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VRAI OU FAKE. Affaire Adrien Quatennens : un député peut-il être exclu de l’Assemblée nationale ?

Adrien Quatennens doit-il être exclu de l’Assemblée nationale ? La question fait débat, y compris au sein même de La France insoumise. Le député LFI du Nord n’a plus siégé dans l’hémicycle depuis qu’il s’est mis en retrait de la coordination du mouvement, mi-septembre, après avoir reconnu des faits de violences conjugales contre son épouse, qui a depuis déposé plainte contre lui.

« Je ne crois pas que sa place soit dans l’hémicycle », a lâché la présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée, Aurore Bergé, le 20 septembre sur BFMTV, ajoutant : « Je ne suis pas certaine qu’il soit le bienvenu au regard des faits qui lui sont reprochés. » Et la patronne des députés de la majorité présidentielle de renchérir, le 9 octobre, toujours sur BFMTV « L’immunité parlementaire ne doit servir qu’à protéger ce qu’il se passe dans l’enceinte de l’hémicycle. » La députée des Yvelines s’est également étonnée que le groupe LFI n’ait pas déjà exclu l’élu au cœur de la controverse. Mais est-il vraiment possible d’exclure un député de l’Assemblée nationale 

« L’Assemblée, à elle seule, n’a aucun moyen de priver un de ses membres de son mandat », rappelle à franceinfo Didier Maus, président émérite de l’Association française de droit constitutionnel et ancien conseiller d’Etat. Le règlement de l’Assemblée nationale prévoit bien dans son article 71 une liste de sanctions internes pouvant aller jusqu’à l’exclusion temporaire d’un parlementaire. Mais il s’agit seulement de « mesures disciplinaires », prononcées pour permettre le bon déroulement des débats, explique le constitutionnaliste.

« Le président et le bureau de l’Assemblée nationale », chargé de superviser le fonctionnement de la chambre, peuvent dispenser des sanctions « pensées pour gérer des incidents de séance, comme des députés qui chantent, se battent, etc. », confirme Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris II Panthéon-Assas. Dans le cas de la sanction la plus sévère, définie dans l’article 73 du règlement de l’Assemblée nationale, un député peut se voir privé d’hémicycle pour une durée ne pouvant excéder 30 jours de séance. 

Un député peut en revanche être expulsé de son groupe parlementaire, en cas de désaccord profond avec la ligne politique prônée par ce dernier. En 2020, l’ex-députée Martine Wonner a ainsi été exclue du groupe LREM en raison de ses prises de position contre la stratégie de confinement, puis, en 2021, du groupe Libertés et territoires, pour son opposition au pass sanitaire. Mais même dans ce cas de figure, le député exclu de son groupe peut continuer à siéger dans l’hémicycle jusqu’à la fin de son mandat, parmi les députés non inscrits, c’est-à-dire sans être apparenté à un groupe parlementaire.

« La seule possibilité pour qu’un député perde son mandat serait que ce dernier soit condamné à une peine importante, et qu’ensuite le Conseil constitutionnel estime que cette peine soit incompatible » avec l’exercice de ses fonctions, juge Didier Maus. En 2021, le ministre de la Justice avait saisi le Conseil constitutionnel en lui demandant de déchoir Mustapha Laabid de sa qualité de député. Cette demande de déchéance était motivée par la condamnation de l’élu pour abus de confiance. Le député LREM avait écopé de huit mois de prison avec sursis, 10 000 euros d’amende et trois ans d’interdiction de droits civiques. Une peine confirmée en cassation. Cette requête de déchéance de mandat avait toutefois été abandonnée, l’intéressé ayant lui-même démissionné« Dans ce cas, il ne s’agit pas d’une exclusion prononcée par l’Assemblée, mais de la conséquence d’une condamnation judiciaire », précise l’ancien conseiller d’Etat. Déchoir un député de son mandat est donc un acte rarissime. 

« Aucune exclusion définitive n’a été prononcée durant toute la 5e République. »

Benjamin Morel, maître de conférences en droit public

à franceinfo

Un député est en effet protégé par le régime de l’immunité parlementaire. Il peut évidemment être poursuivi judiciairement et condamné, explique le site de l’Assemblée, mais il ne peut subir de mesures privatives de liberté durant la durée de son mandat sans l’assentiment du bureau de l’Assemblée nationale, sauf en cas de crime ou délit flagrant, ou de condamnation définitive

Une telle protection n’a pas pour vocation d’accorder une impunité pour leurs actes aux parlementaires, mais de « protéger » l’exercice de la « fonction » de député, commente Benjamin Morel. « L’immunité parlementaire a été promulguée pour protéger les parlementaires de l’exécutif, qui pourrait se servir du pouvoir judiciaire pour expulser des députés et construire une majorité à sa botte », justifie le maître de conférences. Mais, même dans une situation où une incarcération serait tout de même autorisée, « le bureau de l’Assemblée nationale se réserve toujours la possibilité de demander la libération du parlementaire pour qu’il participe aux sessions », précise le constitutionnaliste. 

En résumé, pour se voir interdit d’Assemblée, un député doit être condamné, ne pas faire l’objet d’une demande de libération de la part du bureau de l’Assemblée nationale et, enfin, se voir déchu de son mandat par le Conseil constitutionnel. « On n’en est pas là pour Adrien Quatennens, a priori », tranche Benjamin Morel, car « rien dans ce qui a été évoqué pour l’instant [dans son affaire] ne devrait conduire à son incarcération ». Une exclusion du député est donc pour le moment « fondamentalement impossible en droit », conclut le spécialiste.

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