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Iran : cinq questions sur la mort suspecte de Mahsa Amini, qui embrase le pays

La colère gronde en Iran. La mort dans des circonstances troublantes de Mahsa Amini, 22 ans, vendredi 16 septembre à Téhéran, provoque une vague d’émeutes dans le pays. Les versions des autorités et de la famille diffèrent, les premières assurant que la jeune femme est morte d’une crise cardiaque lors d’un contrôle de la police des mœurs. Ses proches dénoncent, eux, des violences qui auraient conduit au décès. Franceinfo revient sur cet événement qui embrase le pays alors que trois personnes ont été tuées durant des manifestations au Kurdistan iranien, mardi 20 septembre.

Quelle est la version des autorités ?

En visite à Téhéran avec sa famille, Mahsa Amini a été arrêtée mardi 13 septembre par la police des mœurs chargée d’appliquer les règles vestimentaires strictes pour les femmes. Cette arrestation devait servir à dispenser des « instructions », a assuré jeudi la police locale. Mahsa Amini, « ainsi qu’un certain nombre de personnes, ont été conduites vers l’un des quartiers généraux de la police », mais « elle s’est soudainement évanouie alors qu’elle était avec d’autres personnes dans une salle de réunion », a détaillé la police.

Immédiatement transportée à l’hôpital, « elle est morte et son corps a été transféré à l’institut médico-légal », a déclaré vendredi la télévision d’Etat. Dans un communiqué, la police de Téhéran a confirmé la mort de la jeune femme. « Il n’y eu aucune négligence de notre part. Nous avons mené des enquêtes (…) Et toutes les preuves montrent qu’il n’y a pas eu de négligence, ou de comportement inapproprié de la part des policiers », a assuré le général Hosseim Rahimi, chef de la police de la capitale iranienne.

Pour étayer la version de la police, la télévision d’Etat a diffusé des extraits d’une vidéo sur laquelle on voit une femme, présentée comme Mahsa Amini, se lever pour discuter avec une « instructrice » au sujet de sa tenue vestimentaire, puis s’effondrer.

Que répond la famille de Mahsa Amini ?

Amjad Amini, le père de la victime, a déclaré lundi 19 septembre à l’agence de presse Fars que la « vidéo a été coupée ». Sa fille a « été transférée tardivement à l’hôpital », selon lui. Il a assuré également que sa fille était « en parfaite santé », contredisant les déclarations du ministre iranien de l’Intérieur, Ahmad Vahidi, qui a avancé que « Mahsa avait apparemment des problèmes antérieurs » et qu’elle « avait subi une opération au cerveau à l’âge de 5 ans ».

Le média Iran International, situé à Londres, a diffusé sur Twitter des images présentées comme un scanner du crâne de Mahsa Amini et montrant une « fracture osseuse, une hémorragie et un œdème cérébral », accréditant l’idée d’une mort violente causée par de mauvais traitements.

Sur le réseau social, d’autres internautes ont partagé des photos de la jeune femme la montrant intubée sur un lit d’hôpital, manifestement inconsciente. 

Qu’est-ce que la police des mœurs ?

Connue officiellement sous le nom de Gasht-e Ershad (« patrouille d’orientation » en iranien), la police des mœurs est une unité qui patrouille dans les rues pour vérifier l’application dans les lieux publics de la loi sur le foulard et d’autres règles islamiques. Depuis la Révolution islamique de 1979, la loi iranienne exige que toutes les femmes, quelles que soient leur nationalité ou leurs croyances religieuses, portent un voile qui recouvre la tête et le cou, tout en dissimulant les cheveux.

Ce n’est pas la première fois que cette police fait débat en Iran. « Toutes les femmes iraniennes ont dans leurs souvenirs des accrochages, et plein de mauvais souvenirs avec la police des mœurs qui est partout et qui réprime les femmes systématiquement », explique à franceinfo Mahnaz Shirali, sociologue et politologue iranienne.

Pourquoi la population est-elle en colère ?

Depuis samedi, des violents affrontements opposent les forces de sécurité iraniennes aux manifestants dans les grandes villes du pays. Mahsa Amini est « devenue le symbole de l’injustice qui règne depuis 43 ans » en Iran, avance Mahnaz Shirali.

A Saghez (nord-ouest du pays), la ville natale de Mahsa Amini située dans la province du Kurdistan, où elle a été inhumée samedi, des habitants ont jeté des pierres contre le siège du gouverneur et crié des slogans hostiles. Des manifestations ont également eu lieu dans la capitale de la province du Kurdistan, Sanandaj, mais aussi à Téhéran, et dans la deuxième ville du pays, Ispahan.

Sur les réseaux sociaux, des femmes se montrent à visage découvert en train de se couper les cheveux ou de brûler leur hijab. 

« Avec la mort de Mahsa Amini, il y a une forme de saturation qui s’exprime », observe auprès de franceinfo la politologue Dorna Javan, spécialiste des mobilisations en Iran. Trois personnes sont mortes au Kurdistan iranien mardi 20 septembre, dans les affrontements avec la police. Les autorités évoquent trois morts « suspectes » et un « complot fomenté par l’ennemi », affirmant que l’une des victimes a été tuée par un type d’arme non utilisé par les forces iraniennes de sécurité.

Même au sein de la classe politique iranienne, des voix commencent à s’élèver contre cette police des mœurs. « Elle n’obtient aucun résultat, sauf de causer des dommages au pays », a estimé le député Jalal Rashidi Koochi auprès de l’agence de presse Isna. « Le principal problème, c’est que certaines personnes ne veulent pas voir la vérité », a-t-il regretté. Pour tenter d’apaiser la situation, le président iranien, Ebrahim Raïssi, a demandé l’ouverture d’une enquête.

Quelles sont les réactions internationales ?

Cette affaire a un retentissement majeur en Iran, mais aussi à l’étranger. La Maison Blanche a jugé la mort de la jeune femme « impardonnable »« Nous continuerons à tenir responsables les dirigeants iraniens pour de telles violations des droits humains », a écrit sur Twitter Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale du président américain, Joe Biden. Le Quai d’Orsay a pour sa part qualifié l’arrestation et la mort de la jeune femme de « profondément choquantes ».

Depuis Genève, la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme par intérim, Nada Al-Nashif, a exprimé mardi « son inquiétude face à la mort en détention de Mahsa Amini (…) et à la réaction violente des forces de sécurité aux manifestations qui ont suivi ».


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