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« Tout intellectuel ukrainien actif est en danger » : le célèbre écrivain Andreï Kourkov témoigne de la guerre dans « Journal d’une invasion »

La brutalité de la réalité empêche le romancier ukrainien à succès Andreï Kourkov d’écrire de la fiction. Dès lors, il raconte au monde l’histoire de l’invasion russe dans son pays. Andreï Kourkov a reçu mardi 8 novembre le Prix Medicis du roman étranger pour son roman Les abeilles grises (Liana Levi).

L’écrivain russophone de 61 ans est célèbre pour son roman satirique Le Pingouin. Désormais, il est devenu une sorte de porte-parole culturel itinérant des efforts de l’Ukraine en guerre.

Son sourire dément la fatigue résultant d’avoir sillonné des festivals littéraires européens et américains pour discuter de Journal d’une invasion« C’est ma contribution, c’est en fait mon devoir », a déclaré Andreï Kourkov à l’AFP lors d’une interview au festival littéraire Crossing Border dans la ville néerlandaise de La Haye. « Je suis sur le front ouest, pas sur le front est. Le front ouest est moins dangereux, mais je pense que c’est aussi important ».

Alors que les troupes ukrainiennes progressent à l’est et au sud, le travail de l’écrivain consiste selon ce dernier à « expliquer aux publics occidentaux ce qu’ils ne savent pas et ne comprennent pas sur l’Ukraine ».

Exempté de l’interdiction de voyager en vigueur pour les hommes ukrainiens âgés de 18 à 60 ans, Andreï Kourkov a eu un programme de voyage « épuisant » pour promouvoir le livre. Son journal vivant et déchirant brosse un tableau de la vie en Ukraine entre décembre 2021 et juillet 2022. De la fuite de sa famille de Kiev aux histoires de survie en état de siège et de grands-mères transportant leurs coqs dans les trains, l’écrivain dévoile des détails souvent surréalistes.

Ce même regard absurde est à l’origine de ses romans traduits dans plus de 30 langues. Parmi eux, Le Pingouin, un classique post-soviétique sur un écrivain et son pingouin de compagnie rencontrant des difficultés avec la mafia. Plus récemment, Les abeilles grises raconte l’histoire des deux derniers hommes vivant dans un village en première ligne du conflit qui fait rage depuis 2014 dans l’est de l’Ukraine.

L'écrivain ukrainien Andreï Kourkov lors de sa réception du Prix Medicis, le 8 novembre 2022 (BERTRAND GUAY / AFP)

L'écrivain ukrainien Andreï Kourkov lors de sa réception du Prix Medicis, le 8 novembre 2022 (BERTRAND GUAY / AFP)

Mais le troisième tome d’une série d’histoires policières se déroulant à Kiev en 1919 est resté bloqué à la page 71 depuis que la Russie a envahi l’Ukraine, le 24 février, dit-il.« Je ne peux pas écrire de fiction maintenant parce que je ne pense qu’à ce qui se passe en Ukraine », raconte-t-il.

Sur la route, Andreï Kourkov reste proche de son pays par le biais de ses amis et de sa famille : sa femme, d’origine britannique, et deux de ses trois enfants adultes y sont restés. La vie s’y est dans une certaine mesure « normalisée » depuis l’invasion avec la réouverture des cafés et des restaurants. Alors que les récentes attaques de missiles russes sur la capitale ont à nouveau terni l’ambiance, les Ukrainiens, s’ils sont en colère, « ne cèdent pas », dit-il. 

Le romancier dit aussi vouloir montrer l’Ukraine comme un pays historique et indépendant, et pas seulement comme une partie de l’ex-Union soviétique. « Les Ukrainiens n’ont jamais eu de tsar, ils sont très opiniâtres. Les Russes préfèrent la stabilité à la liberté et le symbole de la stabilité est le tsar, et maintenant ils ont le tsar Poutine. »

Dans son journal, il dépeint la guerre comme une lutte existentielle, affirmant que « l’Ukraine sera soit libre, indépendante ou européenne, soit elle n’existera pas du tout ».

La guerre pourrait également avoir un coût personnel pour Andreï Kourkov. Né dans la région de Leningrad en Union soviétique, il craint de faire partie d’une génération « d’auteurs exécutés » comme dans les années 1930 en cas de victoire russe. « Tout intellectuel ukrainien qui est actif est en danger », dit celui qui a entre-temps décidé de ne pas publier ses livres en russe avant la fin de la guerre.

L’écrivain n’hésite pas à exprimer ses opinions sur la situation politique plus large. Le soutien occidental est « devenu un peu banal, trivial », estime-t-il alors que les drapeaux ukrainiens se raréfient dans les villes européennes. Vladimir Poutine est quant à lui « un peu fou », juge l’Ukrainien, selon lequel la probabilité qu’il utilise des armes nucléaires est de « 10 à 15% ». Le milliardaire Elon Musk, qui a notamment proposé la reconnaissance de la souveraineté russe sur la Crimée, est qualifié par l’écrivain d’« extraterrestre ».


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