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Renvoi d’Eric Dupond-Moretti devant la CJR : que va-t-il se passer maintenant pour le ministre de la Justice ?

Il est accusé d’avoir profité de sa fonction pour régler des comptes. Eric Dupond-Moretti, mis en examen depuis juillet 2021 pour « prise illégale d’intérêts »est renvoyé devant la Cour de justice de la République (CJR), ont annoncé ses avocats, lundi 3 octobre. C’est une première pour un garde des Sceaux en exercice. Ses conseils ont immédiatement formé un pourvoi en cassation, qui suspend ce renvoi devant la justice.

Au cœur du dossier, figurent deux enquêtes administratives ordonnées par Eric Dupond-Moretti, l’une visant trois magistrats du Parquet national financier (PNF), l’autre un ex-juge d’instruction détaché à Monaco, Edouard Levrault. Des robes rouges avec lesquelles l’ancien pénaliste avait eu maille lorsqu’il était avocat. Si ces procédures avaient été entamées sous sa prédécesseure à la Justice, Nicole Belloubet, les syndicats de magistrats, à l’origine des plaintes visant Eric Dupond-Moretti, lui reprochent d’avoir continué à les instruire, en étant juge et partie. Matignon avait fini par reprendre la main sur ces deux dossiers. Que va-t-il se passer maintenant ? Eléments de réponse.  

Un pourvoi en cassation formé contre l’arrêt de renvoi

A la sortie de la CJR, les avocats d’Eric Dupond-Moretti ont annoncé avoir « immédiatement formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt ». Ce pourvoi suspend les effets de l’arrêt de renvoi. Rémi Lorrain a souligné qu’il appartenait « désormais à l’assemblée plénière de la Cour de cassation de se saisir de ce dossier », avec une nouvelle décision sur l’ensemble de la procédure, « et de se prononcer notamment sur les nombreuses irrégularités qui ont émaillé ce dossier depuis deux ans ».

L’avocat d’Eric Dupond-Moretti a notamment mis en cause le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, qu’il accuse d’avoir eu un « positionnement atypique puisque déloyal et partial » dans cette affaire. L’ancien procureur de la République de Paris avait pris la plume dans Le Monde pour dénoncer un « conflit d’intérêts », avant d’annoncer quelques mois plus tard, en janvier 2021, l’ouverture d’une information judiciaire visant le garde des Sceaux.

Plusieurs options possibles à l’issue du réexamen du dossier

Comme l’a expliqué sur franceinfo, lundi, l’autre avocat d’Eric Dupond-Moretti, Christophe Ingrain, la Cour de cassation « va examiner à la fois le fond du dossier et la procédure, puisque l’ensemble des recours formés par ses avocats sont désormais » devant cette instance. Cela peut prendre plusieurs mois avant que la Cour ne se penche dessus. 

La défense du ministre rappelle que les deux procédures visant les magistrats du Parquet national financier et le juge Edouard Levrault ont été initiées par Nicole Belloubet. Et Christophe Ingrain martèle qu’avant de diligenter une enquête administrative sur les trois magistrats du PNF, Eric Dupond-Moretti s’était « tourné vers différents sachants, dont François Molins, qui avait conseillé l’ouverture » d’une telle enquête. Le Parisien s’en était fait l’écho en juillet 2021.

Plusieurs options sont désormais sur la table. La Cour de cassation peut valider le renvoi du garde des Sceaux devant la CJR et les choses reprennent là où elles en étaient, avec la perspective d’un procès. Elle peut aussi valider le renvoi, après avoir annulé des pièces de la procédure. Autre possibilité : la Cour décide de ne pas renvoyer Eric Dupond-Moretti et réclame des actes supplémentaires à la Commission d’instruction de la CJR. Le ministre et ses conseils avaient notamment demandé que François Molins soit entendu.  

Son maintien au gouvernement une nouvelle fois questionné

Le garde des Sceaux s’attendait à cette décision. « J’ai la quasi assurance d’être renvoyé devant une formation de jugement. J’y défendrai mes droits comme tout justiciable », déclarait-il lors de la présentation du budget de la justice, le 27 septembre. Son renvoi devant la CJR ne manquera toutefois pas de poser une nouvelle fois la question de son maintien au gouvernement. 

« Lors de sa nomination [en juillet 2020], les deux principaux syndicats de magistrats avaient parlé d’une ‘déclaration de guerre’. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une traduction judiciaire de cette déclaration de guerre », estime l’entourage d’Eric Dupond-Moretti auprès de franceinfo. Et de rappeler que le ministre « a porté 27 textes au Parlement, obtenu un budget historique pour la justice, qui a augmenté de 26%. Ça ne l’a pas empêché de travailler et il va continuer à le faire »

La perspective de voir son ministre renvoyé devant la Cour de justice de la République n’a pas non plus empêché Emmanuel Macron de le nommer à nouveau pour son second mandat. Il est donc peu probable que l’avenir d’Eric Dupond-Moretti dans le gouvernement soit compromis à ce stade.

« La légitimité du ministre est quand même très affectée, considère sur franceinfo Céline Parisot, présidente de l’Union syndicale des magistrats. La légitimité du ministre repose sur sa capacité à garantir l’indépendance de la Justice, et là il y a un très gros hiatus. » Tout au long de l’enquête, Eric Dupond-Moretti a répété n’avoir fait que « suivre les recommandations de son administration ». L’intéressé n’avait pas encore commenté la décision de la CJR, lundi à la mi-journée. 


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