A la Une

Abstention : vote par internet, par correspondance… Que valent les pistes avancées pour moderniser les élections en France ?

Changer les modalités du vote pour résorber l’abstention ? Après le premier tour des élections régionales et départementales 2021boudé dimanche 20 juin par 66,6% des Français et des Françaises, selon les résultats définitifs du ministère de l’Intérieur, plusieurs personnalités suggèrent par exemple de légaliser le vote par internet ou par correspondance. Selon eux, ces adaptations pourraient faire revenir les électeurs dans les urnes. Toutefois, elles ne sont pas sans poser d’importants problèmes de sécurité ou de confidentialité.

>> Elections régionales : suivez les tractations de l’entre-deux-tours dans notre direct

Et si on votait par internet ?

La proposition refait fréquemment surface. « Je souhaite qu’on puisse mettre en place le vote par internet dans le prochain quinquennat », a expliqué sur France Inter lundi le délégué général de La République en marche, Stanislas Guerini, en réagissant au taux d’abstention des élections régionales. Cette modalité de vote est autorisée pour les élections des représentants consulaires à l’étranger, scrutin qui s’est dernièrement tenu en mai. Hors de France, rares sont les pays qui ont mis en place une telle procédure, l’exemple le plus marquant étant l’Estonie.

Les points positifs d’un tel dispositif semblent évidents : armé d’un identifiant et d’un mot de passe, comme c’est le cas pour les élections consulaires, le citoyen peut voter de n’importe où, sans avoir à se déplacer dans un bureau de vote. Néanmoins, les arguments contre cette mesure sont nombreux. « Le principe du vote en France, c’est de garantir le secret et la sincérité du scrutin, or avec le vote par internet c’est impossible », explique à franceinfo François Pellegrini, informaticien, professeur des universités à l’université de Bordeaux et spécialiste du sujet. « Il est impossible de garantir la liberté du choix lorsque l’on vote à distance et pas dans un isoloir » ajoute-t-il. En d’autres termes, on ne peut pas s’assurer de l’identité de la personne qui se trouve de l’autre côté de l’écran, ni des conditions exactes dans lesquelles elle est amenée à faire part de son choix.

« C’est simple, nous ne sommes techniquement pas prêts » pour mettre en place un tel dispositif, affirme à franceinfo Véronique Cortier, informaticienne et chercheuse au CNRS. « Il existe des risques pour la sécurité », ajoute-t-elle. « Comment être sûr que l’ordinateur transmet le bon vote au serveur ? Que celui-ci est bien pris en compte ? Il n’y a pas de traçabilité. » Surtout, ces deux spécialistes s’accordent à souligner le risque « d’attaques de hackers » qui pourraient mettre en péril le scrutin. « Une urne est beaucoup plus sécurisée », tranche François Pellegrini. Quant à l’impact du vote internet sur la participation, Véronique Cortier estime que « la plupart des études sur le sujet montrent qu’il est quasiment nul »

Et si on autorisait le vote par correspondance ?

Cette proposition est revenue sur le devant de la scène médiatique lors de l’organisation du scrutin des municipales de 2021, en pleine pandémie de Covid-19. Déjà en place dans de nombreux pays, comme les Etats-Unis, la Suisse ou l’Allemagne, le vote par correspondance a été autorisé par le passé en France, avant son interdiction en 1975, à cause de trop nombreux cas de fraude. Si le gouvernement a pour l’instant rejeté les appels à changer la loi, les avantages de la mesure sont nombreux selon ses défenseurs.

« Avec le vote par correspondance, vous rendez le vote plus facile, ce qui fait augmenter mécaniquement la participation, argumente auprès de franceinfo Sylvain Brouard, directeur de recherche à Science Po. Il suffit de comparer le taux de participation aux dernières élections municipales en Bavière (Allemagne), qui se sont déroulées le même jour qu’en France, en pleine pandémie de Covid-19. Les Allemands ont beaucoup plus voté. » Le second tour s’était même déroulé entièrement par correspondance.

Comme le vote par internet, le vote par correspondance est jugé peu sécurisé et sensible aux fraudes par les spécialistes du droit électoral. « C’est un système qui permet totalement la fraude, car vous n’êtes sûr ni de l’émetteur ni du récepteur », expliquait en 2020 à franceinfo Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. « Le risque de fraude existe dans tous les cas, répond Sylvain Brouard. Mais l’avantage, par rapport au vote par internet, c’est qu’ici on a une traçabilité du vote, ce qui est capital. »

Et si on organisait différemment les opérations de vote ?

Spécialistes du vote et personnalités politiques ne manquent pas d’idées pour tenter de ramener les électeurs aux urnes. Rendre obligatoire le vote, comme c’est le cas en Belgique et en Australie, est défendu par certains experts. Autre idée : « faire en sorte de pouvoir voter dans n’importe quel bureau de vote », propose François Pellegrini. « On pourrait créer un système qui permette de déplacer les électeurs dans les listes d’un autre bureau, ça on sait faire », détaille-t-il. La maire (LR) du 7e arrondissement de Paris, Rachid Dati, avait quant à elle proposé de mettre en place « des bureaux de vote itinérants » pendant la campagne des municipales de 2020 dans la capitale.

Et si c’était le nombre de scrutins qui posait problème ? « La littérature scientifique met en évidence le fait que plus il y a d’élections, moins on vote », souligne Sylvain Brouard. Une solution s’impose donc selon le chercheur : « Regrouper les élections » pour que les Français votent le même jour pour plusieurs scrutins. « On aurait par exemple pu grouper les municipales, qui sont plus suivies, avec les régionales et les départementales », détaille-t-il. Si le changement « demande des ajustements, sur la durée des mandats » et l’organisation des bureaux de vote, « ces dispositifs sont déjà mis en œuvre dans d’autres démocraties. S’en inspirer n’est donc pas impossible », conclut le chercheur.

Par ailleurs, pour faciliter le vote, est-il envisageable de pouvoir donner procuration directement en ligne ? Le gouvernement a déjà fait un pas dans cette direction : les électeurs peuvent à l’heure actuelle faire une demande en ligne, mais il faut tout de même se déplacer dans un commissariat pour vérifier son identité.

Reste que ces mesures ne suffiront probablement pas atteindre leur but. Selon le sondage Ipsos/Sopra Steria « Comprendre le vote des Français », réalisé pour France Télévisions, 39% des personnes interrogées n’étant pas certaines de voter dimanche estimaient que ces élections ne changeraient rien à leur vie quotidienne. Une opinion qu’il sera difficile de changer uniquement en modifiant les modalités de vote.


Continuer à lire sur le site France Info