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« Viktor Orban exploite les angoisses de la société hongroise »

Le Premier ministre national-populiste Viktor Orban s’est assuré un troisième mandat consécutif à la tête de la Hongrie dimanche, en remportant une large victoire aux élections législatives marquées par une forte participation. Son parti Fidesz a recueilli près de 49 % des voix (+ 4 points par rapport à 2014), ce qui lui assure de conserver sa majorité des deux tiers au Parlement. À Budapest, le politologue Bulcsù Hunyadi, qui travaille au sein du think tank libéral Political Capital, analyse pour Le Point les suites du scrutin.

Le Point : Quelles vont être les conséquences de la large victoire de Viktor Orban pour la Hongrie mais aussi pour l’Union européenne ?

Bulcsù Hunyadi : Le Fidesz applique pour se maintenir au pouvoir une stratégie de polarisation de la société en présentant la Hongrie comme victime d’ennemis puissants, que sont tour à tour l’Union européenne, les migrants et demandeurs d’asile, les organisations non-gouvernementales (ONG), les militants d’opposition, ou encore George Soros. Pendant le nouveau mandat de Viktor Orban, on peut partir du principe que cette stratégie va se poursuivre et que le Fidesz va continuer à agir pour renforcer son contrôle sur la vie politique et déconstruire l’État de droit, en réduisant au silence les acteurs indépendants que sont les magistrats indépendants, les ONG, les médias qu’il ne contrôle pas encore. La Hongrie va rester un problème pour l’Europe pour l’avenir prévisible.

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Quelle est la principale raison de la nouvelle victoire d’Orban ?

J’en citerai deux. La première est que la société est réceptive à l’angoisse sur laquelle lui-même et son parti jouent. L’élection a montré que le Fidesz jouit d’une audience très forte dans les régions rurales où vivent des populations qui ont très peu de contacts avec l’étranger, avec d’autres cultures. La société hongroise, qui est très fermée sur elle-même, nourrit beaucoup de frustrations et d’angoisses existentielles au sujet de son bien-être, qu’il soit culturel, économique ou social. Cette insatisfaction est un facteur décisif qu’Orban sait exploiter avec beaucoup de succès sur le plan politique, en la mobilisant contre Bruxelles.

Un deuxième facteur essentiel est le rôle joué par les médias hongrois, sans lesquels on ne peut pas comprendre la situation en Hongrie. La plupart des médias nationaux, en tout cas ceux qu’on peut vraiment capter dans les régions rurales, sont contrôlés par le Fidesz. Les électeurs exposés quotidiennement à cette propagande n’ont aucun accès à d’autres sources d’information. Peu à peu, ils finissent par la croire.

Pourquoi les affaires de corruption, dans lesquelles Viktor Orban et certains de ses proches sont impliqués, n’ont-elles pas joué au détriment du Fidesz ?

Il y a quelques semaines, l’opposition a remporté une élection partielle, pendant laquelle la dénonciation de la corruption avait joué un grand rôle. Mais depuis cet épisode inattendu, elle a eu le tort de s’occuper essentiellement d’elle-même. Les différents partis cherchant surtout à se différencier les uns des autres ont relégué au second plan le thème de la corruption.

Est-ce la raison de l’échec de l’opposition ?

Il est clair qu’elle a échoué à accroître son audience par rapport à il y a quatre ans. Les partis d’opposition n’ont pas assez œuvré à convaincre les électeurs. En outre, l’opposition est divisée entre plusieurs formations qui n’ont pas suffisamment cherché à se coordonner. Avec une meilleure coordination, l’opposition aurait pu emporter 5 ou 6 mandats directs supplémentaires et empêcher ainsi la majorité des deux tiers du Fidesz.

Comment se fait-il que l’immigration soit un thème de campagne aussi puissant pour Orban, alors que la Hongrie n’a pratiquement accueilli aucun réfugié ?

Viktor Orban se concentre exclusivement sur ce thème, parce qu’en agitant ces angoisses-là, il peut mobiliser un maximum de monde. Par exemple, lui et son gouvernement auraient pu exploiter les succès économiques enregistrés par la Hongrie. Du point de vue économique, le pays va beaucoup mieux qu’il y a quelques années. Or ils s’en sont abstenus, car Viktor Orban est persuadé qu’il peut gagner beaucoup plus facilement en noircissant le tableau avec le thème des migrations et en proclamant que la Hongrie est victime de complots et de conspirations d’origine étrangère.

Peut-on dire aujourd’hui que l’illibéralisme, l’idéologie antilibérale revendiquée par Viktor Orban, fait partie du paysage européen ?

Ce qui est sûr, c’est que le courant populiste conservateur fondé sur la notion d’identité se renforce de manière générale en Europe et particulièrement dans sa partie orientale, où il se combine avec des tendances autocratiques et illibérales qui visent à pérenniser le pouvoir de ces acteurs politiques.

Le Fidesz peut-il rester membre du Parti populaire européen (PPE) où siègent par exemple la CDU d’Angela Merkel et les Républicains de Laurent Wauquiez ?

Viktor Orban et Manfred Weber, le patron du groupe parlementaire PPE, se sont vus il y a quelques semaines et se sont entendus sur le fait que Fidesz reste membre du PPE, malgré les divergences de vues sur des sujets comme le respect de l’État de droit, le statut des ONG ou les migrations. Ils veulent arriver à une position commune sur l’immigration d’ici les élections européennes de 2019. Je suis incapable de dire comment ils peuvent y arriver. On peut penser que la victoire très nette d’Orban dimanche a encore renforcé sa position sur ce sujet.

Certains poussent la Commission européenne à engager contre la Hongrie une procédure pour violation de l’État de droit, comme elle l’a fait avec la Pologne. Serait-ce souhaitable ?

Une telle procédure ne contribuerait en rien à une solution du conflit entre la Hongrie et l’Union européenne, car elle ne peut pas aboutir. Elle doit en effet être menée, selon le traité, à l’unanimité des États membres. La Hongrie et la Pologne peuvent se soutenir mutuellement, l’une mettant son veto à toute sanction contre l’autre. Une telle procédure, si la Commission la déclenchait, durerait des années, en vain. Elle ne ferait qu’apporter de l’eau au moulin de Viktor Orban, qui pourrait expliquer encore une fois que la Hongrie est une victime de l’Union européenne.


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