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« On a merdé, on a minimisé » : comment le gouvernement s’est retrouvé « en panne sèche » dans sa gestion de la crise des carburants

« Objectivement, on n’a pas été à la hauteur », peste un conseiller ministériel auprès de France Télévisions. La séquence sur le dossier de la pénurie de carburant a laissé des traces au sein du gouvernement d’Elisabeth Borne. Chacun se renvoie la responsabilité des erreurs commises pour gérer la crise. Alors que la grève a été reconduite dans six des huit raffineries de France, mercredi 12 octobre, le gouvernement a fini par réagir en ordonnant la réquisition du personnel indispensable au fonctionnement du dépôt ExxonMobil de Port-Jérôme, en Seine-Maritime.

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« Dans les prochains jours, là, vous allez avoir une amélioration très sensible », a promis mercredi le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, à l’issue du Conseil des ministres. Mais les tensions dans les files de voitures qui s’accumulent aux abords de certaines stations-service vont quand même mettre encore un peu de temps à se résorber. 

Fallait-il réagir plus vite pour éviter l’enlisement des derniers jours ? « Il faudrait que, dès le début, on décide de comment on règle un conflit social dans une entreprise ? », interroge Sacha Houlié, député de la majorité. « C’est un paradoxe que je trouve un peu gros. C’est aux salariés et à l’entreprise en question de trouver une solution, pas à l’Etat de se substituer à ce dialogue social. » En revanche, le gouvernement a pu dégainer la mobilisation des stocks stratégiques, puis l’arme de la réquisition.

Et là aussi, la majorité estime avoir respecté les étapes. « On a laissé la place au dialogue et comme ça n’a pas abouti, on agit. Si on avait fait ça plus tôt, on nous aurait reproché d’être brutal et jupitérien », tente de justifier François Patriat, chef de file des sénateurs de la majorité. Le gouvernement ne s’est d’ailleurs pas résolu à la solution des réquisitions de gaieté de cœur. « Je pense que le rôle de l’Etat n’est pas de s’immiscer systématiquement dans les négociations entre acteurs privés, et qu’il est tres regrettable (…) que l’Etat ait été contraint d’intervenir vigoureusement », ajoute un ministre.

Circulez, il n’y a donc rien à reprocher au gouvernement ? Pas tout à fait. La séquence a révélé de grosses lacunes en matière de communication. « C’est une crise de com’, parce qu’elle a été mal gérée », admet une conseillère en communication ministérielle. « On n’a eu aucune empathie. Il fallait être dans les stations-service au contact des Français. Tout le monde se planque », poursuit un autre conseiller, qui aurait aimé voir la mise en place d’une cellule de crise énergie à Matignon, « en mode Covid »

En pleine bataille à l’Assemblée sur le budget, ils sont plusieurs à reprocher aux ministres en charge du dossier d’avoir mis beaucoup trop de temps à réagir. « Ce n’est pas un retard à l’allumage, mais plus un diesel en panne sèche. La sobriété, ça ne peut pas marcher pour les réservoirs, constate un autre conseiller ministériel. On a laissé courir le truc un peu trop longtemps et maintenant on est à 30% de stations à sec. » 

« On ne retient pas les leçons. Dès que ça touche à l’essence, il faut se saisir du sujet à la seconde. »

Un conseiller ministériel

à franceinfo

Tous fustigent le rôle et la position inflexible de la CGT, mais regrettent dans le même temps une communication gouvernementale qui a réagi avec un train de retard. Le sujet monte pourtant dans l’actualité depuis le 5 octobre. Ce jour-là, Olivier Véran assure à la sortie du Conseil des ministres qu’il « n’y a pas de pénurie », mais des difficultés pour environ 12% des stations en France. « Quand il dit ça, il a à la fois tort et raison, car il n’y a pas de pénurie d’approvisionnement mais de distribution, commente un poids lourd de la majorité. Ensuite, c’est toujours facile de se dire après coup qu’on aurait pu dire les choses autrement. »

Olivier Véran a répété cette position vendredi 7 octobre et expliqué sur BFMTV qu’il n’était « pas nécessaire » de faire des provisions avec des jerricans. Pourtant, sur le terrain, la situation dérape. « On n’a pas pris la mesure. Les gens pètent un câble. Ça met le pays à cran », confie à France 2 un ministre. Ils n’ont « aucun capteur sur le terrain », fustige de son côté un autre poids lourd de l’opposition. 

« On a merdé, on a minimisé. Quand on dit aux Français qu’ils créent les pénuries, en se ruant sur les pompes… Le porte-parolat apparaît déconnecté », tacle une conseillère ministérielle. « C’est aux ministres en charge du dossier de s’exprimer, car ils gèrent les éléments de fond. Le porte-parole est là pour transmettre ces éléments au plus grand nombre en se déployant », rétorque-t-on du côté du cabinet d’Olivier Véran.

L’inaction de la ministre de la Transition énergétique est dans le viseur de plusieurs conseillers. Ils reprochent notamment à Agnès Pannier-Runacher, touchée par le Covid depuis dimanche, de ne pas avoir fait passer le message dans le week-end d’un gouvernement au volant pour éviter la sortie de route. « La réunion de crise de lundi à Matignon était pensée depuis deux jours. Pourtant, on en trouve aucune trace dans les journaux ce week-end », peste une conseillère.

Du côté du ministère de la Transition énergétique, on se défend vigoureusement. « Les mesures opérationnelles ont été prises très rapidement, comme la libération des stocks stratégiques de l’Etat. La ministre était en déplacement dans le Pas-de-Calais jeudi et vendredi, en réunion avec les préfets sur ces sujets, et devant la presse, elle a expliqué les mesures prises ». Testée positive samedi au Covid-19, Agnès Pannier-Runacher s’est ensuite isolée mais « elle agit » et « est en lien permanent avec les organisations syndicales et les dirigeants des deux entreprises », à savoir TotalEnergies et Esso-ExxonMobil. « Elle est celle qui s’est le plus exprimée », argue encore son entourage, citant notamment une interview à BFMTV dimanche et un entretien avec La Voix du Nord lundi. 

Un conseiller ministériel assure néanmoins avoir alerté les services de Matignon dès ce week-end des dérapages qui remontaient du terrain. La Première ministre, alors en déplacement en Algérie avec la moitié du gouvernement, a bien annoncé depuis Alger son intention de puiser dans les stocks stratégiques de carburant, mais n’a pas réellement calmé les esprits. « Nous suivons la situation depuis la semaine dernière de très près et nous avons décidé de convoquer une réunion au retour de la Première ministre d’Alger dès dimanche », se défend l’entourage de la cheffe du gouvernement.

Reste que l’image de l’exécutif peut s’en trouver affaiblie. « Borne a perdu six points dans les sondages [selon le tableau de bord Ifop-Fiducial pour Paris Match]. Si ça continue, on va avoir du Paic citron sur le toboggan. Elle va glisser très vite », s’inquiète un conseiller. Pour reprendre la main, le gouvernement compte désormais sur Emmanuel Macron, qui participe mercredi soir à la nouvelle émission politique de France 2. « A voir comment le président peut débunker tout ça ce [mercredi] soir, sachant qu’il voulait, j’imagine, se concentrer sur l’Ukraine », observe un conseiller. Le chef de l’Etat, comme son gouvernement, espère désormais clore le chapitre carburant au plus vite.


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