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PORTRAIT. Présidence des Républicains : Eric Ciotti, l’ex-bras droit à la stratégie très adroite

« Depuis 2007 et la victoire de Nicolas Sarkozy, nous avons perdu 80% de nos électeurs. Pour les faire revenir à la maison, il ne faut plus s’excuser d’être de droite. » A la sortie d’une réunion publique à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), début novembre, Eric Ciotti déroule ses arguments pour que « les Républicains renouent enfin avec leurs valeurs d’autorité, d’identité et de liberté ».

Entouré d’une dizaine de militants en quête de selfies, le candidat à la présidence des Républicains (LR), qui affronte Aurélien Pradié et Bruno Retailleau, lors d’un vote interne samedi 3 et dimanche 4 décembre, lance, bravache : « Depuis 2012, toutes les élections nous ont fait payer nos hésitations et notre pudeur sur de nombreux sujets comme l’immigration ou la sécurité. Si nous retrouvons la crédibilité d’une méthode, nous pouvons réussir à convaincre. » Parole d’un stratège politique ancré dans la droite dure et d’un candidat qui s’avance en favori du Congrès LR, malgré la récente ouverture d’une enquête du Parquet national financier sur le cumul, par son ex-épouse, de trois emplois publics, après des révélations du Canard Enchaîné et de Libération.

Une « cabale », des « méthodes de voyou » qui, selon les proches du député des Alpes-Maritimes, visent à le déstabiliser dans son ascension. Lui, le finaliste surprise de la primaire LR à la présidentielle 2022. Lui, l’homme de 57 ans qui a forgé sa ligne politique régalienne et conservatrice, très proche de celle du Rassemblement national (RN), dès les premières années de son engagement public.

Avant d’apparaître, aux yeux de certains opposants, comme le candidat de « l’union des droites », c’est dans le petit village de Saint-Martin-Vésubie, dans l’arrière-pays niçois, qu’il a connu ses premiers élans politiques. Adolescent, il dévore les pages dédiées des journaux, notamment celles du Figaro et accompagne son oncle, élu municipal, aux manifestations de la région. « Il était premier adjoint au maire et je le suivais partout. Au conseil municipal, aux cérémonies patriotiques… Cela me passionnait déjà », se souvient l’ancien étudiant en sciences politiques, encarté au RPR à 16 ans, élu conseiller municipal de son village à 24.

« Déjà, à l’époque, il défendait la valeur travail et il s’opposait à l’immigration illégale comme il le fait aujourd’hui avec le bateau de migrants, l’Ocean Viking, à Toulon« , témoigne un proche. Pour Brice Hortefeux, l’ancien ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy, la lutte contre l’immigration illégale est vite devenue la marotte d’Eric Ciotti « pour des raisons géographiques évidentes ».

« Eric Ciotti réside à côté de la frontière italienne et il a compris que la région serait confrontée à des flux migratoires massifs avec l’aide active de passeurs. Ça fait 40 ans qu’il en parle. »

Brice Hortefeux, eurodéputé et ex-ministre de l’Intérieur

à franceinfo

C’est d’abord dans l’ombre de Christian Estrosi que le jeune élu local fait ses premières gammes. Eric Ciotti a 23 ans et il est repéré par l’actuel maire de Nice, alors député RPR des Alpes-Maritimes à la fin des années 1980. Le parlementaire lui propose de devenir son assistant à l’Assemblée nationale, première étape d’une collaboration de près de vingt ans.

L’élu niçois et son numéro 2 s’entendent si bien que Christian Estrosi demande à son collègue député François Fillon d’écrire à Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la Défense, pour le dispenser de service militaire. Une requête avortée en raison de la démission du ministre, quelques semaines plus tard. « Il n’y pas eu de passe-droit. Ma femme venait d’accoucher et donc j’ai pu être dispensé », raconte Eric Ciotti, qui prône aujourd’hui le retour du service militaire obligatoire, supprimé en 1997.

Rapidement, le bras-droit bâtit son corpus idéologique en s’inspirant des positions droitières de son patron, appelé à travailler sur la loi sur la sécurité intérieure ou encore sur les violences en bande. « Je connais Eric Ciotti depuis qu’il est tout jeune. C’est un bosseur qui connaît parfaitement ses dossiers sur le régalien », se souvient l’eurodéputée Nadine Morano.

« Je me souviens d’un collaborateur avec un vrai sens politique. Jeune, il faisait déjà partie de ceux qui pouvaient jouer un rôle au niveau national pour notre famille politique. »

Nadine Morano, députée européenne et soutien d’Eric Ciotti

à franceinfo

En 2005, sa carrière politique change de dimension. Il est promu conseiller ministériel lorsque son mentor devient ministre délégué à l’Aménagement du territoire. Mais sa priorité reste la question sécuritaire. « Il n’avait pas de visibilité politique, mais on le nommait déjà le Monsieur Sécurité de la droite avec son air sérieux de jeune avec des idées de vieux », ricane un élu niçois qui travaillait à ses côtés.

La relation entre Christian Estrosi et Eric Ciotti vole en éclats quelques années après l’entrée du second à l’Assemblée nationale, en 2007. « C’est une rupture qui est à l’image de ce qu’il s’est passé dans notre parti. Elle est à la fois personnelle et politique », confie-t-il. Depuis 2017 et le rapprochement de Christian Estrosi avec Emmanuel Macron, les deux anciens collaborateurs s’affrontent par médias interposés.

Les anti-Ciotti dénoncent sa « stratégie de trahison permanente ». « Christian Estrosi considérait Eric Ciotti comme son fils, mais celui-ci l’a trahi. Il a fait pareil avec Jean-Claude Gaudin quand il travaillait pour lui à la région. Son objectif, c’est de tuer ses géniteurs », tacle Renaud Muselier, le président de la région Sud, en dénonçant « la ligne droitière et mortifère pour la droite » de son rival.

Eric Ciotti fustige en retour « l’opportunisme » de ses deux rivaux du sud. « Renaud Muselier et Christian Estrosi sont des danseurs mondains de la politique. En fait, c’étaient des agents infiltrés dès 2017 et ils nous ont beaucoup coûté », gronde le député.

Emancipé de son ex-mentor, l’Azuréen s’impose alors comme le premier représentant de l’aile droite des Républicains. En 2012, il est l’une des principales figures de la Manif pour tous et s’oppose, dans la rue comme dans l’hémicycle, au mariage des couples de même sexe. Ce père de trois filles revendique des valeurs traditionnelles comme « l’autorité de la loi, de la famille et de l’école où l’on respectait le maître en se levant quand il entrait dans la salle de classe ». Comme Marine Le Pen ou Eric Zemmour, il souhaite que « la France reste la France ». Comprendre : « la France héritière de la civilisation judéo-chrétienne et des Lumières. Des soldats de l’an II, des Grognards, des Poilus et du général de Gaulle », comme il le martèle systématiquement en préambule de ses meetings. Conservateur, souvent. Réactionnaire, parfois.

Pour séduire la droite populaire, le député d’origine italienne se montre adroit. Mais verse aussi dans la polémique. En 2016, après l’attentat de la promenade des Anglais, à Nice, il défend le recours « au dispositif de rétention administrative pour les personnes identifiées comme dangereuses et qui ne sont pas encore passées à l’acte ». Une proposition qui divise au sein même de son parti, mais qui lui offre le soutien de ses militants les plus radicaux. En 2021, pour s’assurer les voix d’un électorat traditionaliste, ce catholique pratiquant accuse à tort la maire écologiste de Besançon de vouloir « déconstruire les traditions chrétiennes » en retirant toute mention de Noël pour les festivités de la ville. Eric Ciotti est aussi l’homme qui rêvait d’un « Guantanamo à la française » pour les terroristes et voulait mettre derrière les barreaux les parents de mineurs délinquants.

Dans sa campagne interne, il persiste et signe. Le chantre de la lutte contre « l’assistanat » continue d’exploiter à l’extrême les thématiques régaliennes. Il choisit comme slogan « la France au cœur » et déroule son discours sur l’application du droit du sol uniquement pour les enfants nés de ressortissants de l’UE, la création de 30 000 places de prison ou encore la réduction drastique des prestations sociales.

« Il a déjà créé des passerelles avec l’extrême droite. Il a dit qu’il aurait pu voter pour Eric Zemmour lors de la présidentielle. S’il est élu à la tête de LR, il fera l’union des droites. »

Renaud Muselier, président de la région Sud Provence-Alpes-Côte-d’Azur

à franceinfo

Aux opposants qui l’accusent de fricoter avec l’extrême droite, l’intéressé renvoie à la ligne politique gaulliste à laquelle il dit n’avoir jamais dérogé. « Si je suis élu à la tête des LR, il n’y aura pas d’alliance avec un pouvoir qui a abîmé notre pays depuis 2017 et il n’y aura pas non plus d’union des droites. Je sais où j’habite et je ne veux pas fermer boutique », clame-t-il.

Avant le vote crucial pour l’avenir de LR, le favori du scrutin a poursuivi ses déplacements à travers tout le pays. Tout en imposant sa ligne. « En fait, entre les cantonales, la primaire des LR, la présidentielle et les législatives, je suis en campagne depuis presque deux ans. Je ne dors que quatre à cinq heures par nuit, mais j’adore cette adrénaline ». Et le député ne semble pas vouloir s’arrêter là. En ligne de mire : la mairie de Nice qu’il rêve de prendre à Christian Estrosi en 2026. « Nice restera toujours ma priorité et il y a une logique à ce que je sois candidat. » Sa route paraît toute tracée, bien droite.


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