A la Une

Ce crucifix qui met l’Allemagne sens dessus dessous

À partir du 1er juin, tous les bâtiments publics de la Bavière seront obligés d’accrocher un crucifix dans leur hall d’entrée. Il devra être placé sur un pan de mur bien visible. Il rappellera à tous les visiteurs « la tradition historique et culturelle de la Bavière », et sera « un signe visible d’adhésion aux valeurs fondamentales de l’État de droit en Bavière et en Allemagne ». Markus Söder, le ministre-président de la Bavière riche, conservatrice et catholique, était loin de se douter que cette décision allait déclencher un tel ouragan de protestations en Allemagne. Le débat fait rage depuis plusieurs semaines et ne désenfle pas.

Tout le monde s’en mêle : les éditorialistes des grands journaux faiseurs d’opinion, les convives des dîners en ville et des Kneipen, les bistrots allemands, l’ensemble de la classe politique et surtout l’Église catholique. Le très influent cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et de Freising, a été l’un des premiers à protester vivement contre cette mesure. Il n’y va pas par quatre chemins et accuse carrément Markus Söder de « diviser, d’agiter et de monter les gens les uns contre les autres ». Le cardinal rappelle au ministre-président qu’il n’est pas du ressort de l’État d’interpréter les symboles religieux. Il remet vertement Markus Söder à sa place : « Celui qui voit dans le crucifix un symbole culturel n’a rien compris. » D’autres membres de l’Église catholique ont été plus féroces encore, n’hésitant pas à parler de blasphème.

Même les croyants s’offusquent

La classe politique aussi s’est jointe à ce concert de protestations. Pour ménager son allié au sein de la coalition gouvernementale qui vient à peine de se mettre au travail, Angela Merkel, protestante et croyante, a préféré s’abstenir de tout commentaire. La CSU (Union chrétienne-démocrate), Markus Söder en tête, n’a jamais pardonné à la chancelière d’avoir, en 2015, ouvert les portes de l’Allemagne à des milliers de réfugiés. Elle ne cesse de brandir le spectre de l’« islamisation de l’Allemagne ».

Du côté du SPD, social-démocrate, on ne prend en revanche pas de gants pour dénoncer la « campagne électorale bon marché » du Bavarois qui espère, en pendant un crucifix dans les mairies et les bâtiments administratifs, endiguer la montée de l’AfD, le nouveau parti populiste d’extrême droite en Bavière. Les Verts, pour leur part, félicitent l’Église catholique qui a su prouver dans cette affaire qu’elle n’est pas à la botte de la CSU.

Abonné aux provocations, Markus Söder semble cette fois être allé trop loin, jugent d’ailleurs 64 % des Allemands. Même les croyants s’opposent à la présence du crucifix dans les bâtiments publics. Selon le même sondage, 48 % des catholiques et 62 % des protestants réprouvent cette mesure.

Ramener les électeurs au bercail

Mais Markus Söder ne se laisse pas démonter par ces critiques tous azimuts. À la CSU, on resserre d’ailleurs les rangs derrière le ministre président. Dorothee Bär, vice-présidente du parti et fraîchement promue ministre chargée de la Numérisation au sein de la nouvelle équipe d’Angela Merkel, a volé au secours de son chef : « Ces déclarations du cardinal Marx me surprennent beaucoup, avoue-t-elle. Il y a trois ans, il plaidait encore ouvertement pour que le crucifix reste accroché dans les écoles et les tribunaux […]. Personne ne peut nier que notre pays est imprégné de culture judéo-chrétienne. » Même le fils de Franz Josef Strauss, le fameux « taureau de Bavière », père fondateur du Land, est venu à la rescousse de Markus Söder. Pour Max Josef Strauss, « il n’y a pas de meilleur emblème de l’amour du prochain et d’humilité que le crucifix ». Il estime que cette mesure est « le signe qui convient au moment qui convient ».

En dépit des critiques, reste à savoir si le coup du crucifix ramènera au bercail les électeurs qui flirtent avec l’extrême droite. Réponse à la sortie des urnes, le 14 octobre, aux régionales bavaroises.


Continuer à lire sur le site d’origine