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Pénurie de carburant : quatre questions sur le rejet du recours de la CGT contre les réquisitions de personnel dans les raffineries

Gouvernement 1-syndicats 0. Le tribunal administratif de Rouen a rejeté, vendredi 14 octobre, un premier recours en référé pour contester les arrêtés préfectoraux de réquisitions de grévistes du dépôt de la raffinerie Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme-sur-Seine (Seine-Maritime). La CGT, initiatrice de cette requête, avait accusé l’Etat de porter atteinte au droit de grève en contraignant des salariés à retourner travailler. Pourquoi a-t-elle été déboutée ? Franceinfo vous explique.

1 Quel est le cadre légal des réquisitions de personnel ?

De telles réquisitions sont encadrées par l’article L2215-1 du Code des collectivités territoriales. Ce texte donne la possibilité au préfet, « en cas d’urgence », de « réquisitionner tout bien ou service » et de « requérir toute personne nécessaire » à son fonctionnement. Cette décision est conditionnée à une « atteinte (…) au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques ».

Une réquisition nécessite la publication d’un arrêté, dans lequel le préfet doit motiver sa décision et préciser « la nature des prestations requises ». Les noms des salariés jugés nécessaires au fonctionnement d’une raffinerie doivent figurer dans le document. Une fois édictée, la réquisition peut être exécutée avec le recours aux forces de l’ordre. Selon la durée définie dans l’arrêté, elle peut s’étendre jusqu’à la fin de l’atteinte à l’ordre public.

2 Comment l’Etat justifie-t-il ces réquisitions ?

La préfecture de la Seine-Maritime a estimé, mercredi, que la grève sur le site de Port-Jérôme-sur-Seine générait des « troubles à l’ordre public », parmi lesquels des « tensions entre automobilistes » et de « longues files d’attente » pouvant déborder sur la bande d’arrêt d’urgence. Elle a également fait état de « dysfonctionnements des services publics, incluant les services prioritaires de secours ». Des éléments suffisants, selon elle, pour réquisitionner « deux personnels chargés de l’activité de pompage du site » et ainsi « faire cesser des troubles à l’ordre public ».

Dans le Nord, la préfecture a, elle aussi, pris un arrêté de réquisition du personnel du dépôt TotalEnergies de Dunkerque, jeudi. Elle y souligne que la grève a entraîné des files d’attente pouvant atteindre 2 km, créant des dangers pour la circulation routière et des frictions entre automobilistes. « Avec le temps, la pénurie fragilise les personnes vulnérables », ajoute-t-elle, faisant valoir que ces réquisitions, « très ciblées », permettent d’assurer à la fois « dialogue social et responsabilité ».

3 Pourquoi la CGT conteste-t-elle ces mesures ?

Dans sa requête déposée à Rouen, le syndicat soutient que la réquisition décidée à Port-Jérôme-sur-Seine « porte indiscutablement une atteinte grave à la liberté fondamentale que constitue l’exercice du droit de grève », d’où, selon lui, une « urgence à suspendre » l’arrêté préfectoral. 

Mercredi, la CGT avait même jugé « illégale » la procédure de réquisition annoncée par le gouvernement. S’appuyant sur une « condamnation » de la France par l’Organisation internationale du travail (OIT) en 2011, elle affirmait qu’une telle mesure « ne doit concerner que les activités essentielles (véhicules sanitaires, de secours, de sécurité, etc.) ». Réquisitionner ne serait donc pas « nécessaire », d’autant que l’Etat pourrait puiser davantage dans ses « stocks d’essence ‘stratégiques' ». « L’OIT avait déclaré que c’était une atteinte au droit de grève », a affirmé cette semaine Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, sur France Inter.

Dans les faits, une telle condamnation de la France par l’OIT n’a jamais été prononcée. Dans son rapport (en PDF), cette agence de l’ONU a seulement demandé au gouvernement français, sans valeur contraignante, d’associer les partenaires sociaux à toute « imposition d’un service minimum de fonctionnement ». A l’époque, le gouvernement avait « pris note » et s’était dit prêt à suivre cette recommandation « dans la mesure du possible ».

4 Sur quelles bases la justice a-t-elle tranché ?

Dans sa décision de rejet du référé de la CGT, le tribunal administratif de Rouen a considéré que les réquisitions présentaient « un caractère nécessaire pour prévenir les risques d’atteinte à l’ordre public », du fait de « la durée des défaillances d’approvisionnement causées par la grève »

Ce n’est pas la première fois qu’un tribunal se prononce à ce sujet. A la suite de réquisitions d’employés de raffineries en 2010, le tribunal administratif de Melun (Seine-et-Marne) avait suspendu un arrêté préfectoral qui portait une « atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève », rappelle Le Monde. Il était reproché au préfet d’avoir réquisitionné 170 salariés d’un site, soit presque l’ensemble des effectifs, instaurant, de fait, un « service normal », et non un service minimum. Dans la foulée, le Conseil d’Etat avait confirmé la nécessité de s’en tenir seulement aux « équipes nécessaires » au maintien de l’ordre public.

A l’inverse, toujours en 2010, le tribunal administratif de Nantes avait rejeté un recours portant sur un dépôt pétrolier de Loire-Atlantique. « Le préfet de Loire-Atlantique n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de grève », avait considéré le juge, dans sa décision (en PDF). Le dispositif mis en place, avec quatre salariés réquisitionnés, n’était pas de nature à « assurer le fonctionnement normal du dépôt » mais seulement à « éviter des conséquences graves dans l’approvisionnement énergétique du pays ». D’où le souci du gouvernement, ces derniers jours, de ne réquisitionner des salariés qu’au compte-gouttes.


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