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Euro 2021 : la bulle sanitaire, une contrainte qui peut faire éclater un groupe

« Il faudra qu’on s’adapte et que ça n’affecte pas le moral et l’objectif qui est le nôtre. » Avant le début de l’Euro, Didier Deschamps avait prévenu : la bulle sanitaire entourant l’équipe de France et les 23 autres sélections pour les protéger du Covid-19 pourrait être difficile à gérer. Alors que les quarts de finale débutent vendredi 2 juillet, les huit équipes restantes doivent encore composer avec des mesures strictes qui pèsent parfois sur le moral et les performances.

Avant le fiasco face la Suisse, les Bleus ont vu du pays : 20 jours de préparation en France, puis Munich (Allemagne), Budapest (Hongrie) et l’épilogue à Bucarest (Roumanie). Un mois loin de leurs familles, dans les avions, à changer de lieu de résidence et à naviguer entre terrains d’entraînement et chambres d’hôtels. « Si la compétition dure, on peut comparer l’impact de cette bulle sanitaire à une distorsion du temps et de l’espace », explique à franceinfo Nathalie Crépin, psychologue du sport au Centre ressources de l’optimisation et de la performance et en psychologie du sportif (Crops) à Lille. « Le temps paraît plus long », selon elle, et cet effet est renforcé par « un espace qui semble se restreindre ».

D’autant plus que selon Eric Roy, ancien joueur de l’OM et de l’OGC Nice et consultant pour France Télévisions, « ces longues périodes durant les grandes compétitions ou les stages d’avant-saison sont les choses que les joueurs abhorrent le plus dans ce métier », assure-t-il à franceinfo.

« Cela peut déteindre sur le moral et par extension sur le physique. »

Eric Roy, consultant pour France Télévisions

à franceinfo

Pour casser la routine et l’isolement qui s’installent durant ces compétitions, les joueurs avaient l’habitude de recevoir leurs proches. Un moment fugace mais nécessaire. « Lorsque tu ne sais pas ce que va donner la compétition, tu as besoin d’attaches, de repères familiaux, parfois pour reprendre confiance, un mot de ta femme peut t’aider à surmonter une mauvaise passe », explique à franceinfo Lionel Charbonnier, ancien champion du monde en 1998 et consultant sur RMC. « Ce sont souvent des moments privilégiés et attendus par les joueurs », abonde Nathalie Crépin.

Etre éloigné des leurs « peut altérer le moral des joueurs, mais pas au point d’influer sur les performances », juge Alain Giresse, parti deux mois loin de siens lors des Coupes du monde 1982 et 1986. Auprès de franceinfo, l’ancien milieu de terrain se souvient tout de même de vilains désagréments : « En 1982, mon fils Thibault avait 1 an, à mon retour à l’aéroport, après deux mois, il m’avait tourné le dos. » Un accueil que l’on ne souhaite pas au défenseur tricolore Lucas Digne, qui n’a pas pu voir sa famille et ses enfants de 5 mois et 2 ans. « Expliquer que papa ne peut pas lui faire un bisou, le prendre dans ses bras, c’est compliqué à son âge. Pour éviter trop de tristesse, on ne va pas le faire venir (…). Pour tous les joueurs, c’est difficile d’être loin de sa famille, mais on fait des sacrifices et on sait pourquoi. »

Le soutien familial est « extrêmement important », soutient Nathalie Crépin. « J’appelle ça l’oxygène », explique la psychologue. « Un joueur a besoin de se ressourcer, cela peut être en voyant les proches, ou juste le fait de sortir… Les besoins ne sont pas les mêmes en fonction des personnes. » Au moment de se lancer dans la préparation, le défenseur Raphaël Varane, faisait part de ses craintes. « Le fait de s’évader est important, mais on en aura rarement la possibilité. Ça sera à nous de nous entendre, de bien faire vivre le groupe. A nous d’animer, de prendre du plaisir ensemble. »

La présence des conjoints des joueurs leur permet aussi des moments plus intimes, eux aussi primordiaux, selon Nathalie Crépin. « La sexualité, et à l’inverse l’abstinence, est un facteur à prendre en compte, elle influence favorablement au niveau du bien-être, d’autant que la compétition est longue », assure la psychologue. « Je ne dirais pas que cela crée de la tension, mais c’est un sujet, assure au Parisien un habitué de l’équipe de France. N’avoir aucun contact tendre, ne pas pouvoir embrasser ceux qu’on aime, c’est difficile. Ce sont des gaillards de 25 ans dans la force de l’âge. Mais avec le protocole, il ne leur reste plus que la méthode manuelle. »

Il faut donc trouver d’autres échappatoires. Les plateformes de streaming sont donc des compagnons de route, dans ces hôtels « impersonnels », écrit L’Equipe. Cela ne suffit pas toujours, selon Nathalie Crépin, qui compare la bulle sanitaire dans laquelle vivent les joueurs au premier confinement vécu par les pays européens en mars 2020.

« Quand on a fini tous les programmes de toutes les plateformes, on fait quoi ? »

Nathalie Crépin, psychologue

à franceinfo

Jeux de cartes, lectures, jeux vidéo, matchs de l’Euro et « échange avec les copains », énumérait Presnel Kimpembe en conférence de presse. Pour que le groupe « vive bien », selon l’expression un peu galvaudée, le rôle des « leaders sociaux », comme les appelle Nathalie Crépin, est prépondérant. « Ils amènent de la fraîcheur dans l’équipe, la dose d’humour nécessaire », note-t-elle. Le départ d’Ousmane Dembélé, « l’un des seuls à fédérer », selon L’Equipe, a d’ailleurs fait mal aux Bleus. « Il amène énormément de joie dans le groupe et sa qualité sur le terrain. C’est une grosse déception », avait assuré Lucas Digne après le forfait du joueur du FC Barcelone.

Les joueurs de l’Euro ont bien conscience d’être des privilégiés, « surtout dans cette période difficile », admettait Presnel Kimpembé. « On a la chance de faire notre métier, on ne va pas se plaindre. » Vincent Gouttebarge, ancien footballeur et responsable médical à la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels (FIFpro), assure d’ailleurs que si « l’isolement social et l’éloignement de la famille sont toujours néfastes, ce n’est pas pire maintenant ». En effet, « cela fait une saison que les joueurs fonctionnent dans une bulle, qu’ils sont testés plusieurs fois par semaine ».

« Il y a un an, c’était bien pire, on n’avait aucune certitude et pas de vaccins. »

Vincent Gouttebarge, responsable médical à la FIFpro

à franceinfo

Si ce n’est pas une nouveauté, il y a tout de même une différence « entre le savoir et le vivre », estime Nathalie Crépin. « C’est une concession de plus qu’il faut faire », relativise Lionel Charbonnier. L’ancien gardien de l’AJ Auxerre, qui a connu les mises au vert à Quarré-les-Tombes (Yonne) dans le Morvan, avec Guy Roux, « où il n’y avait pas la télévision, où on s’asseyait parfois sur des blocs de granite », s’agace des complaintes des joueurs actuels. « Cela commence à me déranger, il y a des règles, tu fais ton travail et tu te tais », lâche-t-il.

Selon le consultant RMC, on ne peut en outre pas généraliser l’influence de cette bulle sanitaire sur les résultats, surtout pour le football qui est un sport collectif. Dans d’autres disciplines, les effets étaient visibles. « Le premier confinement avait eu des conséquences sur les performances notamment en athlétisme, plus faciles à mesurer », illustre Nathalie Crépin.

La bulle exige toutefois plus d’efforts sur le plan psychique. « Quand tu n’es pas positif, tu ne te mets pas dans les meilleures dispositions pour être performant, tu ne mets pas tous les atouts de ton côté », soutient Eric Roy. « Si quelques joueurs trouvent que les conditions sont compliquées, cela peut contaminer le groupe, c’est ce qu’on appelle la contagion émotionnelle », éclaire la psychologue. A en croire Eric Roy, les équipes « qui auront le mieux réussi à gérer cette nouvelle contrainte auront le plus de chances d’aller au bout de cette compétition ».


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