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Crise de l’énergie : ces mesures de la Convention citoyenne pour le climat qui auraient pu être utiles

La revanche des « Amishs ». Il y a deux ans, la Convention citoyenne pour le climat (CCC) avait remis à la ministre de la Transition écologique d’alors, Elisabeth Borne, 149 mesures pour lutter contre le réchauffement climatique (PDF). Parfois moqué par le président de la République, souvent ignoré et édulcoré par le gouvernement, le travail des 150 citoyens tirés au sort voit sa pertinence renouvelée en pleine crise énergétique. La question de la sobriété, jugée « incongrue » à l’époque par le pouvoir, selon l’un des participants, va faire l’objet d’un plan ad hoc, présenté jeudi 6 octobre par… Elisabeth Borne, devenue Première ministre.

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« Le gouvernement dit qu’il faut imposer ces mesures en urgence. Mais le projet de la Convention citoyenne, au contraire, était de préparer les citoyens à adopter des modes de vie plus sobres. »

Agnès Catoire, ancienne participante

à franceinfo

« Si nous avions agi à l’époque, la majorité des gens comprendrait aujourd’hui la nécessité de faire ces changements. Au lieu de cela, ils sont imposés, et donc injustes », poursuit Agnès Catoire. Guy Kulitza, un autre des 150 citoyens tirés au sort, partage ce sentiment d’une occasion manquée.

« Ils n’ont pas osé prendre le taureau par les cornes et ils ont attendu que les choses se fassent de la douleur. »

Guy Kulitza, ancien participant

à franceinfo

Franceinfo revient sur ces mesures qui auraient pu permettre de réduire nos consommations d’électricité, de gaz ou de pétrole, en plus de lutter contre le réchauffement climatique.

Accélérer la rénovation énergétique

Ce que proposait la Convention citoyenne. La rénovation énergétique des bâtiments consiste à mieux les isoler pour diminuer leur consommation d’énergie et augmenter leur confort en cas de coup de froid ou de vague de chaleur. Pour accélérer le rythme de ce chantier crucial, les 150 citoyens tirés au sort proposaient une série de mesures pour « contraindre les propriétaires occupants et bailleurs à rénover leurs biens de manières globales » : rénovation obligatoire des bâtiments F et G d’ici 2030, E et D d’ici 2040, blocage dès 2021 de l’augmentation des loyers tant que le logement n’est pas rénové, interdiction de louer des passoires thermiques en 2028, malus sur la taxe foncière pour les propriétaires récalcitrant dès 2028. Le texte insistait également sur la nécessité d’encourager les rénovations globales, plus performantes, par rapport à celles par geste.

Ce qu’a fait le gouvernement. Une partie de ces mesures sont reprises dans la loi Climat et résilience, mais avec d’importantes modifications. Aucune obligation ne s’applique aux propriétaires occupants. Aucune sanction via un malus sur la taxe foncière n’est prévue. Le gel de l’augmentation des loyers pour les passoires thermiques est entré en vigueur en 2022 (et non en 2021). L’interdiction de locations des passoires énergétiques est avancée à 2025 pour les logements G et maintenue à 2028 pour les logements F. Les aides doivent être réhaussées, mais la question de la rénovation globale n’apparait pas.

« Je ne comprends pas pourquoi cela n’a pas été mis en place de façon plus forte », se désole William Aucant, un autre participant, devenu depuis conseiller régional écologiste dans la région Pays de la Loire. Ce chantier n’aurait pas pû être mené à bien entre 2020 et 2022, mais « si on avait commencé il y a deux ans, on aurait peut-être 800 000 logements qui pourraient diminuer leur consommation d’énergie et il y aurait eu moins de tensions sur le réseau », estime Grégoire Fraty, ancien participant lui aussi et ex-candidat LREM aux régionales en Normandie

« Emmanuel Macron peut mettre un col roulé à l’Elysée, mais quand on pense aux familles qui passeront l’hiver dans des logements mal isolés, c’est perturbant de voir le gouvernement promouvoir les petits gestes. »

Eloïse, ancienne participante

à franceinfo

Limiter le chauffage à 19°C

Ce que proposait la Convention citoyenne. Inscrite dans la loi, cette limite des 19°C, qui permet de substantielles économies d’énergie en hiver, est peu appliquée. Pour résoudre ce problème, la Convention citoyenne pour le climat proposait une campagne d’information et de sensibilisation à destination des particuliers et une obligation pour les bâtiments et espaces publics, ainsi que les bureaux, qui « devront faire un effort d’exemplarité ». Les hôpitaux, Ehpad, cabinets médicaux et autres établissements similaires étaient exemptés de cet effort.

Ce qu’a fait le gouvernement. L’exécutif s’est contenté de rappeler que cette proposition était déjà prévue par le Code de l’énergie et de mettre en avant un appel à projets pour le financement de travaux au sein des bâtiments de l’Etat. Ce n’est que tout récemment qu’Emmanuel Macron, puis Elisabeth Borne, se sont mis à marteler cette « règle ». Une bonne chose, même si « les gens ne sont pas des enfants, ils savent qu’il faut faire attention », souligne Agnès Catoire. « Nous ne sommes pas tous égaux face à cette consigne », rappelle Claire Marcant, qui cite le cas des passoires énergétiques. Cette consigne va dans le sens de la volonté des « 150 » de « changer en profondeur les comportements ».

Agir sur les espaces publics

Ce que proposait la Convention citoyenne. Eviter les déperditions de chaleur et réduire la consommation d’énergie dans les logements, le tertiaire et les espaces publics doit permettre de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre de ces secteurs d’ici 2030, puis encore par deux ou trois d’ici 2040, prédisait la Convention citoyenne pour le climat, misant en parallèle sur le déploiement de sources d’énergie décarbonnées. Elle préconisait l’interdiction de chauffer les espaces publics extérieurs, la modulation de l’éclairage public ou encore l’interdiction d’éclairage des enseignes, vitrines de magasin et bureaux la nuit.

Ce qu’a fait le gouvernement. Dans ce paquet de mesures citées par Olivier Fraty, « on proposait qu’on ne puisse plus chauffer les portes ouvertes, les espaces publics extérieurs, les terrasses chauffées, etc. – ce qui avait fait grand bruit », rappelle-t-il. Cette dernière mesure avait été inscrite dans la loi Climat, bien que repoussée à avril 2022. Agir sur les espaces publics et le tertiaire permet de restaurer la confiance par l’exemplarité, relève Guy Kulitza : « Il faut montrer que l’on met les choses en place. » D’ailleurs, « la rénovation thermique, c’est aussi pour les institutions et les industriels. On a des entreprises qui se plaignent de leur facture qui explose et qui jusqu’alors pensaient avoir du temps devant elle », pointe-t-il. Ces dernières, comme les collectivités publiques, appellent à l’aide.  

Réduire la vitesse à 110 km/h

Ce que proposait la Convention citoyenne. En France, le transport est le secteur qui émet le plus de gaz à effet de serre. Pour cette raison, la Convention citoyenne pour le climat souhaitait limiter la vitesse sur autoroute à 110km/h. Ce coup de frein présente plusieurs avantages : réduire en moyenne de 20% les émissions de CO2, économiser du carburant – « 1,4 euro par 100 km en moyenne sur le coût des carburants »  mais aussi faire baisser le nombre d’accidents et de réduire les embouteillages, listaient les 150 citoyens tirés au sort.

Ce qu’a fait le gouvernement. Emmanuel Macron a immédiatement écarté cette proposition, motivant ce refus par l’expérience amère vécue en juillet 2018, lors du passage de 90 à 80 km/h sur l’ensemble des routes secondaires. Face à la grogne, la règle avait été assouplie dès 2020. Depuis, près de la moitié des départements ont retrouvé des panneaux « 90 » sur tout ou partie de leur réseau. Or, cette baisse de la vitesse sur autoroute paraît « évidente à un moment où il est question d’économiser du carburant et de réduire nos émissions de gaz à effet de serre », estime Agnès Catoire.

« C’est une mesure facile à mettre en place et gratuite. »

Agnès Catoire, ancienne participante

à franceinfo

Elle nécessite surtout un gros effort de pédagogie alors que, selon l’Ademe, 42% des Français y était favorable en 2021. Au sein des « 150 », se souvient-elle, la mesure réputée clivante avait fini par convaincre. Il n’empêche que pour palier la hausse des prix des carburants, le gouvernement a préféré une remise à la pompe, plutôt qu’une baisse de la vitesse.

Réguler la publicité

Ce que proposait la Convention citoyenne. Pour les participants, la sobriété passe inévitablement par la lutte contre la sur-consommation. Changer de modes de vie sous-entend de « faire évoluer les comportements du consommateur », via une régulation de la publicité. La Convention citoyenne proposait d’interdire dès 2023 la publicité sur les produits les plus polluants, en s’inspirant de la loi Evin, qui a banni la promotion de l’alcool et du tabac. En outre, elle proposait une régulation stricte des affichages avec écran vidéo, interdits « dans l’espace public, les transports en commun et dans les points de vente ».

Ce qu’a fait le gouvernement. En 2021, la loi Climat et résilience s’est attaquée aux écrans vidéo, notamment dans les vitrines de magasins, en permettant aux élus locaux de définir notamment des « horaires d’extinction ». « J’ai hâte que ça se mette en place », se réjouit déjà William Aucant. « Nous avons obtenu des mesures qui manquent d’ambition », abonde Claire Marcant, une autre participante à la Convention citoyenne. Le risque de pénurie d’énergie a toutefois réussi là où avait échoué la menace du réchauffement climatique : un futur décret entend harmoniser les règles existantes d’extinction des publicités lumineuses de 1 heure à 6 heures du matin et instaurer des amendes allant jusqu’à 1 500 euros par publicité ou par enseignes non éteinte. 

Diminuer les engrais azotés

Ce que proposait la Convention citoyenne. Utilisés par l’agriculture conventionnelle pour augmenter les rendements, les engrais azotés sont une source de gaz à effet de serre, qui réchauffent le climat, et de polluants pour l’air que nous respirons. Leur coût a bondi avec la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine, parce qu’ils sont produits avec du gaz. En 2020, la Convention citoyenne proposait d’augmenter la taxe générale sur les activités polluantes, pour diminuer l’usage de ces engrais.

Ce qu’a fait le gouvernement. Dans la loi Climat et résilience, cette augmentation de la taxe est remplacée par de simples objectifs de réduction en 2030. Toute idée de contrainte et d’obligation a disparu : si ces objectifs ne sont pas remplis deux années de suite, le gouvernement « envisagera » la mise en place d’une redevance, « tout en veillant à préserver la viabilité économique des filières agricoles concernées ». Pour Guy Kulitza, cette proposition a été « mise sous le tapis ». « Des paysans ne vont plus avoir les moyens de se payer des engrais. « C’est tout simplement une catastrophe humaine, parce qu’on a pas mis en place les structures pour permettre cette transition », regrette-t-il.


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