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Mort d’Axel Kahn : itinéraire d’un médecin humaniste qui voulait « vivre le mieux possible »

« J’ai été intensément heureux. » Atteint d’un cancer incurable, Axel Kahn, ancien président de la Ligue contre le cancer, est mort mardi 6 juillet à l’âge de 76 ans. Avant de tirer sa révérence, le généticien a souvent témoigné, sur les réseaux sociaux, sur son blog et dans les médias, de sa « totale sérénité » concernant « l’itinéraire final de [sa] vie ».

Chercheur, président d’université, essayiste et humaniste… Axel Kahn a embrassé de multiples combats, bien au-delà de sa spécialité, les maladies génétiques.

Devenu médecin « par élimination »

Fils du philosophe Jean Kahn, frère cadet du journaliste Jean-François Kahn et de feu le chimiste Olivier Kahn, Axel Kahn, né le 5 septembre 1944, disait avoir choisi la médecine « par élimination. » Dans un long entretien accordé au Monde en février, il racontait son besoin de se démarquer au sein d’une famille où régnait l’excellence. « Mon choix n’a rien à voir avec la vocation, même si elle est venue après, parce que cela m’a plu », dévoilait-il.

Après avoir prêté le serment d’Hippocrate, Axel Kahn s’oriente vers la recherche en génétique et intègre l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en 1976. Il y effectue l’ensemble de sa carrière de chercheur avant de devenir directeur de recherche. Le chercheur utilise alors le génie génétique pour mieux comprendre, entre autres, les maladies du sang. Ses travaux sur le cancer du foie, l’expression des gènes, la thérapie génique font l’objet de près de 600 articles dans des revues internationales ainsi que de nombreux ouvrages.

Axel Kahn exerce la médecine jusqu’en 1992 notamment à l’hôpital Beaujon, à Clichy, puis devient le premier directeur de l‘Institut Cochin de 2002 à 2007, avant de présider l’Université Paris-Descartes de 2007 à 2011. A ce titre, il est mis en cause par des plaignants dans le scandale du Centre du don des corps. Il conteste, mais l’affaire laisse une ombre au tableau dans son parcours brillant.

Il occupe aussi la présidence de la Ligue nationale contre le cancer de 2019 à 2021. Tout au long de sa carrière, ce médecin « par élimination » collectionne aussi les décorations : chevalier de l’Ordre national du Mérite, officier de la Légion d’honneur, chevalier des Arts et lettres… Sans oublier d’être « peut-être le membre le plus brillant » du Comité consultatif national d’éthique de 1992 à 2004, selon les termes de son président d’honneur, le professeur Didier Sicard, qui le décrit comme « un mélange impressionnant de radicalité et de vérité ».

Un généticien passionné d’éthique

Axel Kahn est aussi connu pour ses prises de position sur les questions éthiques et philosophiques ayant trait à la médecine et aux biotechnologies, notamment le clonage et les OGM. Favorable à la culture d’organismes génétiquement modifiés, il affirme que « les plantes augmentées sont le but de l’agriculture ». « Via les croisements ou les modifications génétiques, l’agriculteur est, de tout temps, eugéniste », expliquait-il dans une interview à L’Usine nouvelle, en avril.

Son tropisme pro-OGM le pousse d’ailleurs à démissionner de la présidence de la Commission du génie biomoléculaire, chargée d’évaluer les demandes de mise en culture d’organismes génétiquement modifiés, quand la France interdit la culture d’un maïs transgénique, en 1997. Il rejoint comme directeur scientifique adjoint pour les sciences de la vie le groupe chimique et pharmaceutique Rhône-Poulenc, producteur d’OGM. Certains lui reprochent alors son manque d’indépendance sur le sujet, rappelle Le Monde.

Le généticien prend régulièrement la plume, seul ou comme coauteur. « L’éthique dans tous états », « Faut-il légaliser l’euthanasie ? », « L’avenir n’est pas écrit »… Il signe plus d’une trentaine d’ouvrages scientifiques, philosophiques ou encore autobiographiques. Son dernier ouvrage « Et le bien dans tout ça » est paru en avril aux éditions Stock. Le généticien y analyse le rôle des nouvelles techniques d’édition du génome dans nos sociétés.

Un humaniste engagé à gauche

Axel Kahn n’était prédestiné ni à la médecine, ni à la politique et pourtant… A 15 ans, pensionnaire dans une école de jésuite, celui qui envisageait de rentrer dans les ordres s’éloigne de la foi et adhère au Parti communiste, de 1961 à 1977, avant de rejoindre le Parti socialiste en 1981. Trois décennies plus tard, il soutient Martine Aubry, candidate à la primaire socialiste en vue de la présidentielle de 2012. Aux législatives qui suivent, il incarne le PS et s’incline face à François Fillon dans la deuxième circonscription de Paris.

Homme de conviction, il signe plusieurs tribunes, dont celle de Martine Aubry qui reproche au gouvernement Valls, en février 2016, de conduire à « l’affaiblissement durable de la France ». En mars 2019, il cosigne, dans Le Monde, un texte appelant les maires à prendre des arrêtés de réquisition des locaux vides afin d’obliger l’Etat à respecter la loi sur le droit au logement opposable (Dalo).

Lorsque la pandémie de Covid-19 perturbe les soins, il monte au front pour défendre les malades atteints de cancer, alerte sur les retards de diagnostic, s’insurge contre les complotistes et les « antivax ». Sans mâcher ses mots, fidèle à son habitude, y compris quand il s’agit de personnalités politiques.

Déterminé face à son dernier combat

C’est sur les ondes de France Inter, le 17 mai, qu’Axel Kahn se livre pour la première fois sur sa fin de vie proche. « Je lutte contre le cancer et il se trouve que la patrouille m’a rattrapé : moi aussi, j’ai un cancer », dévoile le cancérologue.

Après avoir transmis le flambeau de la présidence de la Ligue contre le cancer, Axel Kahn « tire le rideau » sur son blog dans un dernier texte, signé « Axel, le loup titubant mais à l’œil pétillant », le 17 juin. Il y décrit comment, affaibli par la maladie, il concentre ses dernières forces à lutter contre la douleur. « Au stade atteint par les douleurs, mon médecin traitant de fils et moi avons pris la décision de privilégier leur maîtrise », écrit-il. « La douleur est, chacun le sait, la grande question des derniers épisodes de la vie, elle est redoutée. »

Marié trois fois et père de quatre enfants, il raconte sur son blog, avoir été « intensément heureux » : « Qu’est-ce que c’est que le bonheur ? C’est le moment à partir duquel vous vivez ce que vous espériez vivre, où il y a adéquation entre votre ressenti de votre vie et ce que vous en espériez. (…) La communion entre moi et mes enfants, qui savaient que c’était une transmission, était magnifique. Entre moi et ma compagne, avec qui je vis depuis si longtemps, la manière dont elle me regardait amoureusement, c’était magnifique », témoigne Axel Kahn.

Il apparaît une dernière fois à la télévision dans La Grande Librairie, le 23 juin sur France 5. Installé dans son salon face au journaliste François Busnel, Axel Kahn y raconte son rapport à la mort. « Je suis d’une totale impavidité par rapport à la mort. Elle m’indiffère totalement. D’ailleurs, en gros, elle n’existe pas », philosophe alors l' »agnostique » Axel Kahn. « La seule chose à laquelle il faille s’entraîner est de vivre le mieux possible, de concentrer les moments où on peut connaître le bonheur, la joie », assure-t-il


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