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Prix Nobel de la paix : pourquoi la diplomatie biélorusse estime-t-elle qu’Alfred Nobel « se retourne dans sa tombe » ?

La Biélorussie a dénoncé vendredi la remise du prix Nobel de la paix au défenseur biélorusse des droits de l’Homme incarcéré Ales Beliatski, co-lauréat avec une organisation réprimée en Russie, Mémorial, et une ONG ukrainienne.

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« Ces dernières années, les décisions – et on parle du prix de la paix – sont tellement politisées qu’Alfred Nobel (fondateur des prix éponymes, ndlr), n’en peut plus de se retourner dans sa tombe« , a réagi sur Twitter le porte-parole de la diplomatie biélorusse, Anatoli Glaz.

Une déclaration choc et volontairement provocatrice. Mais pourtant, loin d’être dénuée vérité. Car, depuis sa naissance, le Nobel de la paix a largement évolué. Dans son testament en 1895, Alfred Nobel, scientifique suédois inventeur entre autres de la dynamite, précise que ce prix de la paix devra « récompenser la personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation de progrès pour la paix« .

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Des objectifs inscrits dans l’esprit de l’époque, dans ce qu’étaient les relations internationales à la fin du 19ème siècle. Alfred Nobel a alors en tête le mouvement pacifiste qui prend forme et cherche à rapprocher les Etats pour assurer la paix, les conférences internationales comme moyen de régler les conflits. Dans la lignée du testament d’origine sont donc aussi récompensés les promoteurs de traités de paix, d’organes de coopération internationale ou en faveur du désarmement. Et des Institutions ayant le même objectif, tel que le Bureau international de la paix en 1902 et 1910, ou encore des branches de l‘Organisation des Nations unies à plusieurs reprises également. Sans compter également, plus récemment, des organisations luttant contre les armes chimiques, antipersonnel ou nucléaires comme, par exemple, en 1997 la « Campagne internationale pour l’interdiction des mines antipersonnel » et la « Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires » en 2017. 

Progressivement, le Comité Nobel, toujours situé à Stockholm, va élargir la visée du prix, en récompensant par exemple les processus de paix en cours. Le Nobel est alors considéré comme un encouragement à poursuivre les efforts de paix, quel qu’ait été les actes passés ou la concrétisation des objectifs visés. Theodore Roosevelt (1906), Shimon Peres, Yasser Arafat, Yitzak Rabin (en 1994, pour « honorer une action politique qui a appelé à un grand courage des deux camps, et qui a ouvert des opportunités pour un nouveau développement vers la fraternité au Moyen-Orient »), le président colombien Juan Manuel Santos pour son engagement à clore le conflit armé avec la guérilla des Farc. Ou Barack Obama récompensé après à peine un an de présidence à la tête des Etats-Unis.

Le Comité Nobel met également en avant depuis plusieurs années des causes planétaires et de combats personnels, comme la lutte contre le réchauffement climatique à travers l’ancien vice-président américain Al Gore et le GIEC. Des coups de projecteurs, surtout, sur des personnalités récompensées pour leur contribution aux droits de l’homme, à la lutte contre les discriminations, la pauvreté, les violences… 

Le Nobel pouvant alors devenir un moyen indirect – au long cours – de dénoncer et tenter de protéger. On peut ainsi penser au Sud-Africain Desmond Tutu pour « sa contribution à apporter une solution et mettre fin à l’apartheid », le dissident chinois Liu Xiaobo pour « son long combat non-violent pour les droits humains fondamentaux en Chine », ou encore la Birmane Aung San Suu Kyi à l’époque où elle était assignée à résidence.

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L’occasion pour le Nobel de la paix d’orienter l’attention médiatique vers une réalité et un combat, comme celui de la jeune Pakistanaise Malala, en faveur de la scolarisation des petites filles, ou du médecin congolais Denis Mukwege, qui avait lutté contre ce qu’il appelle la « guerre sur le corps des femmes« , victimes de viols. En 2021, ce sont des journalistes, philippine, Maria Ressa, et russe, Dmitri Mouratov, qui avaient été récompensés pour leur combat « pour la liberté d’expression« .

En décernant, en 2022, un Nobel de la paix pour la « coexistence pacifique » à un trio ukrainien, russe et biélorusse, il s’agit bien d’un moyen et d’une philosophie plus seulement comme l’entendait Alfred Nobel de « rapprocher les peuples et les Nations« , mais aussi de mettre en avant les parcours de ceux qui dénoncent, résistent, enquêtent, au péril de leur vie. Ce qui est à nouveau le cas cette année et qui ne plaît définitivement pas à tout le monde.


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