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L’armée syrienne a repris le contrôle de la Ghouta orientale

Des soldats syriens à l’est de Douma, dans la province de la Ghouta orientale, le 8 avril 2018.

Encerclement, bombardements, négociations, reddition. La stratégie contre-insurrectionnelle du régime syrien, testée et éprouvée à de multiples reprises, a une nouvelle fois porté ses fruits. Après la vieille ville de Homs en mai 2014, les localités de Daraya et Mouadamiya, au sud de Damas, à l’été 2016, et les quartiers est d’Alep en décembre 2016, la Ghouta orientale, dans la périphérie est de la capitale syrienne, a succombé à son tour à cette mécanique implacable.

Jeudi 12 avril, après cinq années de siège et huit semaines d’offensive marquées par un pilonnage incessant, qui a causé la mort de plus de 1 600 civils et s’est conclu sur une attaque chimique présumée, la police militaire russe s’est déployée dans Douma, la capitale et l’ultime poche de résistance de cette région rebelle, scellant sa capitulation définitive. Face aux menaces d’intervention militaire occidentale à la suite du bombardement chimique du 7 avril, Moscou a voulu à l’évidence accélérer la manœuvre pour rendre sa victoire irrémédiable.

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Dans les jours précédents, en vertu d’un accord avec Moscou, les combattants de Jaïch Al-Islam, le groupe armé d’inspiration salafiste aux commandes de la ville depuis 2013, avaient commencé à être transférés par bus vers la région de Djarabulus, une zone rebelle du nord de la Syrie, sous protection turque.

« L’armée syrienne n’est pas encore rentrée dans Douma, mais on peut dire que la ville est tombée, témoigne Baraa Abdel Rahman, un journaliste proche de l’opposition syrienne, qui a évacué Douma il y a quelques jours. Les rebelles qui ne sont pas encore partis sont passés de facto sous le contrôle des Russes. » Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), le leader de Jaïch Al-Islam, Issam Bouwaïdani, se trouvait jeudi matin dans une zone rebelle du nord de la Syrie, après avoir quitté Douma. Les derniers combattants encore présents dans la ville ont entrepris de remettre leurs armes lourdes aux Russes.

Cette opération constitue l’épilogue de la chute de la Ghouta, amorcée mi-mars, lorsque les deux autres groupes anti-Assad présents sur ce territoire, Ahrar Al-Cham et Faylaq Al-Rahman, avaient hissé le drapeau blanc. Les premiers, d’obédience salafiste aussi, avaient consenti à abandonner leur fief de Harasta le 19 mars et les seconds, de tendance islamiste modérée, ont quitté les communes du sud de la Ghouta qui formaient leur place forte – Zamalka, Aïn Terma, Jobar et Erbin – deux jours plus tard.

« Défi intolérable »

Leurs hommes, accompagnés de leurs proches ainsi que de militants révolutionnaires non armés, ont été convoyés vers la province d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, une zone sous la coupe d’une myriade de milices, souvent radicales, comme les djihadistes de Hayat Tahrir Al-Cham, issu d’Al-Qaida. Plusieurs dizaines de milliers de personnes, combattants et civils mélangés, ont ainsi été évacuées de la Ghouta à la suite d’accords dictés par Moscou. Près de 100 000 civils ont aussi été déplacés par les combats, sur une population totale estimée par l’ONU, avant le début de l’assaut le 19 février, à 400 000.

Si la reprise des quartiers orientaux d’Alep avait sonné le glas définitif des espoirs des insurgés, délogés de la ville dont ils avaient rêvé de faire la tête de pont de l’insurrection, la reprise de la Ghouta couronne, elle, le processus de rétablissement du régime Assad. Bien que moins célèbre que la métropole du nord, cette région recélait une grande importance pour le pouvoir syrien, du fait de sa proximité immédiate avec Damas. En regagnant ce vaste territoire, utilisé par les rebelles pour lancer des mortiers sur la capitale, les forces pro-gouvernementales sanctuarisent de nouveau le cœur névralgique du système Assad.

« Même si Jaïch Al-Islam et les autres groupes ne constituaient pas une menace militaire importante, leur présence à quelques kilomètres de Damas représentait un défi intolérable pour les autorités, décrypte Sinan Hatahet, un analyste proche de l’opposition, basé en Turquie. Les tirs de mortier perturbaient à intervalles réguliers la vie à Damas et leur arrêt était demandé par toute la population de la capitale. En balayant les rebelles comme il l’a fait, le pouvoir remporte une victoire spectaculaire. » La monarchie saoudienne, longtemps à l’avant-garde du front anti-Assad, ne s’y est pas trompée. Fin mars, en tournée aux Etats-Unis, le prince héritier du royaume, Mohammed Ben Salman, a reconnu l’évidence : « Bachar va rester au pouvoir. »

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Pour les rebelles, c’est un pas de plus vers une disparition programmée. Leur rétrogradation au rang d’une petite guérilla rurale, processus engagé après la chute d’Alep-Est, s’accélère. Les derniers secteurs qu’ils contrôlent dans la banlieue de Damas sont de petits faubourgs, au sud, comme Qadam, dont la reprise ne devrait pas demander beaucoup d’efforts aux autorités. « La route Damas-Homs est désormais sûre, comme la route de Deraa [au sud] et celle de Tartous [sur la côte], s’enthousiasme Taleb Ibrahim, un commentateur proche du régime. L’économie va pouvoir repartir. »

Ce succès a été obtenu au prix d’une offensive d’une très grande brutalité. Le gros du travail a été accompli par l’aviation syrienne et son homologue russe, qui ont largué sur la Ghouta une palette complète d’engins de mort : des barils explosifs rudimentaires aux bombes « bunker-buster » ultra-perfectionnées, destinés à perforer des fortifications souterraines, en passant par des bombes et des roquettes conventionnelles, des projectiles remplis de chlore et diverses armes bannies par les traités internationaux, comme des bombes incendiaires et à fragmentation. Le 7 avril, une attaque chimique d’une ampleur inhabituelle a tué une cinquantaine de personnes et en a blessé plusieurs centaines d’autres.

Rengaine

Ce blitz visait deux objectifs : d’une part segmenter la Ghouta en trois zones, correspondant aux fiefs des trois principaux groupes armés, de façon à les soumettre plus facilement, l’un après l’autre ; et d’autre part, châtier les civils, cibles prioritaires de l’offensive, pour briser leur moral et les inciter à se retourner contre les rebelles. « C’est de la tactique militaire classique, diviser pour mieux régner », relève Sinan Hatahet.

En attaquant par l’est rural de la Ghouta, une zone de champs et de petites fermes, difficile à défendre, l’armée régulière et ses supplétifs ont pu rapidement progresser. Dès la mi-mars, les trois secteurs urbanisés de cette banlieue déshéritée – Douma, Harasta et Zamalka-Erbin – se sont retrouvés isolés les uns des autres, ce qui a accentué la discorde et la méfiance préexistant entre les factions. En 2016, puis en 2017, de violents combats avaient opposé les salafistes de Jaïch Al-Islam, accusés de prétentions hégémoniques, aux membres de Faylaq Al-Rahman, affilié à l’Armée syrienne libre, la branche modérée de l’insurrection.

C’est aussi à la mi-mars que des manifestations pro-régime sans précédent ont éclaté dans les communes agricoles du centre de la Ghouta encore tenues par les rebelles. A Saqba, Hammouriya, Mesraba et Kfar Batna, des cortèges relativement fournis ont défilé dans les rues, aux cris de « Allah, Syria, Bachar wa bass » (« Dieu, la Syrie, Bachar et c’est tout »), l’une des rengaines favorites des loyalistes, et en appelant au départ des combattants. Les troupes pro-gouvernementales se trouvant alors en lisière de ces localités, il est difficile de jauger la sincérité de ces rassemblements.

Soutiens de la onzième heure

Les médias officiels y ont vu la preuve que le régime conservait, jusque dans la Ghouta, une base importante prête à se mobiliser au moindre signe de faiblesse des rebelles. Ils ont monté en épingle le rôle joué par un prédicateur soufi, Bassam Difdaa, présenté comme une taupe du pouvoir et l’instigateur d’une « contre-insurrection ». Les militants anti-Assad et certains observateurs jugent au contraire que ces mobilisations pro-régime de la onzième heure témoignent d’un simple réflexe de survie de la part d’habitants à bout de forces.

« Ce sont des gens qui ont vécu cinq ans sous les bombes, qui voient les soldats approcher, se sentent abandonnées par les groupes armés et décident de sauver leur peau en ouvrant des négociations avec les Russes », estime Sinan Hatahet. La vérité se situe probablement entre ces deux thèses, avec comme résultat qu’à Kfar Batna et Saqba, la population a conclu un accord de réconciliation avec le régime, contre l’avis de Faylaq Al-Rahman, qui a tenté en vain de s’y opposer.

« En définitive, ce qui a permis au régime de l’emporter, c’est sa tactique punitive, selon Noah Bonsey, spécialiste de la Syrie à l’International Crisis Group. La brutalité choquante avec laquelle la bataille a été menée atteste une érosion flagrante des normes internationales. Passés les premiers jours, plus personne ou presque n’a réagi dans la communauté internationale. C’est une manière évidente d’inciter le régime à continuer. Mais cela aura des conséquences bien au-delà de la Syrie. »

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