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« Je n’ai jamais su lire une partition », Rone casse les codes avec l’Orchestre national de Lyon

Sur scène, il est facile à repérer. Entouré de plus de quatre-vingt musiciens, Erwan Castex, alias Rone, est le seul à danser. La tête et les hanches qui ondulent, le bassin légèrement décalé, son corps tout entier en suspension. Après deux premiers concerts en juin 2021, Rone partage à nouveau la scène avec l’Orchestre national de Lyon. L(oo)ping, le concert électro-symphonique qu’ils ont imaginé à partir de ses titres les plus emblématiques fait une fois de plus salle comble. De quoi rassurer ce timide maladif et le conforter dans ces nouveaux chemins qu’il ne cesse d’explorer.

Il a beau s’être imposé comme un acteur majeur de la scène électro française, avoir multiplié les albums (quatre sous le label In Finé) et les musiques de film, collaboré avec des artistes et auteurs aussi divers qu’Alain Damasio, Étienne Daho, Jean-Michel Jarre ou le collectif de chorégraphes (La) Horde avec qui il signe Room With a View, et reçu des récompenses aussi prestigieuses qu’un César et un Cannes Soundtrack Award, Rone est un intranquille, encore plus lorsqu’il s’aventure hors des frontières de la musique électronique. 

L(oo)ping est « une acrobatie vertigineuse dans un monde qui m’est étranger, disait-il dans ses notes d’intention lors de la création. Un « looping » en apesanteur où mes machines feraient corps avec l’Orchestre national de Lyon. »

Un projet vertigineux ? Assurément. Il s’agissait de faire dialoguer deux mondes, deux univers très éloignés. Celui des machines et des synthétiseurs et celui des instruments acoustiques. La rigueur et les partitions des uns, l’apparente décontraction et l’intuition de celui qui leur répond.

Rone et l'Orchestre national de Lyon - juin 2021 (KEVINBUY// YOUCANTBUYBUY.COM)

Rone et l'Orchestre national de Lyon - juin 2021 (KEVINBUY// YOUCANTBUYBUY.COM)

« Je n’ai pas du tout un parcours académique, je suis complètement autodidacte, confie Rone, presque gêné. Je ne sais toujours pas lire une partition. J’ai toujours bricolé des sons et de la musique et tout d’un coup il faut trouver un langage commun parce qu’on n’a évidemment pas la même manière de travailler. Et c’est là que c’est fascinant. Comme deux personnes qui parlent des langues étrangères, il y a un petit moment d’adaptation. »

Il y a vraiment quelque chose de beau dans cette rencontre de l’un vers l’autre. C’est presque politique le fait d’aller vers l’autre même si on est différent. Il y a un message qui est assez beau.

Pour faire le lien entre Rone et l’orchestre, le jeune Romain Allender a joué les traducteurs. Il s’est chargé d’écrire les arrangements et de transcrire les morceaux de Rone sur une partition. Un travail de presque huit mois, le temps de comprendre la musique et de profondément la digérer, étape nécessaire avant la transcription. « Un exercice fascinant » reconnaît celui qui a commencé la musique par le piano, un univers très académique.

« Il a fallu compléter des thèmes, réécrire, soutenir, mettre des contre-champs, poursuit-il. Les quatre-vingt musiciens de l’orchestre, c’est un terrain de jeu immense, on peut emmener les morceaux toujours plus loin, dans des directions différentes. Que Rone soit dans une approche de la musique complètement opposée à la mienne et que malgré tout on se comprenne très bien, cela m’enrichit énormément. »

Romain Allender a su trouver l’équilibre entre les machines et l’orchestre. Donner une place à chacun, tisser un dialogue entre les deux formations, laisser l’une et l’autre prendre le dessus chacune leur tour et enfin construire des moments de symbiose. Combinaison subtile.

 

 

A la baguette, Dirk Brossé a lui aussi relevé le défi avec enthousiasme. Le chef d’orchestre et compositeur belge, également directeur musical de l’Orchestre de chambre de Philadelphie et du Festival du film de Gand, est un habitué du « cross over », le mélange des genres. Après avoir dirigé toutes les œuvres du répertoire, il s’est emparé du projet avec générosité, sans a priori. Il a aussi bousculé ses méthodes de travail, le mélange des genres le contraignant, lui et les musiciens, à s’aligner sur un tempo transmis via un casque ou une oreillette. Un dispositif qui n’existe pas en concert classique.

« Dans la musique de Rone, il y a beaucoup de boucles de quatre ou de huit mesures qui se répètent perpétuellement, explique-t-il. Beaucoup de pièces sont un peu comme des mantras, sa musique hypnotise, on arrive dans un monde hallucinant, un peu comme dans la musique minimaliste ou encore les chants bouddhistes dans les monastères népalais. Cela nous amène vraiment dans un autre état d’esprit, on n’a pas ça dans la musique classique. »

Si les artistes ont su changer leur état d’esprit, la composition du public est elle aussi inédite. Les deux soirées de concert à Lyon (1er et 2 décembre 2022) ont très vite affiché complet, attirant aussi bien les fans de Rone que les adeptes de la musique classique, abonnés de l’auditorium de Lyon. Les voilà sur la même longueur d’onde, unis dans les mêmes vibrations.

J’ai plutôt l’habitude de jouer des musiques qui font danser les gens, j’ai essayé de faire bouger des foules et là c’est très nouveau pour moi de jouer devant un public très à l’écoute, très silencieux, assis. C’est très excitant.

De ces expérienes nouvelles, chacun tire un petit supplément d’âme, une puissance sans précédent et une émotion qui transporte loin, très loin. 

L(oo)ping – Philarmonie de Paris, les 19 et 20 juin 2023.


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