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REPORTAGE. « Sur la durée, Charles III va devoir faire ses preuves » : dans les rues de Londres, les Britanniques partagés sur leur nouveau roi

Au-dessus du palais de Buckingham, à Londres, un ballet d’hélicoptères prévient les quelques milliers de personnes rassemblées devant les grilles que l’heure d’écrire l’Histoire avec un grand H approche. En ce vendredi 9 septembre, pendant quelques minutes, la foule est plongée dans un profond silence. Il est 14 heures quand, tout à coup, un cri s’élève : « Longue vie au roi ! »  La clameur monte, accompagnée dans son mouvement par un déploiement coordonné de perches à selfie. Les milliers de curieux crient, entonnent le God Save The King et applaudissent, alors que Charles III, nouveau roi d’Angleterre, et son épouse Camilla, tout juste arrivés, viennent à leur rencontre. 

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C’est la toute première interaction du nouveau roi avec ses sujets depuis la mort, jeudi, de sa mère, la reine Elizabeth II. Un bain de foule durant lequel Charles III a reçu – outre des condoléances – des compliments, des fleurs et même des bisous.

A 73 ans, l’ex-prince de Galles accède naturellement au trône, mais parviendra-t-il à accéder au cœur des Britanniques ?

« Soyons clairs, succéder à la reine est une tâche impossible », souligne Janice, 79 ans. Mais cette Londonienne, venue « en voisine », se réjouit de l’accueil chaleureux réservé au roi. « J’ai confiance en sa capacité à nous rassembler. Je pense que les gens réalisent tout juste que Charles a fait beaucoup plus qu’ils ne le pensaient pour notre pays », estime cette dame, qui se tient droite, bras croisés, veste en cuir sur le dos et larme à l’œil. Un avis encore récemment peu partagé : fin 2021, un sondage de l’institut YouGov (en anglais) le plaçait en septième position des membres de la famille royale les plus appréciés, derrière sa sœur, Anne, ou même sa nièce, Zara Phillips. En mai, le même institut révélait qu’autant de Britanniques (32%) estimaient que Charles ferait tantôt un bon roi, tantôt un mauvais. L’indifférence l’emportait de peu, avec 34%.

« Il n’est plus le Charles timide d’autrefois. Il a beaucoup changé au contact de Camilla », jure l’épouse de Janice, Mary, 75 ans. « Elle est une présence apaisante pour lui. Avec elle à ses côtés, il sera un très bon roi », abonde-t-elle, les yeux pleins de tendresse derrière des lunettes de soleil. Avant de soupirer : « J’aurais souhaité qu’il n’épouse jamais Diana. »

Janice, 79 ans, et Mary 75 ans, devant le palais de Buckingham, à Londres (Royaume-Uni), le 9 septembre 2022. (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO)

Janice, 79 ans, et Mary 75 ans, devant le palais de Buckingham, à Londres (Royaume-Uni), le 9 septembre 2022. (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO)

Difficile en effet d’aborder la question de l’impopularité de Charles sans évoquer l’aura de sa première épouse. En révélant publiquement à la télévision les infidélités du prince, en 1995, la très populaire Lady Di a brisé l’illusion qui garantissait à Charles l’affection polie de ses sujets. « C’est notre roi maintenant, nous devons l’aimer, mais les souvenirs de Diana sont frais », remarquait encore Stephen Johnson, un homme de 56 ans rencontré par l’AFP devant le palais de Buckingham. Et ce 25 ans après la mort de « la princesse du peuple » dans un accident de voiture.

Chez les jeunes générations, la série The Crown, sur Netflix, s’est chargée d’entretenir l’image d’un Charles hautain, froid et secrètement jaloux du charisme naturel de la mère de ses enfants. Une œuvre de fiction en concurrence directe avec le récit porté par Clarence House et Buckingham Palace : celui d’un papy « qui prend ses petits-enfants sur les genoux (…) et leur lit Harry Potter en imitant toutes les voix », selon la reine consort.

Pour ses premiers pas dans son costume de roi, « il m’a semblé accessible, chaleureux même, surtout dans ces circonstances difficiles ! », s’enthousiasme Angie, 56 ans. Arrivée en Angleterre mardi avec son mari en vue de l’installation de leur fils à Nottingham, dans le centre du pays, elle a pu échanger quelques mots avec le monarque, pressée contre les barrières dressées devant Buckingham Palace. « Je lui ai adressé mes condoléances et dit que nous venions de Singapour. Il a souri et m’a répondu naturellement : ‘Tiens, ça fait un moment que je n’y suis pas allé !' », raconte-t-elle, incrédule. Elle rapportera bientôt son anecdote et le souvenir d’une poignée de main dans cette république du Commonwealth.

Chris, 70 ans, Angie, 56 ans et leur fils, Calvin, 30 ans, devant le palais de Buckingham, à Londres (Royaume-Uni), le 9 septembre 2022. (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO)

Chris, 70 ans, Angie, 56 ans et leur fils, Calvin, 30 ans, devant le palais de Buckingham, à Londres (Royaume-Uni), le 9 septembre 2022. (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO)

Pour Sean Coughlan, spécialiste de la couronne britannique à la BBC, Charles est bel est bien devenu ces dernières années « une figure détendue et accessible, qui accroche son auditoire en pratiquant l’autodérision », écrit-il sur le site du média public (en anglais). « Peut-être cela changera-t-il avec son statut de monarque, mais en tant que prince de Galles, il a développé un style de grand-père affable et plus consensuel »

« Déjà, il a plus d’humour [que la reine]« , souffle un homme d’une soixantaine d’années, sourire en coin, venu par curiosité aux abords du palais et peu emballé par le cirque médiatique. A ses côtés, une dame acquiesce en secouant de haut en bas son carré poivre et sel : « Et il a pris avant tout le monde des positions au sujet du réchauffement climatique. C’est un bon point pour lui. »

A cette crédibilité acquise sur la scène internationale par le biais de la question environnementale, s’ajoutent de « très nombreux engagements dans des œuvres caritatives », soulignent encore Janice et Mary : « Il est associé à une vie de privilège, mais dans son action, il a toujours défendu les plus faibles, les plus vulnérables, les plus pauvres », listent-elles en chœur. Une sensibilité affichée qui peut se révéler précieuse alors que de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une monarchie dont le faste contraste avec les sacrifices imposés aux citoyens par la plus importantes récession qu’ait connue le pays depuis quarante ans. 

« Ce sera intéressant de voir le ton et le style que Charles III adoptera dans les mois qui viennent », anticipe Tim, 40 ans, autour d’une pinte partagée avec un ami d’enfance, dans un pub aux portes de l’historique quartier d’affaires de la capitale, la City. Selon lui, c’est son expérience du règne qui tranchera définitivement la question de sa popularité : « Là, il vient de perdre sa mère, et nous notre reine. Chacun peut s’identifier à ce que représente une telle perte. C’est normal dans ces conditions d’attirer la sympathie. En revanche, sur la durée, il va devoir faire ses preuves », souligne-t-il, et « rassembler le peuple britannique. »

Peter, 39 ans et Tim, 40 ans, dans un pub de la City, à Londres (Royaume-Uni), le 9 septembre 2022. (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO)

Peter, 39 ans et Tim, 40 ans, dans un pub de la City, à Londres (Royaume-Uni), le 9 septembre 2022. (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO)

Mais en ce vendredi soir, la parole royale ne porte pas. Peter a demandé à une serveuse de monter le son, mais impossible d’écouter le premier discours de Charles III dans le brouhaha de la sortie des bureaux. Un manque d’enthousiasme, peut-être ? « C’est William qui portera le flambeau de la monarchie », tranche l’homme de 39 ans, qui travaille dans le quartier, et vit dans l’Essex. « Charles arrive sur le trône dans une période difficile. Je pense qu’il va préparer la place pour son fils. Assurer la transition, d’une certaine façon. » 

En avril, un sondage Ipsos révélait que 42% des Britanniques souhaitaient que Charles laisse son fils régner à sa place. Ce soir, Peter et Tim n’ont pas entendu le roi promettre, à l’inverse, qu’il assurerait sa mission jusqu’au bout. Mais ils savent d’ores et déjà qu’il sera moins populaire que sa mère et que son fils après lui.


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