A la Une

« Hallelujah » de Leonard Cohen : un documentaire revient sur l’incroyable destin de cette chanson devenue universelle

Un documentaire entier pour raconter l’histoire d’une chanson ? Le pari semble osé. Sauf qu’il s’agit d’Hallelujah, un hymne complexe au destin hors norme dont le récit est l’occasion pour les réalisateurs Dan Geller et Dayna Goldfine de se pencher en parallèle sur la personnalité de son auteur, le poète et chanteur canadien Leonard Cohen, disparu en 2016 à 82 ans.

Hallelujah, tout le monde ou presque la connaît, même sans le savoir. Popularisée en 1994 dans une version angélique par Jeff Buckley, au point que beaucoup pensent qu’elle est de lui, cette chanson, reprise aujourd’hui dans les mariages et les télé-crochets du monde entier, a connu une trajectoire tortueuse qui valait d’être contée. Car avant de devenir une des chansons phare de Leonard Cohen, elle fut longtemps boudée, ignorée et faillit même ne jamais voir le jour.

Beau ténébreux à la réputation de séducteur, Leonard Cohen est d’abord poète et romancier et c’est sur le tard, à la trentaine, qu’il passe à la chanson. Il se fait alors une place à part pour sa belle voix grave et sa façon poétique personnelle, mélancolique et détachée, de questionner la nature humaine et les mystères de la vie dans ses paroles. Mais à l’époque où il commence à travailler sur Hallelujah, il vient d’aborder la cinquantaine et sa carrière patine.

Véritable prière moderne, Hallelujah mêle le profane et le sacré, le charnel et le spirituel, l’intime et l’universel, marque de fabrique de son auteur. Fourmillante de métaphores, elle est aussi lumineuse que cryptée : Cohen y explore son rapport compliqué avec Dieu, mais aussi les méandres de l’amour, conjuguant dans un même souffle les références érotiques et bibliques, de sorte qu’elle est ouverte à l’interprétation de chacun. « Il y a un Hallelujah religieux mais il y en a bien d’autres« , soulignait Leonard Cohen. « Quand on regarde le monde, il n’y a qu’une chose à dire et c’est Hallelujah!« 

Composée (surprise !) sur un petit clavier Casio, cette pépite lui a donné du fil à retordre : Leonard Cohen a mis sept ans à finaliser ce chef d’oeuvre, multipliant les versions et écrivant durant le processus quelque 180 couplets au total couchés d’une écriture serrée sur des dizaines de carnets que l’on aperçoit dans le film.

Au milieu des neuf titres de l’album Various Positions, elle passe pourtant inaperçue au départ. D’abord parce que ce disque réalisé en compagnie du compositeur et producteur John Lissauer, présent dans le film, est refusé au dernier moment par la maison de disques Columbia, au motif qu’il n’est pas assez commercial. Ce refus affectera beaucoup le chanteur et l’album sortira finalement de façon confidentielle en 1984, en Europe et sur un label indépendant.

Heureusement, la chanson ne tombe pas totalement aux oubliettes. John Cale (Velvet Underground) est le premier à attirer l’attention sur elle en 1991 en la reprenant dans une magnifique version nue, seul au piano, sur une compilation hommage à Leonard Cohen à l’initiative des Inrockuptibles (I’m Your Fan), et ce quelques années avant Jeff Buckley. Bob Dylan l’interprète aussi sur scène dès la fin des années 80. Mais contre toute attente c’est un dessin animé, Shrek, qui va faire exploser sa notoriété de façon stratosphérique en 2001, adaptée par Rufus Wainwright pour la B.O., qui s’écoulera à 2,5 millions d’exemplaires dans le monde, bien entendu expurgée des allusions sexuelles.

Depuis Shrek, Hallelujah est devenue bien plus qu’une chanson, c’est un phénomène international repris, pour le meilleur comme pour le pire, par quantité d’artistes, de Bono à Bon Jovi et Andrea Bocelli, par les amateurs de karaoké et par des dizaines de candidats de télé crochets, chanté aux mariages, aux enterrements, et en toutes occasions. Dans le documentaire, on voit un Leonard Cohen ravi des premières reprises, soulignant « l’ironie » de tout cela et pas mécontent de tenir enfin « sa revanche« . « Disons que j’ai obtenu ma petite vengeance. Bien sûr, je suis ravi que ma chanson ait été reprise. Mais ça serait bien que les gens arrêtent de la chanter un moment.« 

Ces séquences d’entretiens avec Leonard Cohen sont les plus réjouissantes du film avec les extraits de concerts bouleversants donnés par le ménestrel dans la dernière décennie de son existence, qui le montrent en pleine forme, élégant et l’œil rieur.

Les témoignages du producteur et compositeur John Lissauer et de la photographe française Dominique Issermann, compagne de Leonard Cohen au moment de l’écriture d’Hallelujah sont éclairants, tout autant que les analyses de certains de ses amis, d’un rabbin et du journaliste de Rolling Stone Larry « Ratso » Sloman qui a interviewé Cohen à de nombreuses reprises. D’autres intervenants, questionnés parfois uniquement pour avoir repris Hallelujah, sont moins intéressants, alourdissant inutilement le dernier tiers de ce documentaire long de deux heures. On aurait juste aimé alors avoir plus de Cohen et moins de blabla.

L'afiche de "Hallelujah, Les mots de Leonard Cohen", un documentaire de Dan Geller et Dayna Goldfine. (THE JOKERS THE BOOKMAKERS)

L'afiche de "Hallelujah, Les mots de Leonard Cohen", un documentaire de Dan Geller et Dayna Goldfine. (THE JOKERS THE BOOKMAKERS)

Genre : documentaire
Réalisatrice et réalisateur : Dayna Goldfine et Daniel Geller
Avec : Leonard Cohen, Bob Dylan, Jeff Buckley…
Pays : Angleterre Durée : 1h58
Sortie : 19 octobre 2022
Distributeur : The Jokers / Les Bookmakers
Synopsis : Il a créé une des chansons les plus mythiques de l’histoire. À la fin des années 60, Leonard Cohen signe, comme Bob Dylan, chez Columbia, et devient une légende. Mais sa carrière prendra un tournant inattendu. Découvrez l’histoire qui l’amènera à se reconstruire et à s’affirmer comme l’un des artistes les plus importants de notre époque. Une inoubliable balade à travers la chanson qui a marqué nos vies.


Continuer à lire sur le site France Info