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Avec la crise du Covid-19, ils se reconvertissent dans la santé : « Je ferai tout pour intégrer le milieu hospitalier, quoi qu’il en coûte »

« J’ai hâte d’apporter un peu d’humanité aux malades. » A l’hôpital, le temps est compté. Le patient n’est parfois qu’un numéro et Anaël, 42 ans, veut tenter de changer les choses. Si tout se passe bien, elle devrait terminer son traitement contre le cancer juste avant de débuter sa formation pour devenir infirmière, en septembre. « J’ai compris récemment que je n’avais qu’une vie et que je devais réaliser mes rêves », philosophe la quadra, qui ne cache pas son impatience à rejoindre les rangs des soignants.

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, cette mère de famille se demandait comment aider le personnel hospitalier. Tout comme Chantal, Kévin ou Barbara. Tous ont répondu à l’appel à témoignages lancé par franceinfo et ont décidé de se reconvertir dans le secteur de la santé.

Cela tombe bien, jamais les hôpitaux, centres médicaux et établissements médico-sociaux n’ont eu autant besoin de bras. Au premier trimestre 2021, Pôle emploi affichait sur son site 148 280 offres d’emploi dans le secteur de la santé, dont plus de 50% concernaient des postes d’infirmiers de soins généraux (39 190 offres), d’aides-soignants (26 670), d’agents des services hospitaliers (4 500) et de coordinateurs de services médicaux ou paramédicaux (5 590).

Malgré un contexte économique et sanitaire difficile, « la crise n’a pas brisé les vocations, mais les a plutôt stimulées », a souligné le ministre de la Santé, Olivier Véran, lors d’un échange avec le président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), le 8 décembre 2020. « Et c’est tant mieux parce que nous manquons de soignants », a-t-il ajouté. Face à une demande croissante de main-d’œuvre, le gouvernement a débloqué une enveloppe de 200 millions d’euros afin d’ouvrir 16 000 nouvelles places d’ici à 2022 au sein des instituts de formation : 6 600 pour les infirmiers, 6 600 pour les aides-soignants et 3 400 pour les accompagnants éducatifs et sociaux. De quoi conforter les nouveaux venus dans leur choix de carrière.

Depuis la naissance de ses trois enfants, il y a une dizaine d’années, Anaël exerçait un « boulot alimentaire » comme femme de ménage chez des particuliers dans la grande banlieue lilloise. Mais aujourd’hui, elle n’a « plus envie de gâcher [sa] vie ». « J’ai besoin de mettre du sens dans ce que je fais », confie-t-elle. En mars, elle a décidé de monter un dossier de candidature pour devenir infirmière diplômée d’Etat, « IDE » comme on dit dans le métier. La crise sanitaire n’effraie pas cette mère de famille « très motivée ». « La seule chose qui peut me faire peur, c’est le travail de nuit car je ne sais pas ce que je ferai de mes enfants », concède-t-elle.

« Accompagner », « rassurer », « aider au quotidien les malades », c’est aussi ce qu’est déterminé à faire Kévin, 24 ans. Cet ancien soudeur à Evin-Malmaison (Pas-de-Calais) a été licencié juste avant le premier confinement en mars 2020. Après avoir longuement cogité sur la façon d’aider les soignants, à Noël, il s’est dit : « C’est maintenant ou jamais. »

« J’ai postulé sur un coup de tête et une semaine après j’étais brancardier au CHU de Lille. »

Kévin, 24 ans

à franceinfo

Le jeune homme s’est « retrouvé en pleine troisième vague à brancarder des patients lourds en réanimation Covid ». Depuis, il enchaîne les contrats de trois mois et attend avec impatience que l’hôpital de Lille organise la formation d’aide-soignant à laquelle il doit participer. Un passage obligé pour ce brancardier qui ambitionne d’être un jour infirmier. « Je suis prêt à faire toutes les formations pour monter en grade », souffle ce fils d’infirmière.

Ces derniers mois, l’idée d’une reconversion dans un des 200 métiers de la santé séduit de plus en plus, remarque Krystelle Audibert, responsable marketing d’un site d’information sur les reconversions professionnelles, contactée par franceinfo. « En un an, les recherches sur les métiers du paramédical ont bondi de 346% sur notre plateforme, note-t-elle. L’accès à ces métiers est souvent plus simple car il est moins demandé de diplômes et les formations sont plus courtes. » Si le baccalauréat est indispensable pour suivre une formation d’infirmier en trois ans, il ne l’est pas pour devenir aide-soignant.

C’est d’ailleurs au métier d’aide-soignante que Barbara, 23 ans, s’apprête à se former en septembre. Cette ancienne étudiante en école de commerce ne se retrouvait plus dans ses études. « Je me suis rendu compte que je me destinais à exercer un métier où l’humain passe après les affaires, et moi j’ai besoin de contacts humains avant tout », dévoile-t-elle. Hospitalisée à la suite d’un stress post-traumatique entre septembre 2019 et septembre 2020, Barbara a été touchée par le professionnalisme et l’attention des aides-soignantes qui ont été « incroyables » avec elle. Une expérience qui l’a convaincue de tenter sa chance.

La jeune femme ne cache pas que les récents « appels à l’aide » du système hospitalier lui ont fait « un petit peu peur ». En mars 2019, les services d’urgence alertaient sur le manque de personnel et de lits, et sur l’absence de revalorisation des salaires. Une situation qui s’est dégradée avec la crise sanitaire. Mais « l’évidence de [son] choix est vite revenue ». En attendant, Barbara travaille en tant qu’équipière au McDonald’s de Vendôme, dans le Loir-et-Cher.

« Ce n’est pas parce que c’est compliqué en ce moment qu’il faut que j’y renonce. L’avantage, maintenant, c’est que je n’aurai pas de désillusion sur la réalité du métier d’aide-soignante. »

Barbara, 23 ans

à franceinfo

Une fois son diplôme en poche, Barbara envisage de rejoindre un service d’urgences ou un centre de rééducation. Elle attend pour le début de l’été la réponse pour son admission en école d’aides-soignants. « Si cela ne fonctionne pas, je ferai tout pour intégrer le milieu hospitalier, quoi qu’il en coûte », conclut la jeune femme.

C’est la même détermination qui anime Alban, 43 ans. Cet ancien monteur audiovisuel explique que « la pandémie a renforcé [son] envie d’avoir une véritable utilité humaine ». En attendant sa rentrée dans une école d’infirmiers en septembre, il travaille comme agent de service hospitalier (ASH) dans un Ehpad de la Sarthe depuis juillet 2020. « J’ai découvert un univers intensément humain, intensément en mal d’aide et je constate tous les jours les besoins des personnes que j’aide. » Le bas salaire et les horaires difficiles n’ont pas entaché sa détermination : « Cette expérience m’a permis de mieux comprendre ce qu’est travailler dans les soins et de conforter mon choix. »

A côté des démarches individuelles comme celles d’Anaël, Barbara, Kévin et Alban émergent aussi des reconversions initiées par des entreprises. Chantal, agente de service de 50 ans, a dit « oui tout de suite » quand son employeur, Derichebourg, lui a proposé une reconversion au métier d’aide-soignant, il y a quelques mois. Le spécialiste du service aux entreprises a saisi l’opportunité offerte par le dispositif « Transitions collectives » mis en place par le ministère du Travail en début d’année. En Ile-de-France, ce système permet à des entreprises comme Derichebourg ou Monoprix de réorienter leurs salariés « volontaires » vers le groupe Korian, gestionnaire d’Ehpad à la recherche d’aides-soignants.

Derichebourg assure que la trentaine de postes concernés par cette reconversion ne sont pas en péril. « Ils sont fragilisés par la crise actuelle », précise Silvine Thoma, responsable marketing et communication du groupe, auprès de franceinfo. L’entreprise anticipe une baisse de demande de la part de ses clients pour le nettoyage de leurs locaux. « Avec la pérennisation du télétravail, il y a moins de travailleurs dans les bureaux, donc moins de locaux à gérer, donc moins d’heures de ménage à effectuer », détaille la porte-parole. Conséquence : moins de travail pour les agents de service comme Chantal.

« Comme ce sont des postes occupés par des femmes sans diplôme et à mi-temps, leur employabilité est fragilisée. C’est pourquoi nous leur proposons de se reconvertir dans un métier de la santé. »

Silvine Thoma, porte-parole du groupe Derichebourg

à franceinfo

Une aubaine pour Chantal, qui a « hâte de commencer ». « J’ai déjà fait quelques vacations dans un Ehpad et je me sens bien avec les personnes âgées », confie-t-elle. Durant les quatorze prochains mois, la quinquagénaire percevra un salaire à plein temps et sera formée dans les locaux de Korian. Si Derichebourg finance une partie du salaire et Korian une partie de la formation, l’Etat assume le reste à charge.

Ailleurs en France, d’autres alliances se forment en vue de booster les recrutements dans le secteur de la santé. « Nous avons mis en place un partenariat inédit avec l’agence régionale de santé (ARS) Bretagne, afin de combler rapidement leurs besoins », détaille Frédéric Mangelinck, directeur de l’agence Pôle emploi Rennes centre, contacté par franceinfo. « Sur la région, ce sont 2 700 offres d’emploi, dont plus de 330 pour Rennes, qui sont à pourvoir, avec une forte demande d’aides-soignants et d’infirmiers », dénombre-t-il.

Afin de mettre toutes les chances du côté des candidats lors du concours d’entrée à la formation d’aide-soignant, Pôle emploi leur propose une préparation opérationnelle à l’emploi collective (Poec). « Certains pèchent parfois en français alors que la motivation et le savoir-être sont là, précise Frédéric Mangelinck. Cette préparation leur redonne confiance. » Johnny Chreki, 33 ans et ancien monteur de stands dans l’événementiel, en a bénéficié. Il fait partie des sept qui ont réussi le concours. Actuellement en contrat de professionnalisation dans un foyer de vie pour personnes handicapées, il espère valider son diplôme d’aide-soignant en novembre 2022. « Je vais tout donner pour faire ce métier où enfin je m’épanouis et où j’ai une vision à long terme, projette le trentenaire. Et tant pis si je repars de plus bas en salaire, je fais un métier utile. »


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