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COP27 : comment le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est mué en tribun de la lutte contre la crise climatique

« Les pays et les entreprises les plus polluants ne se contentent pas de fermer les yeux [face à la crise climatique] : ils jettent de l’huile sur le feu. » Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a abandonné le langage diplomatique après la publication d’un nouveau rapport alarmant du Giec, en avril 2022. « Ils étouffent notre planète au service de leurs intérêts particuliers », a encore accusé l’ancien Premier ministre portugais de 73 ans. Une mue spectaculaire, dont les experts du climat attendent les effets concrets, alors que s’ouvre la COP27, du 6 au 18 novembre, à Charm-El-Cheikh, en Egypte.

« C’est un sujet sur lequel il a peu de limites, car il estime que c’est son rôle de dire les choses qui fâchent, raconte l’une de ses conseillères à New-York. Il rigole souvent en disant qu’il a besoin d’être un terroriste sur ces sujets-là. » Ses discours, parfois dignes des réquisitoires de la militante écologiste suédoise Greta Thunberg, sont désormais assumés.

« Les militants du climat sont parfois dépeints comme de dangereux radicaux, alors que les véritables radicaux dangereux sont les pays qui augmentent la production de combustibles fossiles. »

Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU

dans une vidéo publiée le 4 avril 2022

Dans la sphère des défenseurs du climat, ce changement de ton a fait mouche. « Il y a tellement d’inconscience devant la gravité de la situation, il faut bien que quelqu’un dise la vérité », avance Laurence Tubiana, directrice de la Fondation européenne pour le climat et ancienne négociatrice en chef de la COP21. « Lui le fait, avec l’autorité qu’il représente. » Même enthousiasme chez les militants pour le climat. « On considère que c’est un allié », résume Aurore Mathieu, responsable des politiques internationales au Réseau action climat. Mais ses discours et sa ligne politique n’ont pas toujours été en accord avec sa position actuelle sur la lutte contre le réchauffement climatique.

Pour mieux observer la mue d’Antonio Guterres, il faut remonter aux années 1990, dans un Portugal alors surnommé « le petit dragon de l’Europe ». Le 28 octobre 1995, Antonio Guterres est nommé Premier ministre, à 46 ans. Sa stratégie a consisté à amener le parti socialiste, le PSD, qu’il dirige depuis 1992, vers le centre. « Il a mis de côté toutes les références au marxisme, tout le discours marqué par la révolution des Œillets » qui a mis fin à 50 ans de dictature, détaille Yves Leonard, historien spécialiste du Portugal. Le principal objectif du pays est alors d’entrer dans la zone euro.

Antonio Guterres, leader du parti socialiste portugais, lors de la campagne pour les élections législatives d'octobre 1995, à Lisbonne (Portugal).  (JOAO TRINDADE / LUSA / AFP)

Antonio Guterres, leader du parti socialiste portugais, lors de la campagne pour les élections législatives d'octobre 1995, à Lisbonne (Portugal).  (JOAO TRINDADE / LUSA / AFP)

« Le fait que la France ait mis son poids pour l’entrée du Portugal dans l’euro, ça nous a rapprochés », se souvient Lionel Jospin. Le Premier ministre français de l’époque décrit « un homme de dialogue » lors des sommets européens. Un dirigeant « aimable, cherchant le compromis, un facilitateur ». Les deux hommes se côtoient lors de réunions bilatérales mais aussi à l’Internationale socialiste. « Sa vision consistait à rechercher l’efficacité économique mais avec des objectifs sociaux et de redistribution importants », rappelle Lionel Jospin.

Socialiste et catholique pratiquant, Antonio Guterres affirme s’être engagé dans la vie publique pour combattre les inégalités. « Lorsque j’étais au centre de la jeunesse de l’université catholique et au centre d’aide sociale, j’ai été confronté à de telles injustices sociales que ça m’a donné envie de me consacrer à la politique », raconte-t-il dans une biographie qui lui est consacrée, Honest Broker (non traduite en français). Sa foi « imprègne une grande partie de son attitude publique », explique l’historien Yves Léonard.

Mais Antonio Guterres reste surtout celui « qui a permis l’entrée du Portugal dans l’euro, poursuit Yves Léonard. Il en tire une grande fierté ». Le Premier ministre portugais a pour cela concentré tous ses efforts sur la modernisation des infrastructures de son pays. Une logique « pas toujours en harmonie avec une politique environnementale respectueuse », rappelle l’historien. De nombreuses routes et autoroutes voient le jour et des chantiers essaiment le long du littoral ibérique, dans « la logique du tout bagnole », note l’historien.

« Je fais partie d’une génération qui a fait la guerre à la nature », reconnaissait Antonio Guterres en juin 2022 dans une interview à Euronews. Pensait-il à ces années à la tête de son pays natal ? « En partie, je pense, il sait que c’est devenu une cause existentielle pour lui plus tard dans sa carrière », affirme l’une de ses conseillères à l’ONU. « La prise de conscience n’avait pas l’intensité qu’elle a aujourd’hui, observe Lionel Jospin. Dans ce sens, on peut parler d’une prise de conscience trop tardive. »

Dans son cheminement vers la prise de conscience climatique, Antonio Guterres est d’abord sensibilisé au sort des réfugiés et des déplacés. En 2005, Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, le choisit pour le poste de haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Il y reste 10 ans. Deux mandats pendant lesquels il doit gérer l’une des pires crises migratoires mondiales, liée aux conflits en Syrie et en Irak.

Durant cette décennie, le nombre de personnes déplacées passe de 38 millions à 60 millions en 2015, selon l’ONU. Antonio Guterres a aussi l’occasion de constater « les mouvements de population et de déracinement auquel pouvait conduire le changement climatique », détaille un ancien conseiller. En 2013, par exemple, les catastrophes climatiques provoquent le déplacement de 21,9 millions de personnes dans le monde, trois fois plus que les conflits.

Dès son arrivée au secrétariat général de l’ONU, en janvier 2017, il place la lutte contre le réchauffement climatique au sommet de ses priorités. « Il a très vite vu le climat comme la matrice du multilatéralisme de demain », analyse un ancien conseiller. L’arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis en janvier 2018 complique pourtant la tâche. Ce dernier promet de se retirer de l’accord de Paris, par lequel l’ensemble des Etats se sont mis d’accord sur le principe de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

De nombreux observateurs soulignent l’implication personnelle d’Antonio Guterres pour faire aboutir la COP24 de Katowice (Pologne) en décembre 2018, « alors que le momentum de l’accord de Paris aurait pu être perdu », souligne le conseiller qui l’accompagnait. « Il avait vraiment mis tout son poids sur la table, ce qui est rare », confirme Laurence Tubiana, ancienne négociatrice en chef de la COP21.

En septembre 2019, il organise un grand sommet, obligeant les Etats à venir avec de nouvelles annonces. Ceux qui arrivent les mains vides sont recalés, « c’était osé de ne pas inviter tout le monde », analyse une source proche des négociations climatiques en France. « Dès qu’il a un voyage, il essaye d’y mettre une dimension climat », rapporte une de ses conseillères.

« Très souvent, il nous dit qu’il réfléchit énormément au monde qu’il laisse à ses petites filles, ça fait partie des grandes injustices qui l’indignent. »

une conseillère d’Antonio Guterres

à franceinfo

La crise climatique frappe encore plus fort à présent. « Je n’ai jamais vu de carnage climatique de cette ampleur, je n’ai pas de mots pour décrire ce que j’ai vu aujourd’hui »,déclare Antonio Guterres depuis Islamabad, au Pakistan, en septembre. Des inondations meurtrières y ont fait près de 1 500 victimes. Au milieu de ce chaos, il tente d’alerter : « Le Pakistan paye le prix de quelque chose qui a été créé par d’autres. »

De ce passage au Pakistan, Antonio Guterres « est revenu extrêmement marqué », selon l’une de ses conseillères. Voir des groupes entiers de populations qui perdent tout, d’un coup, pas seulement leur maison mais aussi leurs sources de revenus, ça le touche profondément. » Pour elle, Antonio Guterres a développé une conviction personnelle sincère sur le climat.

Mais ses déclarations, aussi radicales puissent-elles paraître, sont-elles suffisantes ? « Plus personne ne l’écoute », considère Franz Baumann, ancien fonctionnaire allemand de l’ONU. « Il ne dit pas aux producteurs comme l’Arabie Saoudite d’arrêter de pomper du pétrole, poursuit-il. Il reste très général, c’est pour ça que je le qualifie de ‘prêcheur' ».

D’autres observateurs déplorent la perte d’influence de l’ONU, devenue « quasiment une organisation humanitaire plus que politique », selon Romuald Sciora, chercheur associé à l’Iris. « Antonio Guterres incarne le naufrage politique des Nations unies, assène ce spécialiste de l’ONU, « c’est pour cela qu’il essaye de tisser, de renforcer cette image d’un acteur très engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique. »

« Ce n’est pas quelqu’un de radical, c’est un social-démocrate, nuance un ancien conseiller du secrétaire général de l’ONU. Mais il voit bien que les engagements des Etats ne sont toujours pas là, donc il les met face à leurs responsabilités ». En juin 2022, lors d’une interview à Euronews, Antonio Guterres appuyait encore avec ferveur les nombreux rapports de l’ONU qui soulignent l’ampleur des efforts qu’il reste à faire sur le pétrole, le charbon et le gaz. Continuer à investir dans les énergies fossiles est ‘suicidaire' », lâchait le secrétaire général de l’ONU, décidé à poursuivre son combat pour le climat.


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