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Paris 2024 : une production des mascottes « made in France », le défi que veut relever une entreprise en Bretagne

Alors que la contestation enfle au sujet de la production d’une partie de la production des mascottes olympiques et paralympiques en Chine, une entreprise du Val-d’Oise, installée en Bretagne, a décidé de rehausser son objectif pour produire 50% de ces mascottes en France.

Un bruit sourd de soufflerie au rythme presque régulier. Dans la manufacture de 3500 m² de Doudou et compagnie, entreprise du Val d’Oise installée dans une ancienne friche commerciale à la Guerche-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), les employées s’activent, chacune à leur poste. Découpe des tissus, broderie, couture, rembourrage, contrôle qualité, conditionnement, pas moins de neuf étapes sont nécessaires pour assembler les 38 pièces que composent la fabrication de la peluche officielle de la mascotte des Jeux de Paris 2024

Depuis quelques jours, dans cette usine fraîchement rénovée et inaugurée le 29 novembre, des tests de fabrication de la mascotte officielle des Jeux de Paris 2024 sont réalisés, avant le lancement de la production fin décembre pour une vente dès le 15 janvier 2023. L’entreprise a remporté l’appel d’offres pour fabriquer une partie des peluches à l’effigie des phryges olympiques et paralympiques de Paris 2024. Elle aura en charge la production de 60 % des deux millions de mascottes sous licence officielle fabriquées en vue des Jeux. Le reste de la production a été confié à une autre PME française, Gipsy. Si cette dernière fabriquera l’intégralité de « ses » phryges en Chine, Doudou et compagnie a relocalisé une partie de son activité pour produire des mascottes « made in France ».

Dans la manufacture Doudou et Compagnie, à la Guerche-de-Bretagne, 80% de la fabrication des mascottes Paris 2024 se fait à la main. (DAMIEN MEYER / AFP)

Dans la manufacture Doudou et Compagnie, à la Guerche-de-Bretagne, 80% de la fabrication des mascottes Paris 2024 se fait à la main. (DAMIEN MEYER / AFP)

Au départ, l’entreprise avait pour objectif de fabriquer 18 % de ses peluches dans l’Hexagone. Mais cette annonce, couplée à la révélation des mascottes au grand public le 14 novembre, a été suivie d’une polémique médiatique et politique. « Au moment où on explique qu’il faut des circuits courts et relocaliser, on ne peut pas se retrouver avec une production de mascottes qui se fait au bout du monde », avait réagi la veille Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, sur franceinfo. Suivi un jour plus tard, du porte-parole du gouvernement, Olivier Véran. « J’adorerais, et on se bat pour ça, qu’en France, on soit capable d’avoir suffisamment de matières premières et d’usines textiles pour fabriquer deux millions de peluches en quelques mois. Le constat, c’est qu’aujourd’hui, on ne sait pas faire », avait-il expliqué sur France 2, le 17 novembre

Face à cette vindicte, la PME a décidé de revoir ses ambitions à la hausse. « Devant la pression médiatique et politique, et l’engouement très fort pour cette mascotte, nous nous sommes engagés à augmenter la production française pour atteindre les 50 %. Il s’agit d’un challenge pour nous, mais nous sommes prêts à relever le défi. Nous aussi, nous sommes des compétiteurs dans notre domaine », a annoncé Alain Joly, le président du Groupe Doudou et compagnie, lors de l’inauguration. A terme, l’objectif est de sortir 1 500 pièces par jour, soit une toutes les 20 minutes. « Il nous reste 400 jours de production. L’objectif est d’arriver à 600 000 phryges produites en Bretagne, du jamais-vu. Aujourd’hui, aucune usine en Europe n’est capable de produire cela », précise Alain Joly, qui a investi 3,5 millions d’euros pour relancer cette production française.

Surtout, « c’est très rare d’avoir une production à la fois en France et en Chine, pour un même produit », note Frédérique Tutt, experte au cabinet NPD, leader sur les études de marché liées aux ventes de jouets en France et dans le monde. Pour atteindre cet objectif, le patron de Doudou mise sur un jeu d’équilibriste. « On ne va pas passer de 15 à 50 % comme ça. On produira certainement un peu moins pour nos gammes traditionnelles et un peu plus pour la mascotte. On va aussi chercher des partenariats avec des acteurs locaux qui viendront peut-être en sous-traitance nous aider », détaille-t-il.

L'usine de la Guerche-de-Bretagne est la seule à produire des mascottes en France. En un peu plus d'un an, elle espère produire 600 000 peluches. (DAMIEN MEYER / AFP)

L'usine de la Guerche-de-Bretagne est la seule à produire des mascottes en France. En un peu plus d'un an, elle espère produire 600 000 peluches. (DAMIEN MEYER / AFP)

Un pari ambitieux donc pour cette PME, qui a dû jouer des coudes pour tenir ce nouveau cap, alors que le secteur a été déserté sur le territoire depuis de nombreuses années. « Actuellement, produire un jouet ou une peluche de A à Z, ce n’est pas possible en France car l’industrie est sinistrée, fait remarquer l’économiste et directrice de recherche au CNRS Nadine Levratto, spécialiste de l’économie industrielle. Sur les jouets plastiques et les peluches, le secteur a subi de plein fouet la concurrence asiatique, notamment chinoise. » Preuve à l’appui.

« Sur les 13 ou 14 millions de peluches vendues chaque année en France, seulement 1 % est produit en France. »

Nadine Levratto, économiste, spécialiste de l’économie industrielle

à franceinfo: sport

D’autant que les matières premières ne sont plus fabriquées en Europe, mais là encore, en Asie. Ainsi, les phryges tricolores seront intégralement conçues en France, à l’exception des pieds, qui ont été réalisés dans l’usine asiatique de la marque. Pour le reste, hors la broderie des yeux, de la bouche et du logo Paris 2024 effectuée par des machines, tout sera réalisé à la main. 

Si ce secteur est aujourd’hui sinistré, c’est aussi parce qu’il a perdu sa main d’œuvre. « Pour un entrepreneur, il est difficile de faire revenir une partie de sa production en France, car il n’y a plus de salariés formés à ce type de tâches », regrette Alain Joly. Pourtant, la volonté de relocaliser n’a jamais quitté le président du groupe Doudou et compagnie, qui avait déjà entamé le processus, mais qui a bénéficié du « tremplin Paris 2024 » pour franchir cette étape. Pour relever le défi, l’équipe Doudou a annoncé recruter une quarantaine d’employés d’ici mi-2023.

Des emplois qui seront pérennisés, assure-t-il, et qui seront laissés en héritage. « On sait très bien que l’exposition et les volumes réalisés grâce à la mascotte seront certainement difficiles à tenir post-Paris 2024. C’est pourquoi une équipe travaille déjà sur l’après 2024, sur une création de gamme, sur la recherche d’idées nouvelles, pour maintenir l’activité et la relocalisation de nos productions classiques d’Asie », s’engage Alain Joly.

Pour réaliser une mascotte, 38 pièces sont nécessaires, ce qui représente neuf étapes de fabrication. Ici, le rembourrage avec du polyester. (DAMIEN MEYER / AFP)

Pour réaliser une mascotte, 38 pièces sont nécessaires, ce qui représente neuf étapes de fabrication. Ici, le rembourrage avec du polyester. (DAMIEN MEYER / AFP)

Pour mettre toutes les chances de son côté, la marque a aussi réduit ses marges bénéficiaires, afin d’obtenir une différence de prix d’une dizaine d’euros entre la peluche française (39,90 euros pour la 28 cm) et la chinoise (32 euros la 24 cm). « On va impliquer toute la chaîne économique, jusqu’aux acteurs de la distribution, pour qu’ils fassent eux aussi un effort sur les marges », appelle Alain Joly, porté par l’esprit des Jeux avant tout. Sans cet effort « très serré » sur les marges, les prix consommateurs auraient été « 20 à 30 % plus chers », affirme le dirigeant.

Afin de valoriser sa production, l’équipe Doudou mise aussi sur une qualité supérieure de la phryge française avec un tissu premium, une peluche plus fournie et légèrement plus grande, avec une mémoire de forme pour l’articuler. Autre argument : la garantie à vie. Car cette mascotte fait elle aussi « partie de l’héritage » laissé par les Jeux.

Ce modèle serait-il un exemple à suivre ? Les équipes de Paris 2024 aimeraient enclencher une dynamique de relocalisation sur le territoire par leur biais. « Par ce modèle industriel qui n’a pas de précédent, puisque aucune peluche n’est fabriquée en France, on va peut-être pouvoir ouvrir la voie à d’autres entrepreneurs. Nous prouvons aujourd’hui que c’est possible, il suffit juste d’avoir des idées et de la volonté », lance Alain Joly. Mais pour les experts, relocaliser n’est pas si simple.

« Reconstruire une filière en France ne se fait pas en 18 mois. »

Nadine Levratto, économiste

à franceinfo: sport

« On a des exemples, notamment ceux de la filière photovoltaïque, qui a été dévastée avec une substitution des panneaux européens par des panneaux chinois. Cela fait 4 ou 5 ans qu’ils travaillent à la reconstruction de la filière en France et en Europe », tranche l’économiste Nadine Levratto. « Il faut au moins 18 ou 24 mois pour développer n’importe quel jouet, et ce à partir du moment où le produit a bien été défini. Déménager une filière prend des années », appuie Frédérique Tutt, du cabinet NPD. 

Le patron de Paris 2024, Tony Estanguet, a assisté à l'inauguration de l'usine française de Doudou et compagnie, à La Guerche-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), le 29 novembre 2022. (DAMIEN MEYER / AFP)

Le patron de Paris 2024, Tony Estanguet, a assisté à l'inauguration de l'usine française de Doudou et compagnie, à La Guerche-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), le 29 novembre 2022. (DAMIEN MEYER / AFP)

Une initiative louable mais insuffisante pour parler d’un mouvement en marche selon les spécialistes. « Ce qui est incompréhensible, c’est qu’on savait que les Jeux auraient lieu en 2024 et que des mascottes devaient être produites. Sachant qu’il y aurait un marché avec des débouchés assurés, pourquoi ni les organisations professionnelles, ni le ministère de l’Industrie, ni les organisateurs n’ont anticipé ? », interroge l’économiste Nadine Levratto.

« C’est vraiment un grand échec en terme de prévision, car il y avait une occasion très favorable de recréer des capacités de production pour des peluches made in France », poursuit-elle. Depuis 2020, le ministère de l’Économie a lancé un appel à projets nommé « (Re)localisation de la production dans les secteurs critiques ». Si « la filière jouets a bénéficié des moyens mis en œuvre dans le plan de relance (19 projets lauréats, représentant 15 millions d’euros d’investissements, soutenus par l’Etat à hauteur de 4,4 M€) », nous a répondu le ministère, l’entreprise Doudou et compagnie n’a touché aucune aide de l’Etat pour cette relocalisation française. Une initiative qui n’est donc pas à la portée de tous.


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