A la Une

Inceste : quelles sont les principales préconisations de la Ciivise pour lutter contre les violences sexuelles faites aux enfants ?

« Je parle pour moi et pour protéger les autres enfants. » Après un an de travail et le recueil de 16 414 témoignages, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) rend sa copie. Créée après la publication du livre de Camille Kouchner sur l’inceste, La Familia grande, la Ciivise a publié mercredi 21 septembre son bilan d’un appel à témoignages qui aura duré un an. A l’approche des discussions budgétaires pour l’année 2023, franceinfo revient sur les cinq préconisations de la commission développées dans son rapport final nécessitant « l’allocation de moyens financiers supplémentaires ». 

Instaurer le repérage systématique des violences

C’est l’une des mesures fortes défendue par la commission co-présidée par le très médiatique juge pour enfants Edouard Durand : la mise en place du repérage systématique des violences.

Le but est de ne plus laisser aux « 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année », la responsabilité de briser le silence. Pour que cette détection puisse se faire, la Ciivise recommande que la question d’éventuelles violences soit posée de manière systématique à l’enfant par les professionnels qui gravitent autour du secteur du premier âge. « Adolescente, un prof trouvait étrange que je ne me révolte jamais. Mais jamais personne ne s’est posé la question : pourquoi ? », témoigne anonymement l’une des victimes auprès de la Ciivise. Cette détection systématique devra concerner aussi les médecins, les infirmiers scolaires, les assistants sociaux, ou encore les éducateurs. 

Pour que cela se mette en place, les professionnels doivent inspirer confiance aux petites victimes avec une « attitude volontariste de chaque adulte et de l’institution dans laquelle il travaille », insiste la Ciivise. La commission demande également de renforcer « les moyens humains dans tous les espaces de vie fréquentés par les enfants » pour que le repérage puisse se faire. Le personnel doit être formé en « initiale et en continue » sur la question des violences sexuelles, ajoute la Ciivise.

Créer une cellule de soutien pour les professionnels

Alors qu’une personne sur dix a été victime de violences sexuelles dans son enfance d’après le décompte de la commission, les professionnels au contact d’enfants sont régulièrement amenés à recevoir la parole de personnes concernées durant leur carrière. Une situation qui les engage, puisque dès le premier récit de violences sexuelles, les médecins ou infirmiers scolaires devront mettre en sécurité d’urgence la victime. « Cette situation est susceptible de générer du stress pour l’adulte lui-même », constate la Ciivise, qui demande la création d’une cellule de soutien aux professionnels disponible par téléphone sur l’ensemble du territoire national. Elle devra se composer de tous les corps de métiers concernés (santé, éducation, police, justice), insiste la Ciivise.

Augmenter les moyens de lutte contre la cyberpédocriminalité

Dans son rapport, la Ciivise dresse un constat : la cybercriminalité par le biais des jeux en ligne est en augmentation. « Le grooming, à savoir le fait de créer un lien émotionnel avec un enfant afin de réduire ses inhibitions dans le but de l’agresser sexuellement, est en augmentation de 3 000% », chiffre la commission. Pourtant, la France compte seulement 30 enquêteurs dédiés sur tout le territoire.

Ce manque de moyens humains et matériels « se traduit par l’identification d’un très faible nombre d’agresseurs et de victimes », regrette la commission. Elle préconise donc de doter les services de police judiciaire spécialisés dans la cyberpédocriminalité « des moyens humains et matériels nécessaires ».

Prendre en charge des soins spécialisés pour les victimes

Parmi les 16 414 témoignages recueillis par téléphone, par écrit et sur le questionnaire en ligne, la Ciivise souligne la grande souffrance exprimée par les femmes et les hommes qui ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance. Cette souffrance se manifeste par l’altération de la santé physique et psychique des victimes. Les personnes rapportent des douleurs inexpliquées, des symptômes du psychotraumatisme (conduites d’évitement, reviviscences), des dépressions, des tentatives de suicide, des conduites addictives, des troubles alimentaires.

Dans le détail, chez les victimes entendues, près d’une femme sur deux décrit des troubles alimentaires et près de quatre hommes sur dix font état de problèmes d’addiction.« Je n’arrive pas à être dans mon corps. Je ne suis pas là en fait. Je suis à côté. Comme si j’étais morte intérieurement« , témoigne anonymement l’une des victimes auprès de la Ciivise. Les études, le travail, la vie familiale, la vie affective et sexuelle sont également durablement touchés. Plus de trois victimes sur dix évoquent une absence de libido, une baisse de cette dernière, ou encore une absence de vie sexuelle. 

« C’est comme si les cellules s’en souvenaient physiquement. Comme si on ressentait tout dans son corps, tout le temps. »

Une victime anonyme

dans le rapport de la Ciivise

La commission demande donc la mise en place d’un parcours de soin pour les victimes de violences sexuelles dans l’enfance, avec la spécialisation des praticiens pour soigner le psychotraumatisme et la prise en charge financière de ces soins pour les victimes. 

La diffusion d’une grande campagne d’information

Depuis 2002 et la campagne d’information « Se taire, c’est laisser faire », les pouvoirs publics n’ont plus axé de campagne de prévention spécifiquement sur les violences sexuelles faites aux enfants, regrette la commission. « Pourtant, la prévention des violences sexuelles est une responsabilité collective. C’est une grande cause qui doit mobiliser la société tout entière. Une grande campagne nationale s’impose », insiste-t-elle. 

Cette campagne devra faire connaître les manifestations des violences sexuelles chez les enfants et leurs conséquences sur les victimes, mais également de faire connaître les recours possibles pour les victimes et de mobiliser les témoins. Dernière exigence de la Ciivise : que cette campagne d’information soit « ambitieuse, répétée et accessible à tous, en particulier aux personnes en situation de handicap ».


Continuer à lire sur le site France Info