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Cinéma : le film « Aya » est « une histoire intime sur la fin de l’enfance »

Aya est une jeune adolescente ivoirienne qui vit à Lahou-Kpanda, une presqu’île située dans le sud-est de la Côte d’Ivoire, à quelques kilomètres de la capitale économique, Abidjan. Son petit village est grignoté depuis des années par la mer, à cause du réchauffement climatique. Sa mère s’inquiète pour Aya, au grand dam de la jeune fille qui semble ne s’appliquer qu’une seule règle : Carpe Diem (jouir de l’instant présent). Aya, le premier long métrage de fiction du cinéaste belge Simon Coulibaly Gillard, avec ses tons bleu et rose, à la douceur de l’innocence. Et d’un rêve duquel on finit toujours par se réveiller. Marie-Josée Degny Kokora, qui incarne Aya, confère à l’adolescente un flegme à toute épreuve. La jeune fille paraît ainsi à la fois nonchalante, déconnectée et combative. C’est sans effort que le spectateur suit les aventures d’Aya dans un monde qui s’effondre. Entretien avec Simon Coulibaly Gillard, le réalisateur du film Aya.

Qu’est-ce qui vous a amené à Lahou, cette presqu’île située en Côte d’Ivoire, où se joue le destin de votre héroïne ?

Tout mon travail de cinéaste s’est déroulé en Afrique de l’Ouest, notamment au Burkina Faso. Cela fait une dizaine d’années que je fais des films dans la sous-région. Mais je m’étais dit qu’il serait temps de faire un film chez moi, en Belgique, mais je n’y arrivais pas. Par dépit, je me suis offert une pause en allant en Afrique de l’Ouest pour revoir des amis, mon assistant avec qui j’ai fait tous mes films, Lassina Coulibaly qui est Burkinabè. Ses récits m’ont entraîné en Côte d’Ivoire, un pays que je n’avais jamais visité. J’ai acheté avec lui, à Abidjan [la capitale économique], une voiture avec l’espoir de faire un énorme tour de Côte d’Ivoire.

Mais au bout d’un peu plus de 200 km, la voiture est tombée en panne devant l’embarcadère qui mène sur l’île de Lahou-Kpanda. Les premiers jours, j’étais en colère, tout en essayant de réparer cette voiture. Et puis, j’ai fini par accepter la situation et je suis monté dans un bateau. Je suis arrivé à Lahou, un soir vers 18h, c’était le coucher du soleil sur l’île. Les gens étaient allongés dans le sable, s’éclairaient à la bougie et il y avait des cocotiers partout. Le sable était fin, les gens chantaient et je me suis dit : « Waouh », c’est un paradis ! J’avais un sourire qui me grattait les oreilles…

J’ai dormi sur place et, le lendemain matin, je suis allé me présenter au chef du village qui m’a fait visiter l’île. Il m’a fait traverser le cimetière et je ne comprenais pas ce que je voyais : des hommes étaient en train de casser les tombes en plein jour. On m’a finalement expliqué. Le chef du village m’a emmené jusqu’au littoral et là, j’ai vu les pierres tombales qui étaient emportées dans le bas des vagues. J’ai alors compris que le paradis que j’avais espéré la veille n’existait plus. Cette chose innommable et inadmissible − devoir déterrer et enterrer de nouveau ses propres morts, faire un second deuil  −, il fallait que j’en témoigne dans film et donc je ne suis pas reparti. Je suis resté un peu moins d’un an avec tous les gens de l’île pour essayer de fabriquer ce film avec eux.

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Aya est présenté comme un docu-fiction. Le film a en effet quelque chose du documentaire qui est renforcé par cette présence très naturelle de Marie-Josée Degny Kokora qui incarne Aya. Comment laisse-t-on les gens vivre tout en les dirigeant, notamment sur un premier long métrage ?

C’est effectivement mon premier long métrage, où j’admets plus facilement la fiction. C’est avant tout un contrat d’honnêteté vis-à-vis de Marie-Josée et de sa maman. Dans mes films, il y a toujours un terrain documentaire. Dans Aya, tout est véridique : je n’ai pas écrit un scénario en Belgique pour aller l’appliquer en Côte d’Ivoire. Ce sont bien les histoires de ce village qui sont filmées. Cependant, Aya et Marie-Josée sont bien deux personnes différentes. Marie-Josée joue le rôle d’Aya et beaucoup plus encore. La fiction se situe dans le fait que le scénario est écrit à plusieurs mains. Un oncle, un voisin ou encore une grand-mère racontent une histoire et je souhaite la voir dans le film. Et la seule manière d’y parvenir est de la faire vivre à mon héroïne Aya qui devient alors la porte-parole de cette île. C’est comme cela que se tisse la fiction. J’ai travaillé avec des personnes qui viennent toutes du village et qui n’avaient jamais fait de cinéma, aussi bien les techniciens que ceux que j’ai filmés, et du coup ça demande beaucoup de patience. Nous nous sommes mutuellement éduqués. Moi, je les ai éduqués à la caméra et, eux m’ont éduqué à la manière d’intégrer cette caméra dans leur monde. C’est pour cela que le tournage dure presque un an alors que sur long-métrage traditionnel, cinq semaines de tournage suffisent largement.

Vous expliquez que le choix de Marie-Josée Degny Kokora relevait de l’évidence. Pourquoi ? 

Quand j’ai auditionné Marie-Josée, j’aimais bien sa posture, la façon dont elle s’exprimait : elle n’a pas été beaucoup à l’école et donc elle ne me vouvoyait pas. Humainement, j’aimais bien la personne. Marie-Josée m’a dit oui tout de suite quand je lui ai demandé si elle voulait faire un film avec moi. Mais je l’ai d’emblée prévenue qu’il fallait aussi l’avis de la caméra. Nous avons tourné une petite scène d’essai dans laquelle je lui demandais de disputer sa petite sœur, avec qui elle faisait des petits fagots dans la forêt, jusqu’à ce que cette dernière se mette à pleurer et parte en courant en larmes. Et Marie-Josée y est parvenue. J’aime bien raconter cette histoire, qui peut paraître cruelle, mais qui rend explicite une chose très importante : être acteur, c’est admettre que la caméra est au-dessus de tout. Marie-Josée l’a tout de suite compris, tout comme le fait d’être au service du personnage d’Aya. 

Et avec elle, c’est toute sa famille, notamment sa mère que vous avez également retenue. Comment avez-vous travaillé avec elles ? 

La mise en scène est très discrète et permet à Marie-Josée et à sa mère, quand c’est nécessaire, de se réfugier dans des actions concrètes, comme par exemple manger un poisson [une scène du film]. C’est aussi de l’improvisation dans leur langue [avikam] autour de thématiques que je leur ai proposées comme l’absence du père ou les problèmes d’argent… A ce moment-là, je ne sais pas ce qui se dit. Je dois leur faire confiance parce que je n’en sais rien tant que je n’ai pas la traduction de l’échange. 

Le monde autour d’Aya s’effondre mais elle donne l’impression que cela n’a aucune emprise sur elle. C’est d’ailleurs cette légèreté que lui reproche sa mère. Quelle est la fiche d’identité de ce personnage ?

J’avais envie d’un personnage têtu et j’ai rencontré une jeune fille qui l’était pour de vrai. Ce qui a renforcé mon envie de développer ce personnage qui croit dur comme fer que son destin n’est pas son destin, dans la veine de la tragédie. Je me suis aussi beaucoup nourri de la relation que cette fille a avec sa maman. Une fois qu’elles ont été auditionnées, 80% du film était fait. Cette mère qui s’inquiète pour sa fille et cette fille qui ne veut pas voir le problème, ça crée tout de suite de la tension et de la souffrance.

Votre film parle d’une île victime du réchauffement climatique. Cependant,  l’histoire de cette adolescente, qui est intimement liée à cet effondrement, éclipse très vite l’enjeu environnemental… 

En tant que cinéaste, ce qui m’intéresse dans cette histoire, c’est le destin des hommes. Pour moi, Aya est avant tout une histoire intime sur la fin de l’enfance. La disparition de cette île n’est que la métaphore de l’enfance qui s’en va sous les pieds d’Aya. C’est le film que j’ai voulu faire, mais cela ne veut pas dire que c’est le film que les gens voient. Tout est possible.

On a l’impression de voir un film bleu et rose quand on regarde Aya. Comment avez-vous travaillé la photo ?  

La photographie est faite entièrement en lumière naturelle et elle a donc ses limites en termes de couleur. Je savais que je voulais faire un film en deux chapitres, entre la naturalité de cette île et la superficialité d’Abidjan, la capitale économique. Le film a deux esthétiques totalement opposées. L’image est d’abord extrêmement douce, pastel, assez peu saturée et ensuite, les couleurs sont électriques : c’est du néon, du fluo… c’est plus dur. Le film est aussi bleu et rose parce qu’on a choisi un pagne pour Aya où il y a un motif, une sorte de fleur, bleu et rose. Les pagnes qu’elle porte sont en majorité dans ces tons-là.  


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