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Coupe du monde 2018 : confiance, collectif, culture de la gagne… Les sept leçons de management de Didier Deschamps

L’équipe de France dispute dimanche 15 juillet la troisième finale de Coupe du monde de son histoire. Leur parcours en Russie valide la « méthode Deschamps ».

Le 8 juillet 2012, Didier Deschamps est officiellement nommé à la tête de l’équipe de France. L’ancien entraîneur de l’OM fait face à un champ de ruines. Les fantômes de la mutinerie de Knysna lors du Mondial 2010 ne sont pas loin. L’Euro 2012, où les Bleus de Laurent Blanc sont éliminés en quarts de finale par l’Espagne – futur vainqueur –, a été marqué par de nombreuses polémiques. Six ans plus tard, l’équipe de France dispute dimanche 15 juillet sa troisième finale de Coupe du monde. Comment le capitaine des champions du monde 1998 a-t-il transformé une équipe moribonde en finaliste du Mondial ? La réponse est à chercher du côté de son management. Présentation de la méthode Deschamps, en sept points.

1Installer la confiance

Quand vous brisez la confiance qu’il avait placée en vous, Didier Deschamps ne pardonne pas – Karim Benzema peut en témoigner. Au plus fort de sa crise de confiance et d’efficacité sous le maillot bleu (1 222 minutes sans marquer entre juin 2012 et octobre 2013), l’attaquant du Real Madrid avait pu compter sur le soutien sans faille de son sélectionneur. Revenu en forme durant le Mondial au Brésil, Karim Benzema devait être l’avant-centre de l’équipe de France à l’Euro 2016. Mais l’affaire de la sextape vient briser le lien de confiance entre les deux. « Il veut pouvoir s’appuyer sur les gens les yeux fermés, assure à franceinfo Jean-Philippe Bouchard, auteur du livre Dans la tête de Didier Deschamps : tous ses secrets d’entraîneur (Solar, 2018), et avec Benzema, ce lien s’est rompu. Il ne l’a pas tenu au courant de ses affaires. »

En Russie, cette confiance rejaillit sur le terrain. « Face à la Belgique, les joueurs ont fait des efforts qu’ils ne feraient pas pour quelqu’un en qui ils n’ont pas une totale confiance », avance l’auteur. Cette règle vaut pour les joueurs, mais également pour son staff. La relation qu’il a nouée avec Guy Stephan est à ce titre un symbole. Les deux hommes se connaissent depuis l’Euro 2000 et travaillent ensemble au quotidien depuis 2009 et leur aventure commune sur le banc de l’OM. « Avec le temps, on n’a parfois même plus besoin de se parler. Juste un regard et on se comprend », illustre l’adjoint dans le livre de Raphaël Raymond, Les Bleus 2016 (Le Cherche Midi, 2016)

2Inculquer la gagne

Pour le sélectionneur tricolore, seule la victoire est belle.

La philosophie, c’est d’être efficace. Evidemment qu’il faut gagner, on ne joue pas au football pour s’amuser. On ne peut pas être complètement satisfait s’il n’y a pas le résultat au bout.Didier Deschamps, sélectionneur de l’équipe de Franceà la presse, en août 2012

Cette « culture de la gagne », comme le veut l’expression consacrée, ne date pas d’hier, ni de son passage à la Juventus Turin. « Il a ça en lui depuis son enfance », estime Jean-Philippe Bouchard. Et il a su l’inculquer à son groupe. En début de Mondial, les deux premières sorties des Bleus face à l’Australie et au Pérou ne sont pas convaincantes. Mais les Français assurent l’essentiel à chaque fois : les trois points de la victoire, quand les autres grosses équipes galèrent. « On a gagné nos deux matchs, on est très contents car certaines grandes nations n’en sont pas là. On parle, on parle, mais pour l’instant on est quand même dans le positif et il ne faut pas l’oublier », rappelle Paul Pogba après le succès poussif face aux Péruviens. Une vision qui ne plaît pas forcément à tout le monde.

« La France refuse le jeu, c’est malheureux avec de telles individualités », regrette Thibaud Leplat, auteur du livre Football à la française (Solar, 2016). « On joue comme si la défaite était devenue insupportable, or on peut apprendre des défaites », ajoute l’auteur joint par franceinfo. Le Didier Deschamps formé à l’école du FC Nantes, adepte du beau jeu, a disparu depuis longtemps. La Juventus et Marcello Lippi sont passés par là. Pendant cinq saisons en tant que joueur (1994-1999) et une sur le banc (2006-2007), alors que le club est en Serie B (deuxième division italienne), Deschamps apprend à gagner et amasse l’un des plus beaux palmarès du foot français.

Son bagage d’entraîneur est beaucoup plus italien que nantais.Jean-Philippe Bouchard, auteur de « Dans la tête de Didier Deschamps : tous ses secrets d’entraîneur »à franceinfo

3Priorité au collectif

Joueur, Didier Deschamps était ce qu’on appelle un milieu de terrain de devoir, un travailleur de l’ombre. Il n’avait pas le talent d’un Zinédine Zidane, avec qui il a fait les belles heures de la Juventus et des Bleus. Le talent, voilà une notion que le sélectionneur des Bleus n’aime pas.

C’est quoi le talent ? C’est un mot que je ne supporte pas. Un gamin de 12-13 ans a du talent ? Ça veut dire quoi ? Arrêtez avec ça. Il a des qualités, du potentiel, mais rien de plus. J’en ai vu des phénomènes à 15 ans, qui deux ans plus tard disparaissaientDidier Deschamps, sélectionneur de l’équipe de Franceau site Capital

Se dessine alors un des grands principes du sélectionneur Deschamps : le collectif passe avant l’individu. Karim Benzema n’a plus jamais revêtu la tunique bleue pour « l’exemplarité et la préservation du groupe », justifiait la FFF avant l’Euro 2016. Franck Ribéry, de retour en forme au Bayern, n’a jamais été rappelé après son forfait avant le Mondial 2014. « Didier Deschamps met l’apport technique et l’apport positif, humain, dans un groupe au même niveau », indique à franceinfo David Marmo, co-auteur, avec le journaliste de L’Equipe Vincent Duluc, du livre Football Management (Eyrolles, 2013).

La compétence n’est donc plus le seul critère de sélection. Adrien Rabiot, performant avec le PSG mais pas toujours avec les Bleus, a payé pour l’apprendre, lui qui n’a pas été sélectionné avant le Mondial. Un autre exemple ? Adil Rami. « Il n’a pas joué une minute, mais il est super jovial, c’est l’un des joueurs préférés des journalistes. D’autres joueurs, comme Aymeric Laporte, avaient peut-être plus de talent, mais Rami a un rôle important dans le groupe », estime David Marmo.

Là encore, l’actuel patron des Bleus a été à bonne école sous l’égide d’Aimé Jacquet. Avant l’Euro 96 en Angleterre, Didier Deschamps voit le sélectionneur se passer des deux plus grandes stars françaises de l’époque, adulées sur les pelouses de Premier League : David Ginola et Eric Cantona. « Cantona, Ginola, j’y pense souvent. Mais c’est une question sportive qui m’est posée. Je connais la forme actuelle de Cantona, les qualités de footballeur de Ginola, mais dans cette préparation que j’ai établie, je poursuis mes idées jusqu’au bout », argumente Jacquet à l’époque. Le groupe prévaut déjà. Et l’avenir lui donnera  puisque sans ses deux stars, la France sera quand même championne du monde.

4Etre pragmatique

Didier Deschamps n’obéit qu’à une seule chose : son objectif. Et celui-ci est plutôt simple, avec les Bleus comme partout où il est passé en tant que joueur et entraîneur : gagner. « Que son équipe joue bien ou pas ne l’intéresse pas, il veut gagner. Et tant pis si tout le monde se plaint », avance David Marmo. Ce pragmatisme se ressent dans ses compositions d’équipe ou dans la manière de jouer de l’équipe de France. « C’est simple, il ne prend jamais de risque, il cherche même à le supprimer », lance Thibaud Leplat. Frileuse pour les uns, solide pour les autres, son équipe divise mais qu’importe, pourvu qu’il y ait l’ivresse du succès.

Son pragmatisme se ressent aussi dans le choix des hommes. Didier Deschamps ne ferme jamais la porte, exception faite, peut-être, pour Benzema, dont la communication a enterré ses chances de retour. Insulté par André-Pierre Gignac à l’époque où il entraînait l’OM, Deschamps n’hésite pas à le rappeler en équipe de France quelques mois plus tard. Critiqué par Dimitri Payet lors d’une interview au Canal Football Club à l’automne 2015, Deschamps ne dit rien et laisse le joueur de West Ham travailler. Le Réunionnais finit par le convaincre quelques mois avant l’Euro 2016. Adrien Rabiot refuse d’être parmi les réservistes ? Si Deschamps le tance ouvertement en conférence de presse, il n’hésitera pas à le rappeler « s »il voit qu’il peut l’aider, éclaire Jean-Philippe Bouchard, à condition que le joueur comprenne que le groupe est au-dessus des états d’âme ».

5Savoir communiquer

Le sélectionneur des Bleus, Didier Deschamps, en conférence de presse le 9 juillet 2018 à Saint-Pétersbourg,en Russie.Le sélectionneur des Bleus, Didier Deschamps, en conférence de presse le 9 juillet 2018 à Saint-Pétersbourg,en Russie. (GIUSEPPE CACACE / AFP)

Le 2 juillet 2000, la France remporte son deuxième Euro. Didier Deschamps est au crépuscule de sa carrière internationale, il le sait et veut l’annoncer. Roger Lemerre, le sélectionneur, désire le convaincre de continuer. Sur la pelouse, les deux hommes s’entretiennent. Les caméras captent ce moment intime et révèlent le contenu de cette conversation. Deschamps est furieux, on ne l’y reprendra plus. Depuis, il maîtrise tout : chaque conférence de presse, chaque interview. « Il ne veut pas se couper de la presse, car il sait qu’il en a besoin, mais il ne veut pas donner trop d’infos », soutient Jean-Philippe Bouchard. Tantôt blagueur, chambreur avec les journalistes – « c’est dur d’avoir le dernier mot avec lui », précise l’auteur – il manie savamment la langue de bois.

S’il doit protéger son groupe, il en dira le moins possible. Mais s’il doit séduire les journalistes, il donnera quelques éléments pour qu’il y ait de bons papiers sur ses joueurs.David Marmo, co-auteur du livre « Football Management »à franceinfo

Très à l’aise devant les micros lorsqu’il faut parler football, il déteste être sur un terrain qu’il ne maîtrise pas : le judiciaire à l’époque de l’affaire de la sextape ou encore les attentats du 13-Novembre. En mars 2016, avant une rencontre, relancé par un journaliste italien sur ce sujet, il répliquait : « J’en ai déjà parlé, les joueurs en ont déjà parlé et on s’est beaucoup exprimés dessus. On a tout dit. On n’oublie pas, on n’oubliera jamais, mais qu’est-ce que ça peut apporter d’en reparler aujourd’hui ? » Avec ses joueurs, il est aussi dans le contrôle. Des entretiens privés en tête-à-tête, mais jamais de justification sur ses choix. 

Il décide seul et ne s’explique pas, ou rarement, pour asseoir son autorité.Jean-Philippe Bouchard, auteur du livre « Dans la tête de Didier Deschamps : tous ses secrets d’entraîneur »à franceinfo

6Lever la voix à bon escient

Sur le terrain, Didier Deschamps « aboyait tout le temps, rameutait, rassemblait », se souvient Robert Budzynski, directeur sportif du FC Nantes entre 1963 et 2005. Une fois sur le banc, il s’est calmé et hausse rarement le ton. « Il n’est pas là pour nous fliquer ou nous brider dans notre style de vie ou notre jeu. Il y a des points importants pour lui, sur lesquels il s’appuie. Pour le reste, il est plutôt cool », détaillait Dimitri Payet en conférence de presse en octobre 2017.

« Son palmarès parle pour lui, les joueurs le respectent énormément. Ils savent que c’est lui qui les a emmenés jusqu’ici », assure Jean-Philippe Bouchard. Il s’appuie sur cette autorité naturelle et a su se rapprocher de ses joueurs avec le temps. Mais en bon chef, s’il faut passer une soufflante, il n’hésite pas. Et mieux vaut ne pas « moufter », comme le rappelait Christophe Manouvrier, ancien préparateur physique de l’OM, à 20 minutes.

Didier Deschamps, le sélectionneur tricolore, enlace ses joueurs Presnel Kimpembe et Paul Pogba après la victoire contre la Belgique en demi-finale de Coupe du monde, le 10 juillet 2018 à Saint-Pétersbourg (Russie).Didier Deschamps, le sélectionneur tricolore, enlace ses joueurs Presnel Kimpembe et Paul Pogba après la victoire contre la Belgique en demi-finale de Coupe du monde, le 10 juillet 2018 à Saint-Pétersbourg (Russie). (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

En équipe de France, ces « gueulantes » ne sont pas nombreuses mais marquent les esprits. La tournée sud-américaine décevante, avant l’été 2013, et la défaite en Albanie (0-1) en juin 2015 l’avaient « mis hors de lui » racontait à L’Equipe (article payant) un témoin de l’époque. Durant le Mondial 2014, il avait remobilisé ses joueurs à la pause du huitième de finale contre le Nigéria (2-0). A l’Euro 2016, à la mi-temps du huitième de finale contre l’Irlande, il avait recadré vertement ses troupes, menées 1-0. Plus récemment, la défaite 3-2 en mars dernier contre la Colombie, alors que les Bleus menaient 2-0, l’a rendu furieux. Il n’avait « pas aimé la manière, ni la suffisance » de ses joueurs, écrit Le Parisien.

7Choisir ses cadres

Capitaine et relais sur le terrain de la plupart de ses entraîneurs, Didier Deschamps a conscience de l’importance d’avoir des cadres dans une équipe. En Bleu, il a pourtant eu du mal à les identifier. C’est pour cela qu’il a longtemps maintenu sa confiance à Patrice Evra, alors que le latéral gauche était décrié. Mais en 2018, sa quête semble terminée. Si Hugo Lloris a conservé son brassard de capitaine, son poste de gardien l’empêche d’être ce relais privilégié qu’il recherche. « Il est en train de le trouver en la personne de Raphaël Varane », témoigne Jean-Philippe Bouchard. Avant qu’il ne rate l’Euro 2016 sur blessure, le défenseur du Real Madrid était le joueur le plus aligné par le sélectionneur. Au milieu, il est en train de transformer Paul Pogba. 

On ignorait le meilleur poste de Pogba, il pouvait avoir des gestes superflus ou perdre le contrôle, mais Deschamps ne l’a pas lâché car il savait qu’il était doué.Jean-Philippe Bouchard, auteur du livre « Dans la tête de Didier Deschamps : tous ses secrets d’entraîneur »à franceinfo

Et en attaque, depuis la mise au placard de Karim Benzema, Antoine Griezmann est l’élu. « Lui et Deschamps n’ont même plus besoin de se parler », admire Jean-Philippe Bouchard. Il évoque le dernier corner lors de la demi-finale contre la Belgique : « Deschamps n’a même pas eu besoin de dire à Griezmann et Mbappé d’aller le jouer à deux, le joueur de l’Atletico savait qu’il fallait le faire. » Outre ses leaders, Deschamps sait qu’il lui faut aussi des « soldats » : jadis Moussa Sissoko et Mamadou Sakho, aujourd’hui Blaise Matuidi, Lucas Hernandez ou Olivier Giroud.

Après la qualification en finale mardi 10 juillet, Hugo Lloris a salué le travail de son sélectionneur : « Il mérite tout le crédit. C’est lui qui élabore les plans de jeu. Cette victoire, c’est la sienne. On a appliqué à la lettre ce qu’il nous a demandé. »

Interrogé par TF1, Didier Deschamps n’a pas tiré la couverture à lui.  « Chapeau à mes joueurs et à l’ensemble de mon staff. On va jouer cette finale. [Je ressens] beaucoup de fierté par rapport à mon groupe, ça fait quarante-neuf jours qu’on est ensemble. Il s’est passé beaucoup de choses, des choses plus difficiles mais c’est la vie de groupe. Et j’y ajoute tout mon staff, il y a vingt personnes, c’est le mérite de tout le monde. » Le collectif, encore et toujours. Une recette qui a fait ses preuves et qui pourrait déboucher sur une deuxième étoile, vingt ans après la première.


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