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Olivier Mahafaly: «Je suis le candidat à abattre»

Il a été l’un des 5 Premiers ministres du président sortant Hery Rajaonarimampianina. Olivier Mahafaly est resté plus de 2 ans à la tête du gouvernement, avant d’être poussé à démissionner en juin dernier, pour sortir de la crise politique d’avril 2018. Parallèlement, pendant 4 ans, il a dirigé le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation. Aujourd’hui, il critique ouvertement les actions menées par l’ex-chef de l’Etat. A 54 ans, ce natif de Nosy Be se présente pour la première fois à une élection présidentielle, contre son ancien président, mais également contre plusieurs de ses anciens ministres.

RFI : Olivier Mahafaly, vous êtes le candidat numéro 22, l’un des 36 concurrents à la magistrature suprême, pourquoi avez-vous décidé de vous porter candidat ?

Olivier Mahafaly : Comme vous savez, j’ai été Premier ministre pendant deux ans et j’ai toujours travaillé sur la base de la vision et du programme du président de la République. Je ne suis pas un traître, mais il faut dissocier l’affaire d’Etat et l’amitié. Il est temps pour moi de travailler sur ma propre vision, puisque je pense que je peux aussi apporter ma pierre à l’édifice.

Quels sont vos atouts, d’après vous ?

D’abord, je suis un haut fonctionnaire de l’Etat. J’ai gravi toutes les hiérarchies de l’administration. J’ai été chef de service, directeur dans les ministères, ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, Premier ministre. J’ai sillonné aussi tout le pays, toutes les régions. Donc c’est vraiment un atout non négligeable.

Vous répétez à chacun de vos meetings qu’« il ne faut pas tourner la page mais changer carrément de livre ». Vous promettez le changement. Pourtant comme quatre autres candidats, vous avez fait partie du gouvernement, vous l’avez dit. Vous avez donc votre part de responsabilité dans le système actuel… Un système que vous semblez décrier aujourd’hui. Cela signifie-t-il que vous n’assumez pas ce que vous avez réalisé en tant que Premier ministre ?

Non, j’assume complètement ma responsabilité. Quand même, on a pu avancer sur certaines choses, mais le fait est là, la plupart des Malgaches vivent toujours dans la pauvreté. C’est pour cela que j’ai pris le courage à deux mains pour vraiment apporter ma propre vision.

Pourtant, le jour où vous vous êtes porté candidat à l’élection présidentielle, vous avez dit, comme pour vous dédouaner un petit peu, que vous n’aviez été « qu’un simple exécutant ».

Il y a des choses qui se sont passées vraiment d’une manière très favorable, mais il y des choses qui le sont moins. J’ai fait mon mea culpa, parce que je ne suis pas satisfait sur la politique qu’on a menée, par exemple, au niveau de l’autosuffisance alimentaire ou pour combattre l’insécurité à Madagascar. Je crois que les membres du gouvernement ont travaillé d’une manière dispersée. La cause principale de la faillite, vraiment, de ce régime, c’est que dans l’entourage du président ils étaient plus royalistes que le roi. Donc ils m’ont mis des bâtons dans les roues à chaque fois et donc voilà. Je n’ai pas pu vraiment travailler comme il se doit, étant donné que j’étais « le numéro 2 ».

Vous dites que le gouvernement a travaillé d’une manière dispersée. N’est-ce pas là justement un des rôles du Premier ministre de recadrer ses équipes ?

Oui et non. Lorsqu’on travaille dans un gouvernement où certains pensent appartenir au président et d’autres appartenir au Premier ministre ce n’est pas de bon augure. C’est pour cela que je dis qu’on aurait pu faire beaucoup plus de choses s’il y avait eu plus de cohérence dans la manière dont on a mené nos actions au niveau du gouvernement, s’il y avait eu plus de volonté politique, s’il y avait eu plus de cohésion au niveau du gouvernement.

Jusqu’à présent rien de concret n’a filtré sur votre programme. Quelles sont les mesures phares sur lesquelles vous allez faire votre campagne ?

Il faut repartir sur de nouvelles bases maintenant.

Quelles sont ces bases, justement ?

Il faut maintenant respecter les valeurs. Les valeurs malgaches, républicaines et démocratiques, pour éviter vraiment ces crises cycliques dont Madagascar est tout le temps victime. J’ai été en Afrique tout récemment et j’ai assisté aux obsèques de Winnie Mandela. J’ai été agréablement surpris de voir que le président en exercice, Ramaphosa, et les anciens présidents s’entendaient parfaitement. Ce n’est pas le cas à Madagascar. Donc, lorsqu’on voit des présidents qui lavent leur linge sale en public, je pense que ce n’est pas cela les valeurs de Madagascar. Donc il faut revenir sur ces valeurs malgaches, puisque les valeurs malgaches reposent justement sur le respect mutuel, sur la tolérance. C’est pour cela que si j’étais élu, je ferais vraiment de l’éducation civique ma priorité des priorités.

Dans mon programme également, je pense qu’il faut que cette fois-ci on mette en œuvre cette décentralisation. On le dit toujours. Moi-même quand j’étais ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation je n’étais pas du tout satisfait de ce qui s’est passé. Un exemple : 5 % simplement des ressources de l’Etat sont transférées au niveau des collectivités. Ce n’est pas normal. Soit on fait de la décentralisation soit on ne le fait pas. On infantilise nos élus à Madagascar en disant qu’ils ne sont pas assez mûrs. Ils ne sont pas assez mûrs, mais maintenant il faut assumer. Si on veut vraiment aller vers la décentralisation, il faut transférer non seulement les compétences, mais il faut oser aussi transférer les ressources. Et la troisième priorité maintenant c’est de miser aussi sur nos ressources locales. Il faut mobiliser les ressources locales au lieu de quémander – passez-moi l’expression -, tout le temps des aides étrangères. On va renégocier même des contrats qu’on a déjà effectués avec les firmes étrangères et justement, c’est là qu’on doit vraiment prioriser nos actions.

Olivier Mahafaly, si vous ne passez pas le second tour de l’élection présidentielle, savez-vous déjà qui vous allez soutenir ?

On n’en est pas encore là. Si j’ai décidé de me présenter, c’est pour gagner. C’est pour remporter cette élection. Et moi, j’ai ma chance, je pense que je passerai donc au second tour.

Vous avez été cité dans plusieurs affaires de corruption, de détournement d’argent public. Votre nom circule encore dans certains dossiers en cours. Comment vous positionnez-vous par rapport à cela ?

Dieu merci, j’ai été blanchi. J’ai pris le courage à deux mains à un moment donné, pour me rapprocher de Bianco. On m’a auditionné. Donc voilà. Je peux vous dire maintenant clairement que tout cela appartient au passé et que je peux maintenant voir l’avenir d’une manière sereine.

Votre nom circule néanmoins encore dans certaines affaires.

Vous savez, lorsqu’on veut tuer son chien on l’accuse de rage. Au contraire, lorsqu’on m’attaque, cela me donne encore plus de courage pour aller de l’avant.

Olivier Mahafaly, votre candidature a quand même surpris, puisqu’en mars dernier vous aviez formellement démenti les rumeurs qui disaient que vous songiez à vous porter candidat. Vous vous souvenez ? Est-ce parce que vous avez été invité à vous retirer de la primature que vous avez changé d’avis ou est-ce pour vous protéger d’éventuelles poursuites judiciaires ? Quelle est la cause de ce revirement de situation ?

Ce n’est pas un revirement. Cela dépend du contexte. Effectivement, à un moment donné j’ai dit que je n’allais pas me représenter, mais le contexte a changé. C’est pour cela que j’ en ai décidé autrement.

De quelles ressources, Olivier Mahafaly, disposez-vous pour mener votre campagne, puisqu’on sait que le nerf de la guerre finalement cela reste l’argent ?

Je peux vous dire que je vais utiliser mes propres armes. Je ne vais pas me comparer aux autres candidats qui ont vraiment des milliards à dépenser. Le peu dont je dispose, je vais l’utiliser justement pour convaincre mes électeurs. Et cette fois-ci, à mon avis, ce n’est pas l’argent qui va faire la différence, mais c’est surtout le programme et la conviction du vrai candidat qui puisse vraiment apporter du changement au pays.

Vous allez jouer la transparence sur la provenance de vos fonds?

Bien sûr. Mais cela, ne vous en faites pas, j’ai un trésorier et on a un compte bancaire. Je pense qu’on pourrait donc vraiment dire au moment opportun, à tout le monde, d’une manière transparente, les dépenses et l’origine des fonds qu’on utilise actuellement.

Vous parlez justement de compte bancaire, ce qui me fait rebondir sur une péripétie de cette année. En mai dernier, 800 millions d’ariary ont été dérobés chez vous. Ces fonds appelés « fonds spéciaux » sont destinés aux chefs d’institutions de la République. Pourquoi les avoir gardés chez vous ? Pourquoi ne pas les avoir mis à la banque ?

Non. Les fonds spéciaux ne sont pas faits, justement, pour être gardés en banque. Des fois, les chefs d’institution les gardent à leur bureau, des fois les amènent à la maison. Moi j’ai choisi de les garder à la maison. Mais je dis que je n’ai rien à regretter. Ce sont des fonds, vraiment, qui me sont dus, mais ce n’est pas de l’argent sale. Peu importe ce que l’on dit, j’ai la conscience tranquille. Ce sont des fonds spéciaux que j’aurais dû utiliser bien avant.

Vous dites « ne rien regretter ». Ce sont quand même près de 210 000 euros d’argent public qui ont disparu, comme ça…

C’est vraiment un fait divers, on en a fait tout un drame. Il n’y a pas que moi, à mon avis, qui ai perdu de l’argent comme ça. Il y en a d’autres peut-être avant moi. Mais malheureusement, je suis le candidat à abattre. C’est pour cela qu’on a anticipé ma candidature, peut-être, et c’est pour cela qu’on en a fait toute une histoire.


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