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Tour de France 2021 : l’étape dantesque entre Cluses et Tignes vécue depuis la caravane

« Équipez-vous vite avec les K-Way, parce qu’on va vivre une journée compliquée les amis ». Au départ de Cluses dimanche 4 juillet, John, chef de la caravane Leclerc, prévient ses troupes. Il est 11h et le cortège, le plus grand avec 11 véhicules et 26 caravaniers, s’apprête à prendre la route de Tignes sous un ciel menaçant. Déjà pas épargnés par la météo la veille entre Oyonnax et Le Grand-Bornand, les équipiers du partenaire du maillot à pois ne savent pas encore qu’ils vont vivre leur « pire étape depuis 5 ans«  à cause de la pluie. Mais tout ça sans jamais perdre le sourire ni l’objectif : faire le spectacle dans cette grande étape alpine.

La journée des caravaniers a déjà démarré depuis un moment. Après un réveil et un petit déjeuner rapide, rendez-vous est donné dès 8h30 sur le parking technique à Cluses. Les véhicules arrivent au compte goutte, alors que Michel et Luigi règlent les soucis mécaniques signalés la veille sur le melon et la fraise Leclerc. Première étape des préparatifs quotidiens, l’état des lieux des chars : « Ici, on prépare les véhicules, on les lave, on rajoute tous les éléments de décor qu’on est obligé de retirer pour pouvoir rouler sur autoroute », détaille John. Sur ce parking d’usine, tout le monde s’affaire dans une fourmilière parfaitement orchestrée. Après une bonne demie-heure, direction l’autre parking d’avant départ : le parking caravane.

Tous les matins au parking technique, les caravaniers remontent des éléments de décor sur les chars. (AH)

Tous les matins au parking technique, les caravaniers remontent des éléments de décor sur les chars. (AH)

« Ici, on souffle un peu. Le gros du travail a déjà été fait, notamment le chargement des goodies la veille au soir », précise John, qui prépare toutefois son brief quotidien pendant que ses troupes dégustent leur café en compagnie des autres caravaniers. Comme partout sur le Tour, tout est millimétré, les chars se rangent soigneusement. Harnais, goodies, eau et panier-repas : chacun prépare son poste, notamment Louis-François dit Loulou. Le comédien a la lourde responsabilité d’ouvrir la caravane.

« C’est mon 5e Tour de France, c’est un peu comme des vacances à mes yeux, même si c’est soutenu. Ma mission c’est d’annoncer notre caravane, d’installer un bon climat », explique le comédien, qui n’hésite pas à improviser entre trois phrases préparées.« Ça me change du théâtre parce que sur le Tour on change de public toutes les secondes et parfois, quand le char s’arrête, on devient très proche de quelques spectateurs. J’adore ces moments. Ça, et les traversées de petits villages qui ont tout décoré depuis des semaines ». À peine le temps de finir, et la traditionnelle chorégraphie des caravaniers, pensée pour fédérer mais aussi pour réveiller le corps avant les heures d’efforts sur les chars, débute.

Sur le parking technique, les chars de la caravane Leclerc se préparent pour le départ de la 9e étape du Tour de France 2021, entre Cluses et Tignes, le 4 juillet. (AH)

Sur le parking technique, les chars de la caravane Leclerc se préparent pour le départ de la 9e étape du Tour de France 2021, entre Cluses et Tignes, le 4 juillet. (AH)

Plus que quelques minutes avant le départ, John briefe ses équipes sur la journée, avec trois dérivations au programme, quelques zones naturelles où la distribution de goodies est interdite, et surtout : le lieu de la « pause technique ». Ces détails réglés, le cortège s’élance à travers Cluses. Direction Tignes, alors que les premières gouttes martèlent les capuches. Harnaché sur son char, Tom, jeune Bordelais, arrose lui aussi la foule de goodies, avec un goût prononcé pour les balcons, tout en haranguant le plus possible les spectateurs.

« On essaye toujours de viser les enfants en priorité », avoue Gaëlle, hôtesse, qui rappelle les règles de bases : « S’il y a des barrières, on lance loin derrière les spectateurs, s’il n’y en a pas, on vise les pieds pour éviter les petits mouvements de foule ». Ce qu’on voit moins, c’est qu’entre deux villages, la caravane traverse quelques moments de solitude. « On se relâche un peu, on peut passer à autre chose ou profiter du paysage », savoure Gaëlle. Et tant pis si ce dimanche le paysage est voilé par un rideau pluvieux.

Tom harangue la foule entre deux lancers de goodies. (AH)

Tom harangue la foule entre deux lancers de goodies. (AH)

Les kilomètres défilent, et la météo se détériore soudainement après la côte de Domancy et la traversée de Megève. Les véhicules hors-gabarit de la caravane sont déroutés à Notre-Dame de Bellecombe. Seuls au milieu de la forêt, les paniers géants de Leclerc grimpent dans le silence. Le début des ennuis, car loin de se calmer, la pluie continue de doucher le passage des véhicules, alors que le thermomètre dégringole. Dans le Cormet de Roselend, après la pause technique, on doute : faut-il laisser les équipiers ainsi exposés sur le toit ?

Perchée à plus de 4 mètres de haut, Audrey est l'une des 26 caravanières de Leclerc. (AH)

Perchée à plus de 4 mètres de haut, Audrey est l'une des 26 caravanières de Leclerc. (AH)

Au volant du char, Jean-Marc est en contact permanent avec Tom et Audrey qui paradent dans le vent glacial. « On roule en quinconce, donc ils sont sur la droite du toit », situe le pilote, « Pour compenser, j’ai dû lester la gauche du camion avec des packs d’eau ». Mais le lestage va s’avérer superflu pour la fin de l’étape, car la décision, sage, d’abriter les équipiers est prise. La magnifique descente du Cormet de Roselend prend des airs de joyeux bazar. Les arrêts express se succèdent, sachant que toute pause implique ensuite un sprint pour regagner sa place dans le cortège, sous peine de ne pas pouvoir distribuer de goodies.

Le tout alors que la pluie tenace complique les liaisons radios entre les véhicules, seul moyen de communiquer à une hauteur où le réseau se fait rare. Depuis sa voiture, au cœur de la caravane, John tente de garder la main, tout en relayant les informations de radio-caravane. Bonne nouvelle : le temps s’améliore un peu à Bourg-Saint-Maurice avant la longue montée finale vers Tignes. Quelques équipiers courageux décident de reprendre leur poste, après avoir improvisé une distribution via les fenêtres des véhicules.

Après une journée compliquée, la caravane Leclerc arrive à Tignes, le dimanche 4 juillet 2021. (AH)

Après une journée compliquée, la caravane Leclerc arrive à Tignes, le dimanche 4 juillet 2021. (AH)

Alors que l’arrivée à Tignes se précise, la pluie redouble d’intensité. Dans ce vaste cul-de-sac, les caravaniers sont obligés d’attendre l’arrivée de la course pour rebrousser chemin direction l’hôtel et la douche chaude qui les attend. « C’est l’occasion pour nous d’enfin voir la course, avec tous les caravaniers, c’est toujours sympa comme moment », prévenait John au départ. C’était sans compter la journée éreintante qui a suivi.

C'est sur un porte-chars que les véhicules non homologués pour la route font les transferts d'une étape à l'autre. (AH)

C'est sur un porte-chars que les véhicules non homologués pour la route font les transferts d'une étape à l'autre. (AH)

Résultat : après avoir démonté ce qui devait l’être pour reprendre la route, peu de caravaniers ont le courage d’aller saluer la victoire de Ben O’Connor. Comme les coureurs, les équipiers terminent leur 9e jour de course consécutif sur les rotules, à la veille de la première journée de repos. « Mais mardi, on repartira encore plus prudemment, parce qu’on sait qu’après les journées de repos, il faut vite remobiliser tout le monde », prévient John.

Avant cela, il faut déjà reprendre la route vers l’hôtel, à Annecy, où la journée sera vraiment finie. « Ce soir, pour la première fois du Tour, on va pouvoir se détendre un peu », apprécie John. Et ce lundi aussi, avant de repartir de plus belle.


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