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On a (re)lu le premier polar de Sandrine Rousseau

« Les premiers mots disent tout », écrivait l’homme de lettres Maurice Blanchot. La députée Europe Écologie-Les Verts Sandrine Rousseau a donné à lire les siens à l’âge de 35 ans dans un genre particulier : un polar féministe humoristique. En 2007, elle est maîtresse de conférences en sciences économiques à l’université de Lille lorsque paraît son premier roman policier Épluchures à la lilloise (le suivant et dernier arrivera en 2009). La maison d’édition, Ravet-Anceau, est petite, locale, mais historique puisque fondée à la moitié du XIXe siècle. Le livre, au format poche, est vendu au tarif d’un grand format (12 euros), publié dans une collection qui accueille des romans policiers régionaux, « Polars en Nord ». Épuisée depuis, on peut trouver cette édition en ligne, d’occasion.

Derrière une couverture rose Malabar tendancieuse et une épigraphe « À nos lieux communs » qui sonne comme un avertissement, on trouve un polar à l’écriture sèche, bien dans les codes. Un whodunnit avec un meurtre, des suspects, le tout emballé dans une enquête contemporaine menée par un policier hard boiled (dur à cuire, NDLR). Jusque-là, rien de neuf sous le soleil. En revanche, du côté de l’assassinat et des personnages, Sandrine Rousseau s’avère plus piquante.

Tout commence avec un homme assassiné, pelé à l’économe, comme une pomme de terre. La caricature est affirmée, l’économe affûté, l’humour noir, aussi. Ses personnages forment une galerie de caractères que n’aurait pas reniée Jean de La Bruyère ; ses dialogues, par moments, sont dignes du Père Ubu :

– « Qui est votre amant ?

– Le général de Gaulle.

– Impossible, il est mort. »

Nul mais intrigant, comme l’inspecteur Penan

Dans un reportage de 2007 réalisé par l’INA, Sandrine Rousseau raconte s’être mise à l’écriture vers 28 ans, ridiculisant, sous les traits de l’enquêteur, un patron honni, usant de sa plume comme d’une aiguille sur une « poupée vaudou ». Dans la fiction, ce « patron » – dont elle préfère taire aujourd’hui même le nom de l’entreprise –, s’appelle Jean Penan. Il est policier, hissé, le temps aidant, au grade d’inspecteur, intimement persuadé d’être un génie, alors qu’il est fondamentalement crétin.

« Un puits sans fond », écrit Rousseau, de ce ventripotent limier qui est parvenu à s’autopersuader que les meurtrières avaient de plus gros seins, et prend systématiquement en note le tour de poitrine de ses interlocutrices – on ne sait jamais – cataloguées sous les acronymes de « GS », « MS », et « PS », pour gros seins, moyens et petits seins. Servile, il cherche le contentement de la hiérarchie – « son chef le félicitera », suiveur, il abonde toujours dans le sens de la commodité. Quadra de Villeneuve-d’Ascq, brun, rondouillard, ce poulet lambda se distingue par deux particularités physiques qui traversent le livre.

La première : « Sa pilosité erratique et son regard globuleux le privent du charme le plus élémentaire. » Comprenez que Penan est chauve, mais ses doigts sont velus et il se demande par quelle « mutation génétique inopportune, les cheveux qui lui font tellement défaut au sommet du crâne se retrouvent sur le dessus de ses doigts ». Autre caractéristique majeure : sa couleur. « Teint jaunâtre, chemisette vert pastel, le pantalon vert bouteille et les yeux verts vitreux », lit-on. Même sa voiture, un break, est verte et notre homme ne se déplace jamais sans emporter avec lui un halo qui donne à tout une teinte maladive. Penan est une sorte de nul auquel on s’attache, Rousseau injectant malgré tout une certaine sympathie – l’innocence de l’imbécile – à ce grand ridicule inconscient de l’être.

Mais Jean Penan est aussi un nocif misogyne qui s’ignore. Persuadé d’être le meilleur mari du monde pour Madame Marie Penan, il n’a pas besoin de réclamer son whisky qu’elle lui apporte docilement chaque soir lorsqu’il rentre et s’installe dans son fauteuil. Pour lui prouver son affection, il lui offre régulièrement une boîte de chocolats After Eight. Que Marie déteste, mais range consciencieusement chaque fois dans un placard, depuis des années, dans la cuisine, son univers.

Le seul hic dans leur relation, c’est que, parfois, Marie se prend à penser. C’est un regret pour Jean qui se dit que sa femme est « décidément trop intelligente », qu’il « faudrait qu’il pense à en changer ».

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On retrouve Sébastien Fromentin assassiné nu, le torse et une partie du bras épluchée à l’économe. Pourtant, Fromentin n’est pas un légume, mais « un bel étalon plein de vie, capable d’honorer des hordes de blondes ». Fromentin était, de son vivant, un « tombeur en série » de « jeunes, entre 25 et 35 ans, blondes, tendance à forte poitrine et plutôt jolies ». La preuve en est faite dès le deuxième chapitre, lorsque Penan, aux funérailles, découvre une « marée humaine homogène, une marée de jeunes femmes… blondes ». Il en dénombre 67. Autant de suspectes.

La maman et la putain, toutes suspectes

Parmi ces 67 suspectes, seules deux attirent l’attention de l’inspecteur, pour son enquête, mais aussi à titre personnel – leurs seins sont vraiment gros. Deux femmes, deux archétypes, deux faces d’une même médaille apparaissent : la maman et la putain.

Julie d’abord, la putain. Elle est sarcastique, donc dévergondée, voire « perverse ». Entendez que, première maîtresse de Sébastien – appelé « Seb » –, Julie est libre, ne marchande pas ses faveurs mais les offre ; fait œuvre, telle l’artiste. Dans le roman, c’est-à-dire les notes de Penan, Julie Canteleu est dite « effrontée, sans morale, suspecte ». La liberté excite, mais n’a pas bonne presse.

L’autre maîtresse, Margot, la maman, à la moralité sans tache, se trouve être tout aussi suspecte. La jeune femme est une maman solo. Un cœur qui croyait au prince charmant, désenchanté depuis que le père de son fils s’est sauvé au moment de la péridurale, « même pas avec une sage-femme ». Désabusée, Margot reste une indécrottable rêveuse. Et malgré le décalage entre « le son et l’image » de « Seb », qui dit que c’est impossible, qu’il en aime une autre (Armelle, l’officielle) mais l’enlace, l’éconduit tout en l’embrassant, la rejette tout en la faisant monter dans son appartement, Margot l’aime… Alors, elle échafaude une théorie triste sur l’amour, « les gens tombent amoureux entre 20 et 30 ans, âge par ailleurs de procréation, et puis entre 35 et 40, certains s’aperçoivent qu’ils se sont trompés ». Sandrine Rousseau, mère de deux enfants à l’époque, s’est-elle aperçue elle aussi qu’elle s’était trompée à cet âge-là ? Ou a-t-elle été bernée par un coureur de jupons avant 28 ans ?

Prémices écologiques

Écolo, Sandrine Rousseau l’est déjà en 2007, avec un sens du recyclage affirmé. Rien ne se perd, tout se récupère, même les épluchures humaines – la peau de Sébastien Fromentin – ne sont pas jetées comme on pourrait l’imaginer avec les ordures ménagères, mais déversées par l’assassin sur le tas de compost du jardin de l’inspecteur… Un an après la publication de son premier polar – le suivant, Qu’est-ce qui fait pleurer les flics ?, paraîtra en 2009 chez le même éditeur –, nommée vice-présidente chargée de la « vie étudiante, vie de campus / développement durable et égalité femmes-hommes », on ne s’étonnera donc pas de voir Sandrine Rousseau participer à la création de potagers participatifs au sein du campus. Existe-t-il fin plus utile, sur le plan environnemental bien sûr, pour un séducteur en série, que de nourrir les racines des pissenlits ?

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Roman féministe ?

Les femmes sont-elles vraiment des victimes chez Rousseau ? Un homme épluché à l’économe, un autre ensuite, aux parties génitales épilées à la pince puis jeté du haut d’un pont… Gardons-nous de toute conclusion hâtive, mais déjà en 2007, les femmes ne sont pas tendres.

Chose certaine cependant, entre l’autrice d’Épluchures à la lilloise et la députée EELV, on trouve déjà de nombreux points communs. Et notamment, en germe, l’art de manier les archétypes, des oppositions majeures et un sens de la repartie ou de la formule-choc.

Soyons généreux, puisque le livre est quasi introuvable. Cet opus donne cependant un avant-goût à l’affaire du barbecue qui a secoué notre été 2022. Le « symbole de virilité », tel qu’affirmé par Rousseau, trouve un précédent automobile : « Il y a différentes sortes d’attributs du pouvoir et le volant dans une voiture en est un », lit-on. Barbecue, volant, télécommande, même combat ?


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