginait pas toutes les choses que l »on fait aujourd »hui avec.

D »autres nouveautés à venir ?
Il y a une autre grande ligne de travail, c »est celle sur l »ordinateur quantique. Un ordinateur qui sera exponentiellement plus puissant que les ordinateurs actuels. Mais attention, quand je dis « exponentiellement », je ne veux pas dire « beaucoup plus » ; ils seront réellement exponentiellement plus puissant, au sens mathématique.

Par exemple, ils seront capables de faire des recherches dans des bases de données gigantesques. Le problème, c »est qu »on ne sait même pas si cet ordinateur existera un jour. Grâce au développement des nanotechnologies, on peut espérer réussir à le faire fonctionner un jour. Mais rien n »est moins sûr.

Grande expérience en 1982
Alain Aspect a été cojointement récompensé du prix Wolf avec deux autres chercheurs, l’Autrichien Anton Zeilinger et l’Américain John Clauser. Le prix leur sera remis par le Président israélien Shimon Peres lors d’une cérémonie à la Knesset le 13 Mai 2010.

Avec son équipe, Alain Aspect avait démontré en 1982 qu’ Albert Einstein avait tort. Selon le CNRS, ce sont « ces expériences fondamentales » qui sont récompensées par le prix Wolf, cette année.

En physique quantique, des particules « jumelles » peuvent être si étroitement associées – les physiciens disent « intriquées » ou « corrélées »- que même séparées par plusieurs kilomètres, elles se comportent comme un seul et même « objet ». Toute action sur l’une influe instantanément sur l’autre.

Albert Einstein avait mis en doute, en 1935, ce lien mystérieux semblable à une « action surnaturelle à distance ». Avec deux autres physiciens, il suspectait ainsi l’existence d’entités cachées permettant d’expliquer cette liaison entre particules. Leur argumentation est connue sous le nom de paradoxe EPR (Einstein, Podolsky, Rosen).

Alain Aspect est directeur de recherche au CNRS, professeur à l »Institut d »optique et à l »Ecole Polytechnique. Il anime le Groupe d »Optique Atomique du Laboratoire Charles Fabry de l »Institut d »optique à Palaiseau (Institut d »optique/CNRS/Université Paris-Sud 11).


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