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« Le compromis, c’est une obligation » : les amendements au budget, véritable casse-tête pour le gouvernement avant un inévitable recours au 49.3

« On regardera quels sont les amendements qui seront repris dans le texte final et ceux qui ne le sont pas. » Il est 20 heures passées, dimanche 16 octobre. Elisabeth Borne est envoyée sur le plateau de TF1 pour déminer la grogne sociale qui monte, sur fond de pénurie de carburant. Au passage, la Première ministre n’échappe pas aux questions sur l’autre dossier chaud du gouvernement : l’examen du budget à l’Assemblée nationale et la fameuse question des amendements.

L’issue est connue de tous. Le 49.3, cet outil constitutionnel qui permet au gouvernement de passer en force, va être dégainé. « On n’a pas d’autre choix que de l’utiliser à partir du moment où les oppositions disent qu’elles voteront contre [le budget 2023]« , résumait il y a quelques jours sur franceinfo Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance. « La question à se poser, ce n’est pas ‘si’, mais ‘quand' », poursuivait-elle.

Selon les informations de franceinfo, Elisabeth Borne montera au perchoir du Palais-Bourbon mercredi 19 octobre, dernier jour de l’examen de la première partie du projet de loi de finances (PLF). Les règles sont claires : la cheffe du gouvernement a le loisir de faire adopter le texte qu’elle souhaite et de retenir ou non les amendements votés par les députés.

« Au total, ce sont entre 80 et 100 amendements qui vont être retenus, ce qui représente entre 700 à 800 millions d’euros » de dépenses publiques supplémentaires dans le budget 2023, précise une source au sein de la majorité. Mais, en période de majorité relative, « ce n’est plus comme avant », résume un conseiller de la macronie. Le gouvernement est attendu au tournant sur la nouvelle méthode du compromis qu’il a tant vantée. « Le compromis, ce n’est pas un vain mot, c’est une obligation », ajoute ce même conseiller.

Du côté de l’exécutif, on assure que le message a été reçu cinq sur cinq. « On ne peut pas aller au bout des 70 heures de débats pour jouer le dialogue et ne rien retenir », glisse un ministre à France Télévisions. « On tiendra bien évidemment compte du travail parlementaire, c’est absolument clé et au cœur de ce que l’on souhaite faire », a également promis lundi sur Public Sénat Franck Riester, le ministre des Relations avec le Parlement. Concrètement, son entourage précise qu’il est « hors de question de représenter le texte initial ». « C’était un présupposé de départ », appuie-t-on encore.

« La philosophie, c’est évidemment de garder le plus d’amendements possible. »

L’entourage de Franck Riester, ministre des Relations avec le Parlement

à franceinfo

Le texte sorti des fourneaux de Bercy ne sera donc pas celui dégainé par Elisabeth Borne. Reste à savoir quels seront les amendements retenus à l’issue des travaux parlementaires. Deux réunions ont déjà eu lieu jeudi dernier et lundi pour se pencher sur ce point crucial. Autour de la table, notamment : les ministres en charge du PLF, Bruno Le Maire (Economie et Finances) et Gabriel Attal (Comptes publics) ainsi que Franck Riester, les présidents des groupes parlementaires de la majorité ou le rapporteur général du budget, Jean-René Cazeneuve. Les oppositions ont également été approchées, comme l’a révélé dans l’hémicycle Boris Vallaud. « Je fais partie des présidents de groupe qui ont été sollicités par le cabinet de la Première ministre pour savoir quels amendements nous souhaiterions sauver », a expliqué le patron des socialistes à l’Assemblée. Le député des Landes a fermé la porte à la cheffe du gouvernement. 

« Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l’avenir d’amendements qui ont été souverainement votés par une majorité de cette assemblée. »

Boris Vallaud, président du groupe PS

à l’Assemblée nationale

A défaut d’avoir un retour de toutes les oppositions sur le sujet – certaines n’ont d’ailleurs pas été sollicitées, comme l’a fait savoir Marine Le Pen –, le gouvernement fait le tri en fonction de sa « boussole », dixit Franck Riester sur Public Sénat, à savoir « la maîtrise des dépenses publiques ». « On veut rester dans les 5% de prévision de déficit pour 2023 », a martelé le ministre. « La contrainte est réelle. Ce n’est pas théorique la règle des 5%, c’est la ligne rouge », appuie un député de l’aile droite de la majorité.

Le gardien de l’orthodoxie budgétaire est connu, en la personne de Bruno Le Maire. « Si on gardait tous les amendements, il y aurait 8 milliards de dépenses en plus », a mis en garde le ministre sur BFMTV, lundi.  Résultat : les plus coûteux, votés contre l’avis du gouvernement, mais aussi les plus symboliques, ne seront pas retenus. L' »exit-tax », l’amendement des Républicains qui vise l’exil fiscal des entrepreneurs, ne devrait pas être sauvée.

Le conditionnel n’est même pas de mise pour l’amendement sur les « superdividendes », pourtant déposé par Jean-Paul Mattei, le patron des députés MoDem. « Celui-là, nous ne le garderons pas », a d’emblée annoncé Bruno Le Maire, le jugeant « profondément injuste », car pénalisant les entreprises françaises et pas étrangères. Pour ne pas perdre la face, le ministre de l’Economie aurait d’ailleurs mis sa démission dans la balance lundi, selon une source au sein de la majorité, confirmant une information du Parisien.

Le choix du locataire de Bercy de ne pas conserver dans le texte final cet amendement pourtant voté par 19 députés Renaissance, dont le suppléant d’Elisabeth Borne, a mis le feu aux poudres au sein de la majorité. « Je trouve que ce n’est pas bien du tout. Surtout quand le gouvernement nous parle de coconstruction », gronde Philippe Vigier, député MoDem d’Eure-et-Loire. Sa collègue de Gironde, Sophie Mette, s’étonne également de « la radicalité du gouvernement » dans cette prise de décision. Mais elle préfère attendre la fin des débats, mercredi, pour se prononcer : « Elisabeth Borne a dit qu’elle voulait continuer à échanger avec les groupes parlementaires, donc attendons de voir. » Certains députés Renaissance favorables à la taxation des « superdividendes » sont également vent debout. Ils regrettent le signal envoyé par le gouvernement et assurent que leur position sur cet amendement est « saluée localement » dans leurs circonscriptions.

« Personnellement, je trouve que ce n’est pas un bon signe qui est envoyé à nos partenaires du MoDem, et encore moins aux Français. »

Un député Renaissance

à franceinfo

La plupart des députés récalcitrants ont fini par rentrer dans le rang afin de ne pas ajouter de la division à la division. Le patron des centristes à l’Assemblée nationale, Jean-Paul Mattei, a bien essayé de défendre son amendement lundi, lors d’une réunion avec les autres présidents des groupes de la majorité à Matignon. Mais sans trop y croire non plus. « On peut le retravailler », a-t-il assuré à l’AFP pour essayer de convaincre le gouvernement de conserver son texte. Fin de non recevoir d’Elisabeth Borne. « Ces distributions exceptionnelles ne sont pas judicieuses dans la période (…) On ne résout pas les soucis seul dans son coin. Pas de prime aux échappées solitaires », a-t-elle expliqué mardi aux parlementaires du groupe Renaissance.

Au sein de la majorité, on relativise cet épisode. « Les désaccords politiques, ça fait partie de la vie ! Il faut qu’on reste unis, car on ne veut pas non plus faire le lit de monsieur Mélenchon et ses 29 000 manifestants !« , confie Philippe Vigier, en référence à la marche contre la vie chère qui s’est tenue dimanche à l’appel de la Nupes.

Parmi les autres amendements rejetés, on retrouve tous ceux émanant du Rassemblement national et de La France insoumise. « On a fixé une ligne qui exclut la possibilité d’inclure des amendements portés par les extrêmes », confirme une source de sein de la majorité. Un tri que regrette évidemment Philippe Ballard, député RN de l’Oise. « Le gouvernement n’a qu’un mot à la bouche : le compromis. Mais quand on arrive dans le concret, il n’y a plus personne », s’emporte l’ancien journaliste.

« Parfois, je me demande si je ne préfèrerais pas rentrer chez moi. On bosse comme des malades jusqu’à 3 heures du matin, on dépose des amendements et tout part à la poubelle. »

Philippe Ballard, député RN de l’Oise

à franceinfo

Du côté de la Nupes, et plus précisément du groupe socialiste, l’heure est également à la désolation. « Si aucun amendement voté contre l’avis du gouvernement n’est retenu dans le texte final, c’est vraiment mettre de l’huile sur le feu », râle Christine Pirès-Beaune, députée PS du Puy-de-Dôme. Son amendement permettant la mise en place d’un crédit d’impôts à hauteur de 675 millions d’euros pour les résidents en Ehpad, adopté contre l’avis de l’exécutif, ne sera en effet pas conservé. « Ce n’est pas une idée idiote mais ça coûte trop cher », confirme un cadre de la majorité.

L’exécutif envisage tout de même de faire un geste envers les oppositions en retenant donc plusieurs dizaines d’amendements sur les 3 000 déposés au total, toutes tendances politiques confondues. C’est le cas de l’amendement porté par le groupe communiste sur le rétablissement de la demi-part des veuves d’anciens combattants ou encore le maintien de la TVA à 5,5% sur les masques chirurgicaux, défendue par le Parti socialiste et la députée Valérie Rabault.

Les Républicains s’en sortent également plutôt bien. Plusieurs de leurs amendements devraient être repêchés : l’augmentation à 13 euros du montant du prix des titres-restaurant, portée par le député LR Marc Le Fur et votée là encore contre l’avis du gouvernement ; l’exemption de malus écologique pour les véhicules de pompiers volontaires ; l’allègement de « la taxe essieux » s’appliquant aux poids lourds et aux engins agricoles. Mais il faudra attendre le verdict d’Elisabeth Borne au perchoir pour que tout le monde soit fixé sur ce que contient réellement le texte final du budget 2023.


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