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Liban : on vous explique pourquoi les braquages de banques par leurs propres clients désespérés se multiplient depuis janvier

Sept banques braquées en moins de 48 heures. Dont cinq durant la seule journée du vendredi 16 septembre. Au Liban, ces actions ne sont pas l’œuvre d’organisations mafieuses, mais d’hommes et de femmes, au profil un peu particulier : ils sont des clients désespérés, qui tentent de retirer leurs propres économies au sein des établissements.  

Alors que le pays est plongé depuis 2019 dans de graves difficultés économiques et financières, poussant les banques à imposer des restrictions drastiques à leurs clients, ces braquages suscitent l’adhésion d’une importante partie de la population, excédée d’assumer les pertes colossales du secteur bancaire.

Car la colère monte depuis de longs mois dans le pays. Dès le 26 janvier, un homme de 37 ans avait fait irruption dans une banque de la vallée de Bekaa, à l’ouest du pays, une arme à feu et une grenade à la main. Après s’être aspergé d’essence, il avait menacé de s’immoler par le feu et avait ainsi récupéré une partie de ses économies, rapportait Vice News

Depuis 2019 et le début de la crise économique historique qui paralyse le pays, les banques limitent les retraits de leurs clients, désireux de récupérer leur épargne, en particulier en devises étrangères et notamment en dollars. Non seulement l’accès à cet argent est limité, faute de liquidités, mais ces retraits ne peuvent s’effectuer qu’en livres libanaises, la monnaie nationale, qui a perdu plus de 90% de sa valeur sur le marché en trois ans. Ainsi, ces fonds bloqués se valorisent en « lollars », contraction de « lol » et de « dollars » : un jeu de mot populaire qui traduit l’exaspération d’une population dont 80% vit désormais sous le seuil de pauvreté. 

Le 11 août, Bassam al-Sheikh Hussein, un Libanais de 42 ans mettait en pratique ce mode opératoire. Fusil et bidon d’essence à la main, il avait retenu en otage pendant six heures cinq employés de la Federal Bank, dans une agence bancaire de Hamra, un quartier animé de l’ouest de Beyrouth, réclamant ses quelque 200 000 euros d’économies bloqués par l’établissement. La banque avait finalement accepté de lui donner près de 30 000 euros, selon les médias locaux.

Interrogé quelques jours plus tard par Vice News, chez lui, le preneur d’otages expliquait avoir besoin de cet argent pour subvenir aux besoins de sa famille, y compris de son père, malade. « Je me sentais étranglé », a-t-il raconté, après avoir tenté de récupérer la somme par des moyens conventionnels. D’où sa menace. « J’ai dit au responsable : ‘Je ne peux pas récupérer mon argent, je vais venir mettre le feu à l’agence »

Cette exaspération se retrouve dans le discours de Sali Hafez, une architecte d’intérieur de 28 ans, prête à tout pour accéder à ses fonds. Et ce, afin de payer le traitement dont doit bénéficier sa sœur, Nancy, malade d’un cancer. « Il y a deux jours, je suis allée voir le directeur de la banque, et je lui ai dit : ‘Le temps nous échappe. Ma sœur est malade, elle va mourir. Il m’a répondu qu’il ne pouvait me donner que 200 dollars », a-t-elle expliqué mercredi dans un message diffusée quelques heures après avoir fait irruption dans une agence de la Blom Bank du quartier Sodeco, à Beyrouth, et ici relayé par Middle Est Eye.

Son geste, réalisé avec une arme factice, lui a permis de repartir avec l’équivalent de 13 000 dollars, soit une partie infime du coût du traitement dont a besoin sa sur – « environ 50 000 » dollars toutes les deux semaines – a-t-elle raconté à Libération

Liban : une prise d'otages dans une banque pour récupérer des économies bloquées

« Les gens se suicident. Je leur dis : ne retournez pas votre arme contre vous. Allez chercher votre argent, même si vous devez y laisser votre vie », a-t-elle déclaré à la télévision libanaise, dans une déclaration citée par le Financial Times (lien en anglais)Engagée dans le mouvement de contestation contre une classe politique jugée corrompue et incompétente, elle confiait à franceinfo, en novembre 2021 : « Nous sommes en train de mourir doucement. Ils nous tuent petit à petit. » 

La vidéo de son action est devenue virale sur les réseaux sociaux, et son appel, entendu à travers tout le pays. Vendredi, un homme a ainsi récupéré quelque 19 000 dollars en liquide, avant de se rendre à la police, à Ghaziyeh, au sud-est de Saïda, la principale ville du sud du pays. Selon une chaîne de télévision locale citée par l’AFP, son arme était factice. A Chhim, toujours dans le sud, un militaire à la retraite a retenu en otage six personnes dans une branche de la BankMed, obtenant 25 000 dollars, selon une association d’épargnants, également cité par l’agence de presse. 

Liban : les braquages d'habitants désespérés se succèdent

Ce même jour, dans la capitale, trois hommes ont perpétré des braquages visant à obtenir leur propre argent, dont un avec une arme factice.

Face à la multiplication de ces incidents, le ministre de l’Intérieur, Bassam Mawlawi, a tenu vendredi une réunion d’urgence « pour prendre les mesures sécuritaires nécessaires ». « Réclamer ses droits de cette manière (…) peut nuire au système et faire perdre leurs droits au reste des épargnants », a-t-il averti, après cette réunion.

Cependant, aux abords des établissements bancaires concernés, de nombreux militants étaient rassemblés pour apporter leur soutien à ses initiatives. Parmi eux se trouvait notamment Bassam al-Sheikh Hussein, l’auteur de l’action réalisée au mois d’août. 

Bassam al-Sheikh Hussein, un Libanais de 42 ans qui a obtenu de récupérer une partie de ces économies en réalisant une prise d'otages, en août, assiste, dans la foule, à une action similaire, menée vendredi 16 septembre dans une banque du quartier de Tarik Jdidé, à Beyrouth.  (IBRAHIM AMRO / AFP)

Bassam al-Sheikh Hussein, un Libanais de 42 ans qui a obtenu de récupérer une partie de ces économies en réalisant une prise d'otages, en août, assiste, dans la foule, à une action similaire, menée vendredi 16 septembre dans une banque du quartier de Tarik Jdidé, à Beyrouth.  (IBRAHIM AMRO / AFP)

Les auteurs de ces actions bénéficient également du soutien d’une partie de la population, a relevé L’Orient le Jour. « C’est leur droit, c’est leur argent (…) Je sais que si tout le monde se met à faire ça, les banques devront mettre la clé sous la porte, faute d’argent. Mais individuellement, les gens s’en foutent, Sali devait sauver sa sœur atteinte d’un cancer », a commenté un quinquagénaire dans les pages du quotidien francophone. Une autre Libanaise y a témoigné sa satisfaction de voir repartir les preneurs d’otage avec plusieurs milliers de dollars : « Ça m’est égal cette idée de chaos, c’est leur propre argent qu’ils retirent, et puis ils sont inoffensifs ». 

La justice libanaise est-elle du même avis ? Parmi les braqueurs de vendredi, plusieurs d’entre eux se sont retrouvés, à l’issue de leur action, entre les mains de la police. Sali Hafez, elle, est en fuite, écrit The Financial Times. Cité par le quotidien britannique, l’avocat Fouad Debs, co-fondateur de la principale association des épargnants libanais, témoigne aussi de son soutien aux activistes. « Aucun d’entre eux n’a l’intention de faire du mal à qui que ce soit, en particulier ceux qui utilisent une arme factice », a-t-il expliqué. « Donc la peine la plus haute devrait être une amende de 200 000 livres libanaises, l’équivalent de 5 dollars aux taux du marché noir. »

Par ailleurs, en août, la justice libanaise avait renoncé à poursuivre Bassam al-Sheikh Hussein et un juge avait donc ordonné sa libération après que la banque a abandonné les charges retenues contre lui, avait rapporté l’agence officielle ANI.

En réaction à cette vague de braquage, l’Association des banques du Liban (ABL) a ordonné la fermeture de toutes les succursales pendant trois jours la semaine prochaine. Mais les activistes ont d’ores et déjà promis que ce genre d’opérations se multiplierait.


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