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Trafic de cocaïne entre la Guyane et la métropole : la difficile lutte contre les mules

Le nombre des « mules », ces passeurs qui transportent la drogue, n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Toby*, par exemple, a fait six mois de prison après avoir été arrêté, comme la plupart des mules, à l’aéroport de Cayenne : « Je devais avoir trois kilos de cocaïne sur moi. Ils avaient des chiens, qui ont reniflé ce qu’il y avait dans la valise. Je n’arrive pas à ingérer, moi. Et c’est trop dangereux. »

Certaines mules avalent en effet des boulettes de cocaïne, dans l’espoir de passer les contrôles, mais au risque de l’overdose.  Toby, 20 ans, a un profil atypique : bac en poche, alors que les convoyeurs sont souvent sans diplômes. Il a ensuite décroché, rattrapé par ses fréquentations. « Quand c’est compliqué, le trafic apparaît comme la solution miracle. On vous donne 5 000 euros, à 19 ans c’est une somme astronomique ! Vous transportez des quantités dont vous n’avez pas idée ; on vous dit : ‘T’inquiète, il n’y aura que ça… Alors qu’il y a peut-être trois fois la quantité.’ Vous n’avez pas de téléphone ? Ils vous en achètent un… À la limite ils deviennent vos meilleurs amis. »

Toby est actuellement en réinsertion, accueilli par l’association Kaïros à Cayenne, tout comme Souliki*, 27 ans. Lui n’a jamais fait la mule mais la cocaïne a conduit une partie de sa famille derrière les barreaux, à la prison de Fresnes. « Mes deux petites sœurs, c’était un kilo qu’elles avaient ingéré, et ma mère avait sept kilos dans ses valises. Quand j’étais jeune, on était en difficulté à cause de l’absence de notre mère. On recevait de l’argent de sa part, mais ce n’était pas ce qu’on voulait ! Si elle était là aujourd’hui, si elle ne s’était pas mise au trafic de cocaïne, je pense que je serais quelqu’un de mieux. Ma vie, c’est la prison : j’y suis allé sept fois… » Comme Toby, Souliki est sorti de prison en juillet. Lui a été condamné pour braquage et séquestration.

À l’aéroport Félix Eboué de Cayenne, deux vols par jour sont programmés en moyenne vers Paris. Avec, avant l’embarquement, les formalités classiques mais aussi toute une série de contrôles supplémentaires : profilage des passagers, questionnaire sur leur point de chute, nouvel interrogatoire en cas de doute, éventuel test urinaire… Pas d’embarquement en cas de refus.

Les passagers sont donc passés au crible, alors que les trafiquants ne cessent d’innover : « Depuis l’été 2021, nous avons constaté l’augmentation des passagers originaires du Nigéria, et clairement pas pour faire du tourisme, explique le commissaire Thierry Baurès, le patron de la police de l’air et des frontières en Guyane. Soit ils viennent des aéroports parisiens, et nous travaillons bien évidemment en collaboration avec nos collègues d’Orly et de Roissy pour diminuer ce flux. Soit ils partent de l’aéroport d’Amsterdam avec un billet simple, atterrissent à Paramaribo (la capitale du Suriname, principal point d’entrée de la cocaïne en Guyane), traversent la frontière et viennent à l’aéroport de Cayenne avec un billet pour un vol retour à destination de la France métropolitaine. »

Malgré les contrôles renforcés, les autorités sont débordées. Car c’est la stratégie des trafiquants : saturer les services policiers comme judiciaires, qui estiment que près d’un passager sur six est une mule. Au total, cela en fait une centaine chaque jour.

D’où cette expérimentation menée cet été et qui prend fin le 30 septembre : un classement sous condition en cas d’arrestation jusqu’à 1,5 kilo de cocaïne mais six mois d’interdiction d’aéroport, pour s’en prendre au trafic davantage qu’aux transporteurs. « Nous estimons que nous avons perturbé le flux à hauteur de 2,5 tonnes voire trois tonnes de cocaïne, affirme le procureur général de Cayenne Joël Sollier. Pour les trafiquants de stupéfiants, c’est extrêmement perturbateur, parce qu’ils sont totalement indifférents au sort des mules que nous poursuivons depuis des années : que nous les condamnions à un an ou à dix ans de prison, cela leur est totalement égal. Ce qui les intéresse en revanche, c’est que les stupéfiants puissent aller en direction de l’Europe et de récupérer l’argent de la vente de ces stupéfiants. Nous perturbons le flux et donc nous portons atteinte à ce qui leur est important. »

Un flux perturbé mais ce qu’il faut c’est « couper le robinet », selon une source policière à l’unisson avec le procureur général. Police et justice ont des revendications identiques : des moyens supplémentaires, à commencer par un nouveau scanner à l’aéroport. Il en existe un pour la drogue cachée sous les vêtements mais pas pour la cocaïne ingérée.

* Les prénoms ont été modifiés


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