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INFO FRANCEINFO. Affaire des respirateurs Philips : des documents accablants transmis à la justice française

Selon des documents consultés par franceinfo, Philips a continué d’utiliser une mousse possiblement cancérigène pour équiper ces respirateurs contre l’apnée du sommeil malgré plusieurs alertes émises par un fabricant américain.

Le parquet du pôle de santé publique du tribunal de Paris vient d’être saisi de documents-clés dans la compréhension du dossier sanitaire des respirateurs Philips, a appris franceinfo vendredi 18 novembre. Ces informations partagées par un collectif d’avocats français, américains, italiens et autrichiens sont désormais dans les mains des magistrats en charge de l’enquête préliminaire ouverte en juin dernier pour « mise en danger de la vie d’autrui », « tromperie aggravée » et « administration de substances nuisibles ».

Dans un récent courrier adressé au Pôle de santé publique du parquet de Paris, dont franceinfo a eu connaissance, Maître Christophe Lèguevaques, l’avocat de la FFAAIR et de la FNATH, deux fédérations de malades respiratoires, écrit : “L’ensemble de ces documents établis pour les juridictions américaines remettent fortement en question le déroulé et surtout le descriptif des faits tels que présentés par Philips. »

« Les associations ainsi que les nombreuses victimes de ces appareils viciés souhaitent que soit ouverte une information judiciaire à l’encontre du groupe en France pour porter plainte. »

Maître Christophe Lèguevaques

à franceinfo

Selon Maître Christophe Lèguevaques, qui a demandé par voie de référé à Philips de communiquer la composition exacte de sa mousse, l’affaire relève de pratiques commerciales trompeuses et d’atteintes involontaires à l’intégrité physique et à la vie.

Depuis plus d’un an, le groupe néerlandais Philips est aux prises avec l’une des pires crises de son histoire. En juin 2021, sous la pression d’usagers américains, Philips a dû rappeler 5,3 millions de respirateurs contre l’apnée du sommeil à travers le monde, dont 382 000 sont enregistrés en France. L’une des raisons de ce rappel : la mousse en polyuréthane qui insonorise l’intérieur des machines peut se dégrader en particules fines directement inhalées par les utilisateurs, avec un possible risque de cancer. De plus en plus d’usagers de ces respirateurs se plaignent d’effets secondaires voire de cancers. Ils saisissent la justice à travers le monde, y compris en France. Sur les marchés, l’action Philips a dévissé de plus de 50% en un an.

Les documents communiqués par ce collectif d’avocats, consultés par franceinfo, semblent accréditer que l’entreprise Philips et certains de ses sous-traitants américains (Polymer Technologies, SoundCoatr, Parmount Dye) ont eu connaissance d’un problème grave concernant la mousse en polyuréthane utilisée dans ces respirateurs bien avant le rappel de leurs produits, sans en informer ni les autorités sanitaires concernées ni les usagers de respirateurs à travers le monde.

Un témoignage en particulier accable la responsabilité du géant néerlandais dans ce qui ressemble de plus en plus à un scandale sanitaire mondial. Le 1er avril dernier, Lee Lawler, 74 ans, directeur technique senior de la société Wm. T. Burnett et spécialiste aux États-Unis des mousses industrielles en polyuréthane, a répondu à la justice américaine. Dans une audition devant la cour de Pennsylvanie, cet ingénieur de la société Burnett basée à Baltimore (Maryland) a dédouané la responsabilité de son entreprise et pointé de manière implacable les manquements manifestes de Philips et de ses sous-traitants. Lee Lalwer explique que la société Wm. T. Burnett fabrique de la mousse de polyuréthane « en vrac » depuis 1954 dans un but exclusivement industriel et non médical. Ce polytechnicien révèle la composition exacte de la mousse achetée par Philips et précise notamment qu’elle contient un retardateur de flamme.

Philipps a rappellé des millions d'appareils respiratoires potentiellement dangereux. (Photo d'illustration), le 19 avril 2022. (RICHARD MOUILLAUD / MAXPPP)

Philipps a rappellé des millions d'appareils respiratoires potentiellement dangereux. (Photo d'illustration), le 19 avril 2022. (RICHARD MOUILLAUD / MAXPPP)

Devant la cour de Pennsylvanie, Lee Lawler dit : “Je peux affirmer sans équivoque que, dans la mesure où Philips a utilisé de la mousse Burnett pour les appareils médicaux qui font l’objet de ce litige, Burnett n’a jamais été consulté sur l’utilisation de cette mousse (…) et n’avait pas connaissance de l’utilisation par Philips de cette mousse à des fins médicales”. Lee Lawler explique avoir été personnellement sollicité entre 2016 et 2021 par des sous-traitants puis des représentants de Philips aux Etats-Unis au sujet de la dégradation suspecte de cette mousse. Il souligne que “Burnett a systématiquement déconseillé l’utilisation de mousse de polyester sans stabilité hydrolytique [qui se dégrade sous l’effet de la chaleur ou de l’humidité] et a suggéré que la mousse de polyéther est plus performante”.

Bien décidé à sauvegarder la respectabilité de sa maison et des mousses Burnett, Lee Lawler a également fait part aux autorités américaines d’une série de mails accablants échangés avec les partenaires directs de Philips, dès 2016. Dans l’un de ces mails consultés par franceinfo, Lee Lawler répond à l’inquiétude du sous-traitant de Philips sur l’évidente dégradation de la mousse utilisée par Philips : “Cela ne me surprendrait pas si dans la chaleur et l’humidité cette mousse commence à se désintégrer au bout d’un an, écrit-il en août 2016. Mais il existe une bonne alternative : la mousse polyéther. Cela dure des années.” Réponse du partenaire, Polymer Technologies : “Merci. Je transmettrai à Philips que l’entreprise doit opter pour le polyéther”. Deux ans plus tard, dans un mail du 3 mai 2018, le même sous-traitant répond que Philips entend continuer à utiliser le polyester le temps de procéder à “un planning de remplacement” via le réseau de prestataires qui assurent l’entretien des machines à domicile. Contacté par franceinfo, Lee Lawler n’a pas souhaité répondre à nos questions. Ni Philips France ni la société Burnett n’ont encore donné suite à nos demandes.

À ce jour, le Pôle de santé publique du parquet de Paris a connaissance de 26 plaintes en France. Huit plaintes pénales ont été enregistrées dont quatre sont liées à des cas de cancer, indique une source judiciaire à franceinfo. Certains respirateurs de ces plaignants ont été saisis par la justice. Selon nos informations, une centaine de Français, dont plus d’une dizaine de cas de cancer du poumon, sont dans l’attente de l’ouverture d’une information judiciaire pour porter plainte collectivement contre Philips. Fin septembre, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ,qui s’est saisie de ce dossier sanitaire, avait reçu près de 3 074 signalements d’effets indésirables dont 159 mentionnent un cancer. À ce jour, aucune étude scientifique n’établit de lien avéré entre l’utilisation des machines concernées par le rappel et le cancer. Mais aucune étude épidémiologique fiable ne permet non plus d’exclure le risque cancérigène. Depuis des mois, l’ANSM dit étudier la faisabilité d’une étude épidémiologique indépendante en France.

Selon Philips France, 97% des respirateurs Philips concernés par le rappel seront remplacés par des unités neuves ou “corrigées” avec une nouvelle mousse en silicone d’ici la fin de l’année 2022. Mais la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine des médicaments, décidément en pointe sur ce dossier, a alerté les usagers américains de respirateurs Philips à ce sujet. Selon la FDA, cette nouvelle mousse en silicone a échoué à un test de sécurité (article en anglais). Les autorités américaines ont donc demandé à Philips d’effectuer davantage de tests indépendants confirmant l’innocuité de sa nouvelle mousse sur la santé des utilisateurs. 

En France, malgré les nombreuses interrogations portées par les fédérations de malades respiratoires, l’Agence française de sécurité du médicament a décidé de s’en tenir aux seuls tests menés par Philips Respironics. Le groupe néerlandais affirme que ces laboratoires n’ont identifié aucun problème de sécurité et que la mousse de remplacement a obtenu toutes les certifications.  


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