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Coupe du monde 2022 : les joueurs de l’Iran afficheront-ils leur opposition à la répression politique dans leur pays ?

L’annonce des joueurs sélectionnés pour un Mondial est toujours un moment attendu. En Iran, le suspense a duré plus longtemps que prévu. La conférence de presse du sélectionneur Carlos Queiroz a été annulée au dernier moment, dimanche 13 novembre, alimentant les rumeurs : le pouvoir tentait-il d’imposer l’exclusion de certains joueurs pour des motifs politiques ?

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Depuis septembre, l’Iran est secoué par un mouvement de contestation du régime dont la répression a fait près de 350 morts, selon l’ONG Iran Human Rights. Plusieurs gestes symboliques de l’équipe nationale de football ont laissé deviner un soutien aux manifestants. L’attaquant Sardar Azmoun, plus grande star du foot iranien, a exprimé très clairement son opinion sur les réseaux sociaux. Au risque d’être débarqué ? L’épisode reste auréolé de mystère, mais le joueur figure bien dans la liste communiquée par son entraîneur. Il devrait prendre part, lundi 21 novembre à 14 heures (heure de l’Hexagone), au premier match de l’Iran contre l’Angleterre.

Comment entreront-ils sur la pelouse ? Le 27 septembre, moins de deux semaines après la mort de Mahsa Amini, les onze Iraniens alignés contre le Sénégal, en Autriche, arrivent vêtus d’une parka noire dépourvue du logo de leur fédération. Une partie d’entre eux s’abstient ostensiblement de chanter l’hymne national, certains gardant la tête baissée. Ils n’affichent pas davantage d’enthousiasme à Téhéran le 10 novembre, avant d’affronter le Nicaragua.

Leur attitude a été interprétée comme une critique de la répression frappant les manifestants.

Sur Instagram, certains joueurs se sont exprimés de façon plus directe. « Cela ne pourra pas être effacé de notre conscience. Honte à vous », a écrit Sardaz Azmoun fin septembre. L’attaquant du Bayer Leverkusen (Allemagne) a aussi levé le voile sur l’ambiance pesante autour du match amical contre le Sénégal : « En raison des règles restrictives autour de la Team Melli, je ne pouvais rien dire », affirmait-il, assurant qu’il préférait risquer l’exclusion du Mondial au silence.

Son message a ensuite disparu, comme ceux de plusieurs de ses coéquipiers. Son profil a même, un temps, été vidé de tous ses contenus. Le joueur de 27 ans a ensuite présenté des « excuses » à ses coéquipiers pour ses « actions précipitées ». Depuis, d’autres publications sur le réseau social ont laissé peu de doutes sur ses opinions. Dans un message de soutien à l’équipe féminine de volley iranienne, il écrit notamment que la mort de Mahsa Amini « a laissé une douleur dans le cœur de la nation que l’histoire n’oubliera jamais ».

De tels messages ont un poids à la hauteur de l’engouement pour le football en Iran. « Il y a un nationalisme très fort en Iran », observe Christian Bromberger, ethnologue et professeur émérite à l’Université Aix-Marseille, qui a travaillé sur le football iranien. « Même si vous êtes un Iranien de la diaspora installé à Los Angeles et que vous pourfendez le régime, la Team Melli est importante et vous la soutenez »« Le mot ‘Melli’ signifie ‘nation’ en farsi, et ce surnom exprime l’idée que la sélection nationale représente le peuple », et non le régime, ajoute Jonathan Piron, historien du Moyen-Orient, chercheur associé au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité à Bruxelles. 

Ce qui ne veut pas dire que l’équipe soit toujours restée apolitique. En 2009, quand l’Iran était secoué par la « révolution verte », contestant la réélection du conservateur Mahmoud Ahmadinejad, plusieurs joueurs dont la star Ali Karimi avaient porté des bracelets verts lors d’un match en Corée du Sud. L’Iran avait annoncé leur exclusion à vie, avant de faire marche arrière, sous la pression de la Fifa. 

Les joueurs de l'Iran Mohammad Nosrati (à gauche) et Ali Karimi (au centre) portant des bracelets verts, en soutien aux manifestations contre la réelection du président Mahmoud Ahmadinejad, lors d'un match contre la Corée du Sud à Séoul, le 17 juin 2009. (LEE JIN-MAN / AP / SIPA)

Les joueurs de l'Iran Mohammad Nosrati (à gauche) et Ali Karimi (au centre) portant des bracelets verts, en soutien aux manifestations contre la réelection du président Mahmoud Ahmadinejad, lors d'un match contre la Corée du Sud à Séoul, le 17 juin 2009. (LEE JIN-MAN / AP / SIPA)

La question des droits des femmes, au cœur du mouvement de protestation actuel, a aussi des liens avec le football, car l’accès aux stades est une des revendications anciennes des militantes iraniennes. « Les esprits restent particulièrement marqués par la mort de celle qu’on surnomme ‘la fille en bleu' », raconte Jonathan Piron. Sahar Khodayari, 29 ans, s’était immolée en septembre 2019 devant un tribunal où elle devait être jugée pour avoir assisté illégalement, déguisée en homme, à un match du club d’Esteghlal, dont le bleu est la couleur.

Les liens entre football iranien et contestation du régime ont cependant pris une ampleur peu commune depuis septembre. Ali Karimi multiplie les prises de position, estimant notamment que « rien ne pourrait effacer cette ignominie » que représente la mort de Mahsa Amini. Ali Daei, meilleur buteur de l’histoire de la sélection, a exhorté le régime à « régler les problèmes du peuple iranien plutôt que de recourir à la répression, à la violence et aux arrestations ».

Si le premier a quitté le pays, le second se trouve toujours en Iran et a annoncé refuser une invitation des organisateurs du Mondial pour rester auprès de son peuple. Sa popularité est « extraordinaire », rappelle Christian Bromberger, pour qui son engagement a un véritable poids.

Reste à savoir quelle sera la réaction du pouvoir iranien si des joueurs osent un geste politique au Qatar. « Il va falloir voir comment cette équipe va se comporter et comment leurs gestes vont être compris en Iran », observe Jonathan Piron, qui s’attend à des actes « implicites » plutôt qu’à une expression claire de soutien aux manifestants. La télévision d’Etat tentera-t-elle alors de couper les images ? A l’heure du satellite, la méthode ne suffirait sans doute pas. Laisser les footballeurs s’exprimer pourrait aussi faire office de « soupape », analyse l’historien. D’autant que la Team Melli, pas favorite dans un groupe qui compte l’Angleterre, les Etats-Unis et le pays de Galles, pourrait bien ne passer qu’une petite semaine sous les projecteurs au Qatar avant d’être éliminée.

Des activistes sont cependant bien décidées à profiter de cette fenêtre pour « rappeler au monde ce qui se passe en Iran »la militante des droits des femmes Negin Shiraghaei et Masih Alinejad, militante iranienne installée à New York, demandent aux spectateurs de scander le nom de Mahsa Amini à la 22e minute de chaque match de l’Iran, en référence à l’âge auquel la jeune femme est morte sous les coups de la police des mœurs.


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