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Europe : pourquoi Olaf Scholz fait passer l’Allemagne en premier, au grand dam des européens

L’Allemagne a-t-elle décidé de faire cavalier seul en Europe ? La question trotte dans la tête des partenaires européens du pays le plus peuplé de l’Union européenne. Il faut dire qu’entre un refroidissement des relations franco-allemandes, un plan de soutien de 200 milliards d’euros à l’économie du pays, présenté sans avertissement, et un désaccord sur la réponse à apporter à la crise énergétique, les dissensions s’empilent depuis des mois. Le temps presse, pourtant, alors que l’inflation galope et que les prix de l’énergie poursuivent leur envolée en Europe.

Que se passe-t-il outre-Rhin ? Une partie de la réponse est à chercher du côté d’un homme, le chancelier Olaf Scholz, arrivé au pouvoir il y a un an. Le social-démocrate de 64 ans, plus occupé à gérer les querelles internes de sa coalition au pouvoir (qui réunit les sociaux-démocrates, les écologistes et les libéraux), a semblé se détourner des problématiques européennes au fil des derniers mois.

Pour comprendre les choix politiques du chancelier allemand, il faut d’abord s’intéresser à sa personnalité. Un « brin falot mais pragmatique », comme l’écrivait Libération, Olaf Scholz est ancré au centre-gauche. « Il a ce cliché de l’Allemand du Nord, très discret, qui lui colle à la peau », souligne Jacob Ross, chercheur au Conseil allemand des relations internationales (DGAP). « Il a gagné une élection qu’il n’avait pas du tout dominée, où il est resté au second plan. C’est une stratégie qui a marché et qu’il a gardée une fois à la chancellerie.«  Pour preuve, la rareté de ses prises de parole en Allemagne, « qui lui sont souvent reprochées », complète ce spécialiste des relations franco-allemandes. 

Discret, l’ancien maire de Hambourg est pourtant un homme politique aguerri. « Il est très conscient des mécanismes politiques et sait gérer son influence, mais ça n’est pas perceptible de l’extérieur », précise Eileen Keller, chercheuse à l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg (DFI). Et si l’Allemagne a semblé absente des grands rendez-vous, c’est parce que la politique allemande accapare le chancelier. « Il doit gérer un gouvernement avec trois partis qui ne s’entendent pas sur tout, c’est une situation singulière », explique Eileen Keller.

Surtout, l’organisation du système politique allemand ralentit l’action du chef de gouvernement. « Alors qu’en France, le président est tout-puissant sur les affaires étrangères, le chancelier allemand doit travailler avec le Bundestag [la chambre des députés allemands], qui doit être consulté sur les questions européennes, et négocier avec sa coalition », détaille Jacob Ross. Pas facile, dès lors, de réagir rapidement à des événements inattendus, comme la guerre en Ukraine ou l’envolée des prix du gaz.

« Il faut quand même bien voir que l’Allemagne est en train de vivre une remise en cause de son modèle énergétique, économique et de défense », décrypte Marie Krpata, chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa). Face à la guerre en Ukraine, le gouvernement allemand a été obligé de revoir sa dépendance au gaz russe, de voler au secours de son économie et d’investir massivement dans son armée (100 milliards d’euros). Des transformations radicales pour un pays habitué aux choix politiques prudents.

Les crises qui traversent l’Europe ont même poussé le chancelier, habitué au consensus, à prendre des décisions de façon unilatérale. « Il a par exemple pris seul la décision de prolonger la vie des trois dernières centrales nucléaires du pays« , souligne Eileen Keller. Mais ses choix ne sont pas toujours bien perçus. « Il voulait laisser une entreprise chinoise racheter le port de Hambourg, contre l’avis du gouvernement et des services secrets », rappelle-t-elle. Après une polémique intense, la société chinoise Cosco n’a finalement été autorisée qu’à prendre 25% des parts qu’elle visait et ne sera donc pas majoritaire, comme le rapporte Le Figaro.

Olaf Scholz a en revanche trainé les pieds pour trancher certaines questions européennes. De là à y voir un désintérêt vis-à-vis de la politique de l’UE ? « C’est dur à imaginer, tant il connaît bien ces sujets », tempère Marie Krpata, qui rappelle que l’ancien ministre des Finances « a eu affaire à Bruno Le Maire et a travaillé sur le plan de relance européen post Covid-19« . « Il connaît très bien ces sujets, abonde Jacob Ross. Il faut se rappeler que le contrat de gouvernement est très pro-européen. »

Alors, faut-il voir, dans l’action du gouvernement allemand, une volonté de faire passer « l’Allemagne en premier », comme l’affirmait Politico (en anglais) ? Une partie de la réponse se trouve dans la violence de la crise qui secoue le pays.

« Il n’y a pas de désamour pour l’Europe, mais une situation de crise du pouvoir d’achat, avec une inflation qui s’approche des 10% [seuil qui a même été franchi outre-Rhin en octobre]. Le plan à 200 milliards d’euros répond aux problèmes concrets de la population, c’est normal qu’il y pense en premier lieu. »

Jacob Ross, chercheur au Conseil allemand des relations internationales

à franceinfo

Réveillée par la guerre en Ukraine, l’Allemagne a dû réinventer sa stratégie géopolitique, basée sur le changement par le commerce. « Il y a eu une forme de maladresse sur ce sujet, où l’Allemagne se sent suffisamment forte pour décider toute seule », concède Eileen Keller. 

Le rafraîchissement des relations entre la France et l’Allemagne peut d’ailleurs s’interpréter à la hauteur des priorités d’Olaf Scholz pour l’Europe. Le chancelier allemand avait exprimé sa vision pour le futur de l’UE à Prague (République tchèque) le 29 août, comme le rappelle Le Grand continent. « L’intervention n’était pas coordonnée avec la France, qu’il n’a même pas mentionnée », se rappelle Jacob Ross.

« Le message de son discours portrait sur l’importance d’élargir l’Europe, ajoute Eileen Keller. Et dans une Europe qui se déplace vers l’Est, la relation franco-allemande n’a plus le même rôle. » Des priorités qui amenaient l’historien Jacques-Pierre Gougeon à conclure dans Le Monde que l’Allemagne « relativisait sa relation avec la France »Conséquence : « La relation franco-allemande est à la recherche d’un nouveau motif pour exister », analyse Jacob Ross. « Pour les jeunes, le concept de réconciliation qui a fondé ces relations est très abstrait », ajoute le spécialiste, même si, comme l’explique Eileen Keller, « certains domaines de coopération comme le jumelage fonctionnent toujours très bien ».

Reste que, pour nombre d’acteurs politiques européens, le moteur franco-allemand est toujours essentiel. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a par exemple affirmé sur France Inter le 24 octobre que « la relation entre la France et l’Allemagne est très importante pour l’Union européenne ». Le manque de coordination avec ses voisins a d’ailleurs été critiqué jusqu’en Allemagne. Le gouvernement allemand, qui ne fait pas la sourde oreille face aux critiques, semble vouloir recoller les morceaux, notamment avec la France. « Le fait que le président français tire la sonnette d’alarme a eu un écho en Allemagne, souligne Eileen Keller. Il y a eu une prise de conscience que l’on n’aurait pas dû faire les choses comme cela », ajoute la chercheuse.

Pour preuve, l’organisation d’un déjeuner avec Emmanuel Macron le 26 octobre, après l’annonce du report d’un Conseil des ministres franco-allemand la semaine précédenteLes échanges y ont été « très constructifs », selon l’Elysée. Une discussion plus que nécessaire, alors que les Vingt-Sept doivent encore s’entendre urgemment sur un mécanisme visant à freiner l’envolée des prix de l’énergie


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