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« EO » de Jerzy Skolimowski, un grand choc esthétique et émotionnel, prix du jury au Festival de Cannes

Immense réalisateur polonais, plusieurs fois primé à Cannes et à Venise, Jerzy Skolimowski sort à 84 ans EO (Hi Han en polonais), l’histoire tragique d’un âne. En salles mercredi 19 octobre, le film actualise dans une version nouvelle Au Hasard Balthazar (1966) de Robert Bresson qui avait ému aux larmes le cinéaste dans sa jeunesse : sublime.

« EO » est un âne qui fait un numéro de cirque en Pologne avec sa maîtresse adorée. Des manifestants de la cause animale le libèrent suite à un arrêté municipal et les autorités le mettent à disposition de particuliers et d’associations. Il s’échappe et traverse le pays jusqu’à l’Italie pour retrouver sa protectrice. Son périple le met au contact de personnes bienveillantes ou hostiles : le monde est vu à travers les yeux mélancoliques d’un animal sensible et incompris.

Loin de l’ascétisme bressonien, la mise en scène de Skolimowski est d’une audace visuelle et émotionnelle qui prend aux tripes et fend le coeur. Une audace dont de plus jeunes réalisateurs feraient bien de s’inspirer. A partir du très beau générique, les yeux ne quitteront plus l’écran, fascinés, hypnotisés par la beauté graphique des images. Préférant laisser parler les images plutôt que les mots (il y a très peu de dialogues), Jerzy Skolimowski renoue avec l’essence du cinéma. A la limite de l’expérimental, il n’est pourtant pas déconnecté du public, qui s’identifiera à cet âne embarqué dans une aventure où s’expriment les contradictions d’une humanité en perte de sens.

Le trauma originel – l’enlèvement de l’âne à sa maîtresse – dénonce le gouffre qui peut séparer les motivations bienveillantes des militants de la cause animale, du vécu incompris de l’âne. C’est la première des contradictions humaines auxquelles Skolimowski confronte son âne candide. Il en connaîtra bien d’autres dans son périple infernal pavé de bonnes intentions, comme de moins bonnes…

Le propos et le récit rappellent le pamphlet philosophique de Voltaire, Candide, sur un mode picaresque, alors que la forme est d’une inventivité visuelle étonnante, très contemporaine. Des images inédites habitent ce film OVNI, où la surprise et la beauté sont dans chaque plan, sur une bande-son et une musique magnifiques (le compositeur Paweł Mykietyn a remporté le prix Cannes Soundtrack de la musique de films). Le braiment de cet âne en butte à un monde déboussolé est déchirant. Le plus beau film projeté à Cannes cette année, qui aurait non seulement mérité la Palme, mais aussi la reconnaissance d’un des plus grands cinéastes vivants.

L'affiche de "Eo (Hi-Han)" de Jerzy Kolimowski (2022). (HANWAY FILMS)

L'affiche de "Eo (Hi-Han)" de Jerzy Kolimowski (2022). (HANWAY FILMS)

Genre : Drame
Réalisateur : Jerzy Skolimowski
Acteurs : Sandra Drzymalska, Isabelle Huppert, Lorenzo Zurzolo
Pays : Pologne / Italie
Durée : 1h26
Sortie : 19 octobre 2022
Distributeur : ARP Sélection

Synopsis : Le monde est un lieu mystérieux, surtout vu à travers les yeux d’un animal. Sur son chemin, EO, un âne gris aux yeux mélancoliques, rencontre des gens bien et d’autres mauvais, fait l’expérience de la joie et de la peine, et la roue de la fortune transforme tour à tour sa chance en désastre et son désespoir en bonheur inattendu. Mais jamais, à aucun instant, il ne perd son innocence.


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